Bryan Heynen, le capitaine discret et complet de Genk
Alors que l’absence de Nicolas Raskin de la pré-sélection des Diables rouges provoque quelques remous sur les réseaux sociaux, la présence de Bryan Heynen ne semble souffrir d’aucune discussion. Sans doute parce qu’elle est passée en toute discrétion, comme le meilleur début de saison de sa carrière.
Au coeur d’un mercato d’été agité dans les coulisses de la Cegeka Arena, Bryan Heynen est resté le capitaine toujours droit dans la tempête. Pourtant avant de refermer le chapitre d’une saison 2021-22 plutôt décevante pour Genk, il avait confié à notre magazine qu’il pourrait envisager un départ malgré une prolongation de son bail jusqu’en 2026. Après plus de 200 rencontres jouées pour le compte de son club formateur, peut-être était-il temps de franchir un palier dans sa carrière. « Peut-être que c’est donc le moment de m’en aller. Mais j’insiste vraiment que si ça n’arrive pas, je ne vais pas m’en plaindre. Si c’est possible, j’aimerais franchir le pas », affirmait-il, toujours avec ce souhait de ne pas faire de vague .
La discrétion est sans doute l’un des mantras d’un homme dont le brassard jaune fluo de capitaine sur son maillot bleu apparaît presque comme une forme d’excentricité. Si l’Espagne ou l’Italie, destinations qui bénéficiaient de ses faveurs en cas de déménagement loin de son Limbourg natal, attendront, Wouter Vrancken a en revanche directement pu compter sur les talents de celui dont le premier match pro sous le maillot de Genk remonte déjà à juillet 2015.
Dans le déroulement d’un duel qui sera remporté 3-1 par une équipe alors guidée par un Peter Maes aux antipodes des préceptes tactiques de l’actuel T1 du Racing Club, Heynen prend le relais de Wilfred Ndidi, parti depuis lors à Leicester City pour nettoyer les pelouses de Premier League avec ses compas. Le Nigérian ne compte pourtant que trois mois de plus que le Belge, mais sa carrière s’est directement envolée.
Leandro Trossard pour exemple
Bryan Heynen serait plutôt à ranger dans la catégorie des late mature, ces joueurs qui ont besoin de plus de temps pour progresser mais qui finissent quand même par atteindre un niveau qu’on ne leur prédisait pas forcément au début de leur carrière. Peut-être pourra-t-il un jour marcher sur les traces d’un autre garçon passé par l’académie de Genk: Leandro Trossard.
Deux années et trois mois séparent les deux pépites genkoises. Soit un peu moins que la période depuis laquelle il a installé ses quartiers à Brighton. Considéré à ses débuts comme moins doué qu’un Siebe Schrijvers, Trossard a accepté de reculer pour mieux sauter. Prêté à Lommel ou à Westerlo, qui évoluaient alors dans l’antichambre de l’élite, l’ailier a aussi effectué un détour par Louvain avant de revenir s’installer dans le onze de Genk où il jouera un rôle important dans la conquête du titre en 2019 sous la direction de Philippe Clement. C’est finalement quelques mois plus tard, avec le brassard autour du biceps, qu’il rejoindra Brighton où, étape par étape, il s’est imposé comme l’un des pions majeurs, capable aujourd’hui de marquer contre les cadors anglais que sont Liverpool, Manchester City ou Chelsea. Ce dernier club pourrait d’ailleurs être sa prochaine destination, si d’aventure le Mondial au Qatar devait le consacrer dans un rôle d’acteur principal.
Bien moins spectaculaire, Bryan Heynen est devenu le patron du rond central du Racing. Le collectif a toujours été au centre de ses préoccupations, une qualité susceptible de plaire à Roberto Martinez. Mais peut-on vraiment l’imaginer s’inviter dans la liste des 26 pour la Coupe du monde, surtout à un poste qui regorge de qualités dans les rangs nationaux ?
