Swann Borsellino
« Ça c’est du football! »
Qu’est-ce qu’un moment d’histoire sans le commentaire qui l’accompagne? Juste un beau but? Ou un moment d’histoire quand même?
Nul doute que vous auriez quand même jeté votre chope en l’air de joie sur le but de Nacer Chadli face au Japon si Philippe Albert ne nous avait pas honorés d’un « Je l’ai dit bordel! ». Mais ce goal serait-il devenu aussi iconique? On fait difficilement plus doux que Patrick Stein. Pourtant, ce samedi, il a fait sortir une partie du pays de sa sieste en montant dans une tonalité de voix que je ne lui connaissais pas. » Bodart! C’est Bodart qui égalise pour le Standard! 2-2, but du gardien! », a t-il crié, comme pour nous rappeler qu’à l’image des huitièmes de finale de la Coupe du monde 2018, les meilleurs commentaires sortent du coeur et pas des fiches. Un instant qui est aussi venu confirmer que même à l’heure du fast-foot que l’on consomme à emporter semaine après semaine, certains événements demeurent à part. Parce qu’à Sclessin comme dans la cour d’école, avec un ballon en cuir ou une balle en mousse, quand le gardien marque sur une phase de jeu, il est traversé par un sentiment d’invincibilité rare. Qu’il s’appelle Arnaud Bodart ou qu’il soit le petit bonhomme à lunettes que personne ne voulait dans son équipe. Une histoire de revanche, peut-être. Mais pas que.
À Liège, la prière a été entendue et l’histoire populaire retiendra le nom d’Arnaud Bodart.
Jouons à un jeu. Pour vérifier le caractère exceptionnel d’un but inscrit par un gardien, analysons les réactions qu’il suscite. Il y a certainement eu celle des geeks du foot qui, dans une conversation Whatsapp, se sont lancés dans un « Quatre à la suite » de Questions pour un champion avec la thématique « les portiers ayant inscrit au moins un but dans le jeu ». Il y a aussi eu celle des journaux spécialisés, qui ont sûrement eu envie de lancer une petite interview de Sinan Bolat. Et il y a évidemment eu celle des gens qui ne connaissent rien au foot et encore moins au foot belge, qui ont soudainement partagé ce but sur leurs réseaux sociaux comme ils partageraient la vidéo d’un chaton à qui on a appris à nager le crawl. C’est ça, quelque chose d’exceptionnel. Un truc qui transmet de l’émotion au plus grand des connaisseurs comme à celui qui s’en moque. « J’espère que les supporters ont vibré devant leur télévision », évoquait d’ailleurs Arnaud Bodart en sortie de match. C’est un peu plus que ça. On a tendance à l’oublier, car au moment où l’on écrit ces lignes ( lundi), il y aura du foot à la télé tous les soirs jusqu’à dimanche inclus, mais ce qui est rare est bon. Le fait que l’on ait le réflexe de dépoussiérer les livres d’histoire à chaque fois que cela arrive montre à quel point un gardien qui marque dans le jeu est une comète dans le paysage footballistique, et qu’on ne sait pas quand la prochaine passera. On pense donc à Bolat, à Dutoit, à Proto et même, cocorico, à Laquait, dont le but face à Mons est tellement vieux qu’il est hébergé sur Dailymotion. Cependant, si la puissance émotionnelle d’un but du gardien réside dans la force de l’improbable, il s’agit systématiquement d’une « dernière chance ». Comme une passe Hail-mary au football américain. Un ballon que l’on envoie dans les airs comme une pièce dans la fontaine de Trevi, en espérant que son voeu soit exaucé. À Liège, la prière a été entendue, le point a été sauvé et l’histoire populaire retiendra le nom d’Arnaud Bodart. Les faits eux, sont plus pénibles. Certes réduits à dix suite à l’expulsion d’ Eden Shamir avant la pause, les Rouches ont seulement sauvé un point à domicile face à une équipe d’Eupen pas forcément connue pour son efficacité offensive.
Sur le plan comptable, en arrachant le nul, Arnaud Bodart a permis aux siens de rester accrochés au top 4. Sur le plan du jeu, Arnaud Bodart ne pourra rien faire d’autre que continuer à faire des matches plein dans ses cages. Car comme trop souvent depuis le début de la saison, les hommes de Philippe Montanier n’ont pas donné une impression de maîtrise. Les Liégeois concèdent trop d’occasions – il faut remonter au match face à Saint-Trond pour trouver une rencontre où ils concèdent moins de dix tirs, et peinent à convertir les quelques opportunités qu’ils se créent. Pas de buteur attitré, pas de créatif qui sort du lot, et un système qui ronronne beaucoup trop pour jouer les chats méchants. Résultat, des buts, oui, mais sur phases arrêtées. Le dernier pion dans le jeu des Liégeois date du 4 octobre. Là aussi, l’émotion était belle puisqu’il s’agit de celui de Nicolas Raskin sur la pelouse de Charleroi. « Ça c’est du football! C’est un peu n’importe quoi, mais c’est du football », ajoutait Patrick Stein suite au but d’Arnaud Bodart. Il faudra un peu plus que ça pour sortir vainqueur du Clasico ce dimanche sur la pelouse d’Anderlecht.
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