Burgess: « Qui est encore vraiment surpris que l’Union soit premier? »
Historien diplômé et footballeur professionnel, Christian Burgess (Union Saint-Gilloise) est de ceux qui peuvent parler ballon rond, véganisme, crise migratoire et chasse d’eau dans la même conversation. On en profite.
Le profil et le discours sont ceux du gendre idéal, mais il suffit d’une paire de crampons pour le transformer en voyou. Sur le terrain, Christian Burgess trashtalke son adversaire et toise les supporters. Une fois rentré au vestiaire, il pourrait vous tenir la dragée haute dans une discussion sur le renforcement des troupes à la frontière russe ou l’influence néfaste du colonialisme britannique sur l’Afrique d’aujourd’hui. L’étonnant parcours d’un homme qui, une fois chassé des centres de formation d’Arsenal et de West Ham où on ne lui voyait pas d’avenir, a mis le football professionnel de côté pour se lancer dans des études d’histoire. Un tournoi universitaire et un rapport élogieux d’un recruteur de Middlesbrough plus tard, le Britannique commence à écumer les divisions inférieures du football d’outre-Manche, jusqu’à un appel inattendu venu de Belgique en 2020. Jusque-là, Christian Burgess n’avait jamais entendu parler de l’Union Saint-Gilloise. Par contre, il avait le goût de l’aventure.
Qu’ils me fassent passer pour le méchant, c’est d’autant plus gratifiant quand mon équipe gagne.
Trois ans et demi plus tard, le défenseur est passé deux fois juste à côté d’un titre de champion. La troisième sera-t-elle la bonne? Les Bruxellois ont perdu huit titulaires l’été dernier, mais sont une nouvelle fois en tête du championnat. «Je ne me suis pas inquiété un seul instant pendant le mercato, lance Burgess. Cela fait trois ans que le club est en haut de tableau. Les joueurs partent, d’autres viennent, mais l’Union continue d’aligner les grosses performances. Quelqu’un est-il vraiment surpris qu’on soit encore dans le peloton de tête?»
Quand Victor Boniface, Teddy Teuma ou Bart Nieuwkoop sont partis, ne vous êtes-vous pas demandé à quoi ressemblerait la suite?
Burgess : Ce n’est pas ce que j’ai pensé en premier, non. J’étais surtout content pour Bony, Teddy et les autres: en tant que footballeur, on rêve d’une telle progression. Ils l’ont tous bien méritée. Je suis devenu leur plus grand supporter et je suis les résultats des championnats allemand ou français pour voir comment ils se comportent. Il y a deux ans, j’aurais pu m’inquiéter de leur départ, mais entre-temps, je sais que le club trouve toujours des remplaçants équivalents. De nouveaux joueurs, c’est aussi un nouvel élan, car ce sont des hommes qui ont faim, qui veulent faire leurs preuves.
Deux joueurs se sont distingués cette saison: Cameron Puertas et Mohammed Amoura. Quand on voit à quel point Puertas joue bien, et qu’on se dit qu’il était sur le banc de l’Union l’année dernière…
Burgess : Cela va de pair avec le départ d’autres joueurs. Au poste de Puertas la saison dernière, il y avait Teddy Teuma, l’un des meilleurs footballeurs du championnat belge. Difficile de l’évincer. Le fait que Puertas excelle aujourd’hui mérite des éloges, mais ce qui est encore plus beau, c’est qu’il a continué de travailler dur l’année dernière, même s’il était sur le banc. Une fois qu’il a eu sa chance, il l’a saisie à deux mains.
Vous n’êtes pas le défenseur le plus rapide du championnat, ça doit être un cauchemar de défendre sur Amoura à l’entraînement, non?
Burgess : Je suis content que nous jouions rarement à onze contre onze à l’entraînement: il n’a pas l’occasion de me faire mal avec ses accélérations (rires). Je n’ai pas souvent vu un attaquant aussi rapide et précis dans la finition. Amoura est une attraction: une vague de frissons parcourt le stade lorsqu’il reçoit le ballon. On remarque que les adversaires commencent à se concentrer sur lui, ce qui crée de l’espace pour les autres joueurs.
Dans votre pays d’origine, sait-on qu’un Britannique joue au plus haut niveau en Belgique? Des clubs de Premier League se sont-ils renseignés sur vous cet été?