Le collectif au-dessus de tout
« Je suis assez raisonnable à ce sujet. Si vous n’étiez pas dans le noyau large des 36 et que vous n’avez pas été appelé au moment où les internationaux ayant plus de 50 sélections ont été autorisés à rester à la maison, les chances de faire partie du noyau des 26 pour le Qatar sont très minces », confiait le capitaine de Genk au Het Belang van Limburg voici peu. « Je comprends que je n’ai pas été appelé la saison dernière parce que j’étais en moins bonne forme, tout comme l’équipe. Avec mon niveau actuel, je mérite peut-être une sélection. Même si, bien sûr, la concurrence est grande au sein du deuxième meilleur pays du monde. »
Il est vrai qu’au moment de jeter un oeil sur la liste des postulants, l’on peut s’apercevoir que des garçons d’un tout autre calibre évoluent au centre du terrain. Et la concurrence y est certainement plus féroce qu’au sein d’une défense centrale où il est plus facile pour un Zeno Debast d’être repris étant donné le déclin amorcé par une grande majorité de ses composants.
Mais quels sont les atouts que Bryan Heynen pourrait avancer dans sa lettre de motivation rédigé pour Roberto Martinez ? Tout d’abord, son sens du timing, qui lui permet de pousser toujours au bon moment les portes de la surface adverse. Pour le reste, ses forces s’apprécient principalement quand il n’est pas en possession du ballon. L’homme est très différent à ce niveau d’un Axel Witsel ou d’un Youri Tielemans qui vont cajoler le cuir bien plus longtemps avant de le passer. Cette caractéristique explique que le joueur de l’Atlético Madrid ne rate en moyenne que 0,3 contrôle par rencontre, là où le capitaine limbourgeois en loupe 1,5 , mais avec une prise de risque plus importante dans ses gestes.
Son pourcentage de passes réussies n’est d’ailleurs que de 74,5%, soit 20 de moins que celui de Witsel. En Premier League, Tielemans effectue autant de mauvais contrôles, beaucoup plus qu’avec les Diables rouges où, dans une mission plus conservatrice, il en rate à peine plus que notre sentinelle attitrée. Mais en terme de passes, malgré un jeu beaucoup plus direct, le joueur formé à Saint-Guidon réussit en moyenne 10% de passes en plus que Bryan Heynen. Amadou Onana, dernier joueur aligné dans le onze diabolique en Nations League, présenterait un profil plus proche de la boussole de Genk. Il rate en moyenne 1,2 contrôle par rencontre et réussit en moyenne 80% de ses passes.
Alors que Witsel et Onana limitent leurs prises de risque, ce qui justifie leur faible nombre de longs ballons joués et de passes clés adressées, Heynen rivalise avec Tielemans dans la passe qui fait la différence, même s’il reste plus en retrait dans l’utilisation de la longueur.
La grande force d’Heynen est donc d’identifier les espaces et s’y engouffrer quand le jeu le demande. Lors du titre de champion en 2019, le milieu avait fait trembler les filets à cinq reprises en se créant 5,01 expected goals. Une statistique plutôt bluffante pour un homme qui avait attendu plus de trois ans pour marquer son premier but en championnat belge. Avant cette réalisation du lendemain de Noël 2018, Heynen ne comptait seulement que deux goals en Europa League à son compteur.
Malgré ses faits d’armes, le natif de Bree était surtout un douzième homme précieux qu’un membre de l’équipe de base, qui comprenait en son coeur des joueurs de la trempe de Sander Berge, Ruslan Malinovskyi et Alejandro Pozuelo.
Avec le départ de ce trio, Heynen est devenu titulaire indiscutable sous la houlette de John van den Brom. Désormais, c’est lui qui fait tourner l’équipe grâce à sa puissance, son sens de l’anticipation et sa lecture du jeu. Toujours bien positionné, il enchaîne les courses d’un rectangle à l’autre en ne rechignant pas d’aller au duel quand cela s’avère nécessaire. Le récupérateur sorti du centre de formation ne semble donc plus utile qu’en perte de balle. iI apporte aussi clairement quelque chose lorsque son escouade se trouve en possession du ballon. Sa capacité à bloquer les contres, à récupérer le ballon très haut et sa disponibilité pour installer la possession le plus près de la surface adverse sont des atouts considérables dans le style qu’a mis en place Wouter Vrancken à la Cegeka Arena. Véritable GPS du Racing, il trouve toujours l’endroit où se placer pour aider son équipe.