Burgess : Aucune offre n’est arrivée. Je ne suis pas dans le collimateur des clubs de Premier League et, franchement, cela me va très bien. Je suis heureux à l’Union. C’est un club ambitieux avec de nombreux fans et, en privé, je ne pourrais pas être plus heureux. J’aime Bruxelles, je m’y suis marié et j’y ai construit un cercle d’amis dont beaucoup n’ont rien à voir avec le football. Avant de laisser tout cela derrière moi, il faudrait une très belle offre sur la table. Pour un défenseur de 32 ans, ce n’est probablement pas possible. Ce n’est pas grave. Je ne pense pas avoir quoi que ce soit à prouver à mon pays d’origine, même si je suis un bien meilleur joueur aujourd’hui que lorsque j’ai quitté l’Angleterre. Je n’ai pas spécialement envie d’y retourner. Je pourrais rester en Belgique après ma carrière.
Il y a deux ans, vous aviez déclaré vouloir découvrir la Belgique d’Arlon à Nieuport. L’avez-vous fait?
Burgess : J’ai visité toutes les grandes villes. J’explore maintenant les petits villages. C’est surtout dans le sud du pays qu’on trouve de magnifiques endroits champêtres, pittoresques et paisibles. Je consulte surtout le Web à la recherche de jolies promenades. Lorsque j’ai un jour de congé, j’embarque mon chien dans la voiture et je pars me promener dans une vallée de l’Ardenne. Ou sur la plage. En Belgique, quelle que soit votre envie, vous n’avez jamais besoin d’aller bien loin.
L’ancien cycliste sur piste Kenny De Ketele, qui est végan, comme vous, dit que les autres se sentent souvent mal à l’aise face à ce choix, comme s’ils devaient se justifier, eux, de ne pas être végans. Le ressentez-vous aussi?
Burgess : L’idée qu’on puisse faire des choix éthiques dans son alimentation met apparemment les gens mal à l’aise, en effet. Beaucoup ont du mal à se retenir de critiquer les végans. Ce qu’ils disent, en fait, c’est que leur mode de vie est le seul valable. Bizarre, non? Personnellement, je me soucie peu de ce que les autres mangent. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de résistance au véganisme en Belgique, plus qu’au Royaume-Uni.
Les gens finiront-ils, un jour, par avoir honte de manger des animaux?
Burgess : Qui peut le dire? Mais il se pourrait que nous ayons honte de beaucoup de choses à l’avenir. Difficile de préciser lesquelles aujourd’hui. Récemment, j’ai entendu un humoriste dénoncer la façon dont nous gaspillons l’eau. N’est-il pas un peu fou de tirer la chasse alors que l’eau est une denrée précieuse qui pourrait devenir rare? Le regretterons-nous un jour, ou sommes-nous vraiment trop têtus pour être durables et économes avec les ressources que la nature nous offre?
Vous êtes bénévole à Care4Calais, qui accueille les migrants souhaitant se rendre en Grande-Bretagne. Quelle est la situation à Calais?
Burgess : Pire que jamais. Les gens continuent d’affluer, alors qu’il gèle et que nous venons de subir de fortes pluies. Essayez de camper dans ces conditions. Je ne me suis pas rendu sur le site depuis octobre – trop occupé, malheureusement – mais les images que l’on m’envoie de tentes déchirées et de sacs de couchage emportés par le vent m’attristent. Le fait que nous laissions nos semblables vivre dans des conditions aussi misérables en dit long sur notre espèce.
A Bruxelles aussi, des demandeurs d’asile dorment dans la rue.
Burgess : Je connais trop peu la politique bruxelloise pour me prononcer sur l’importance de ce problème, mais il me semble que la situation dans mon pays est pire. Les politiciens y sont certainement plus insensibles. Les gouvernements des pays riches peuvent de toute façon faire plus. Veiller à ce que les personnes qui fuient la guerre ou les persécutions aient un toit au-dessus de leur tête, c’est possible si la volonté politique est là.
Votre travail de fin d’études en histoire portait sur la course aux armements dans les années qui ont précédé la Première Guerre mondiale. Quels parallèles faites-vous avec la situation actuelle? La Suède, par exemple, a augmenté son budget de défense par crainte d’une invasion russe.
Burgess : Heureusement, je vois encore des différences. Le fait que les pays européens investissent dans leurs armées est, bien sûr, effrayant et augmente la probabilité d’un conflit. D’un autre côté, ces investissements semblent avoir pour but de dissuader la Russie de provoquer une escalade dans la confrontation. Mais les années que nous vivons en Europe sont angoissantes. Lorsque j’étais enfant, il régnait un sentiment naturel de paix. Comme si rien ne pouvait nous arriver. Puis les guerres ont fait rage en Irak et en Afghanistan. Aujourd’hui, c’est l’Ukraine et Gaza, beaucoup plus proches de notre porte. Mais je ne suis pas un expert. Je ne suis qu’un footballeur. Je ne lis plus souvent de livres d’histoire. Aujourd’hui, je m’intéresse davantage à la politique contemporaine et aux grandes questions de notre temps, comme le changement climatique, l’écologie et les flux migratoires. Pour Noël, ma femme m’a offert le livre Crossings, du journaliste Ben Goldfarb. Il traite de l’écologie routière, de la manière dont la nature est largement contrôlée, mais aussi mal gérée par la façon dont nous, les humains, construisons les routes. On ne regarde plus jamais un carrefour de la même manière. J’aime cela: regarder le monde d’une manière différente. Une intuition qui bouleverse vos certitudes.
Revenons au football: vous êtes particulièrement expressif sur le terrain et un maître du trashtalk. Vous bousculez les adversaires pour les déstabiliser. La tactique est-elle payante?
Burgess : Je viens du football anglais: charrier fait partie de notre culture footballistique. Vous harcelez l’adversaire jusqu’à ce que la fumée lui sorte des oreilles et vous essayez de prendre le dessus mentalement. Pour moi, c’est tout à fait normal, mais je remarque qu’en Belgique, les footballeurs n’y sont pas habitués. Devrais-je changer à cause de cela? Je ne pense même pas pouvoir le faire. Par nature, je suis un joueur particulièrement compétitif. Même dans un match de tennis de table, je remue ciel et terre pour battre mon adversaire. J’aime la bataille, j’aime aller au bout de moi-même. C’est ce qui fait la beauté du football: deux équipes se donnent à fond et, à la fin, on goûte à la douce saveur de la victoire. J’aime les plaisanteries, les taquineries à la limite de ce qui est permis. Et j’apprécie l’interaction avec les supporters de l’équipe adverse. Qu’ils me fassent passer pour le méchant, c’est d’autant plus gratifiant quand mon équipe gagne (rires).
La saison dernière, vous avez imité un pêcheur à la ligne après avoir repoussé une dangereuse attaque de Bruges. Pour montrer que nous tenons cette équipe au bout de l’hameçon. Vous ne vous êtes jamais demandé «aurais-je vraiment dû faire cela»?
Burgess : C’était juste une blague, vraiment. Je sais que cela peut tout aussi bien m’exploser à la figure si le match bascule. Tant que c’est fait avec humour… Il n’y a jamais de méchanceté quand je réagis de cette manière. Il s’agit de charrier, tout en sachant que l’on peut se faire charrier soi-même. Je l’accepte des autres, d’ailleurs. J’en suis même ravi, car ce genre de chose alimente le feu.
Quel joueur a la meilleure répartie dans le championnat belge?
Burgess : Peu de joueurs sont capables de trashtalk, mais les Sud-Américains de Genk peuvent être de bons clients. Et tant mieux: j’aime les duels animés.
Pourquoi cette année sera-t-elle la bonne pour l’Union?
Burgess : Parce que nous avons appris de nos échecs. La saison dernière, nous avions tout en main, mais nous avons tout gâché. Toby Alderweireld a renversé le championnat avec un but magnifique, mais si nous avions simplement gagné notre match contre le Club de Bruges, cela n’aurait pas eu d’importance. La mission est claire: rester calme et concrétiser nos occasions. Il est encore trop tôt pour en parler, mais j’attends avec impatience les play-offs. Vous jouez dix matchs et vous affrontez des adversaires qui sont parfois hors de la course au titre et qui vous attendent avec moins de stress dans les jambes. C’est dangereux. Mais je suis persuadé que notre équipe est à la hauteur de ce défi.
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