GPS ou carrilero
Heynen serait même une sorte de carrilero, comme l’on appelle parfois ces joueurs polyvalents dont les qualités s’expriment souvent mieux dans un milieu en losange. Ils sont aussi essentiels dans la gestion d’un match car ils assurent une base défensive tout en étant des contre-attaquants de premier choix. Grâce à ses qualités, le discret Bryan Heynen est l’un des joueurs de l’ombre les plus décisifs de la Jupiler Pro League avec six buts et deux assists. La saison belge n’en est même pas à la moitié de son chemin qu’il s’offre quasiment déjà les meilleurs chiffres de sa carrière au sein d’un Racing qui caracole en tête de la compétition. L’année du titre, il avait seulement été décisif deux fois de plus (5 buts en 5 assists en 35 sorties).
Gonflé à bloc par les idées de Vrancken, le capitaine limbourgeois s’offre même l’un des buts de ce début de saison lors du choc contre l’Antwerp. D’un magnifique ciseau, il ponctue une offrande de Mike Trésor dans la profondeur après une belle combinaison collective. Preuve que le sens du devoir peut parfois être parsemé d’un brin de folie.
« Le ballon est venu un peu derrière moi, j’ai donc dû faire demi-tour et prendre le ballon en volée. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir, mais il était à l’aise avec ça. Déjà mon sixième cette saison. Je n’ai jamais été capable de faire ça », raconte un Heynen dont de nombreux observateurs parmi lesquels Patrick Goots ou René Vandereycken souligne les progrès. Marc Brys, le technicien d’OHL souligne les mérite de confrère de Genk. « Vrancken dispose de beaucoup de talents à sa disposition, mais il est capable de les bonifier. La progression de Bryan Heynen en est le meilleur exemple », pense l’entraîneur à la chevelure blanchie par les années.
Un avenir bouché chez les Diables à court et moyen terme ?
S’il sera sans doute trop court (sauf cascade de blessures) pour accompagner la sélection diabolique au Qatar, le capitaine de Genk pourrait peut-être profiter du changement de génération pour faire son trou sous la vareuse rouge. Mais il n’est pas convaincu que cela arrivera. « Mon plus gros problème, je pense, est que je me situe entre deux générations. J’étais encore trop jeune lorsque l’équipe actuelle, composée de trentenaires s’est formée. Et je n’appartiens pas au groupe des jeunes que l’on prépare à prendre la relève » , estime-t-il. « Lors de la prochaine Coupe du monde en 2026, j’aurai presque 30 ans. Bien sûr, je serai toujours disponible, je considère que c’est un grand honneur d’être un Diable Rouge. »
Un constat partagé par Franky Van der Elst, ancien grand milieu de terrain de la sélection belge dans les années nonante. « Ce ne sera pas facile pour Bryan. La concurrence au milieu n’est pas des moindres. En plus d’Onana, Witsel, Tielemans et Hans Vanaken, j’ajouterai aussi Kevin De Bruyne et Trossard. Ce n’est pas rien », explique le double Soulier d’or (1990 et 1996). Sans oublier que dans le futur, il sera aussi confronté à des joueurs plus jeunes et peut-être plus naturellement doués comme Orel Mangala, Albert Sambi Lokonga ou surtout Roméo Lavia. Ce dernier semble incarner l’avenir doré diabolique tant il a séduit les observateurs dès ses premières touches de balle chez les professionnels.
Mais à Bryan Heynen de s’inspirer d’un Leandro Trossard qui finira peut-être par remplacer dans les coeurs belges un Eden Hazard sur la pente descendante avant de tenter d’en faire de même à Chelsea, si le transfert se conclut. La patience, la discrétion et le travail sont parfois plus utiles que le talent pur pour tutoyer les sommets. Et peu importe le temps que cela prend et si cela doit passer par le Limbourg ou un changement d’air en Espagne ou en Italie.
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