
Coupe d’Europe, mercato et victoires de prestige: Bruges fait-il partie des 30 meilleures équipes du monde?
Les Brugeois ont atteint les huitièmes de finale de la Ligue des champions. Une troisième campagne européenne réussie de suite, comme un signe: celui que le Club de Bruges devient une référence au-delà des frontières.
Le client est du genre prestigieux. A la bataille aux sommets du championnat italien avec l’Inter et Naples, l’Atalanta Bergame a surtout récemment étoffé son palmarès avec une coupe d’Europe. Plus précisément l’Europa League, deuxième dans l’ordre d’importance de la trilogie annuelle des compétitions continentales. Au printemps dernier, pendant que les Lombards garnissaient leur armoire à trophées, Bruges se hissait dans le carré VIP de la Conference League, compétition de prestige inférieur et qu’on aime présenter sur les prés belges comme la seule dont les derniers étages sont réellement accessibles aux plus grosses écuries nationales.
Sur le papier, Bruges ne boxe donc pas dans la même catégorie que son adversaire lors de ces barrages de la Ligue des champions. Pourtant, le Club s’en sort au bout d’un match mature, avec une souffrance récompensée digne des plus grands. En Italie, les coéquipiers de Charles De Ketelaere tirent 30 fois au but, mais ce sont les Belges qui repartent avec la victoire et la qualification. Un exploit qui devient presque une norme, actant déjà définitivement la troisième campagne européenne réussie pour les Brugeois. Le tout avec trois coachs différents, prouvant que le système mis en place par le président Bart Verhaeghe et son désormais ex-bras droit Vincent Mannaert n’a pas de visage précis sur le banc de touche.
Au coefficient européen des trois dernières saisons, Bruges se hisse ainsi actuellement à la seizième place continentale. C’est mieux que des gros calibres comme Chelsea, Tottenham, Manchester United ou la Juventus. Mieux aussi que le FC Porto, l’un de ces clubs tremplins à la hauteur desquels le Club brugeois tente de se hisser depuis plusieurs années. En fait, il n’y a qu’un seul autre club portugais, en l’occurrence des Lisboètes du Benfica, qui fait mieux que les «Blauw en Zwart» dans ce laps de temps sans faire partie de ce qu’on appelle le «Big Five», surnom des cinq grands championnats du Vieux Continent (Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie, France).
Les plans de la machine brugeoise
Derrière ces locomotives réparties sur cinq voies, Bruges semble avoir changé de dimension. Le Club fait désormais partie des entités les plus régulières de «l’autre Europe», et emmène dans son sillage une Jupiler Pro League dont les performances continentales s’améliorent chaque année. Quand il a vu les Néerlandais de Feyenoord se hisser jusqu’à la finale de la première édition de la Conference League, au printemps 2022, le président Verhaeghe s’est dit qu’une telle performance devait également être à la portée d’un club belge. Le sien, par exemple, quand une saison nationale manquée en 2022-2023 a donné à Bruges l’opportunité de se confronter à cette nouvelle compétition l’année suivante. Eliminés à une marche de la finale par la Fiorentina, les Blauw en Zwart n’ont pas concrétisé le rêve présidentiel, mais ont profité de cette saison deux échelons plus bas pour confirmer que leur nouveau statut de routinier des joutes continentales était précieux pour faire partie des outsiders.
La saison dernière, si un sprint final exceptionnel et inattendu sous les ordres du surprenant Nicky Hayen a permis à Bruges de décrocher son sixième titre de champion de Belgique en neuf ans, le parcours européen avait très tôt fait office de priorité pour Ronny Deila, coach norvégien arrivé du Standard à l’intersaison. Avant même la phase de poules, la pression était à son comble dans les couloirs du Belfius Basecamp, le centre d’entraînement du Club basé à Westkapelle (Knokke), à l’heure d’affronter les Espagnols d’Osasuna. C’est que pour le «FCB», au-delà de la suprématie nationale, briller au-delà des frontières est devenu une priorité. «On veut être le numéro 1 en Belgique, évidemment, mais aussi avancer en Europe, détaille Dévy Rigaux, le trentenaire devenu Director of Football après le départ de Vincent Mannaert. Pour ça, on doit préserver notre ossature et avoir une continuité. Pour avancer, on doit connaître notre position dans le football européen.»
Esquissée par Mannaert, la stratégie brugeoise est devenue une référence nationale sur laquelle tous se calquent, même si certains rivaux historiques n’osent pas l’avouer publiquement. Bâtie autour de joueurs comme Simon Mignolet, Brandon Mechele et Hans Vanaken, précédemment accompagnés dans ce rôle par Ruud Vormer ou Clinton Mata, la colonne vertébrale du noyau brugeois est la garantie de succès locale et le socle sur lequel peuvent s’appuyer les jeunes talents venus des quatre coins des rectangles verts du globe. «Chaque saison, ils ont repoussé l’intérêt de l’étranger pour Hans Vanaken, en augmentant parfois son contrat, mais toujours dans le but de garder leurs joueurs importants, détaille Tim Matthys, directeur sportif de Malines et admirateur affirmé de la méthode Mannaert. Ensuite, ils y ont ajouté des grands talents comme Antonio Nusa ou Tajon Buchanan, qui avaient des qualités exceptionnelles. C’est comme ça qu’ils ont mis leur système en place, et qu’ils sont redevenus une institution.»
Au-delà du mercato, Bruges a également investi dans son centre de formation, talon d’Achille du deuxième plus gros palmarès du pays par rapport à un Anderlecht qui fait fortune depuis plusieurs années grâce aux pépites de son académie bruxelloise, installée à Neerpede. Le Club n’a pas encore vendu de joyaux de façon aussi spectaculaire que son éternel rival, à l’exception notable de Charles De Ketelaere (37,5 millions d’euros au Milan AC lors de l’été 2022), mais s’est présenté lors de son barrage de Ligue des champions avec un onze où se retrouvaient quatre joueurs formés au sein de son école de jeunes: le taulier Brandon Mechele, mais aussi les jeunes Maxim De Cuyper (24 ans), Joaquin Seys (19 ans) et Chemsdine Talbi (19 ans), auteur d’un doublé et désigné homme du match après le coup de sifflet final à Bergame. Les signes d’une nouvelle politique qui commence à porter ses fruits sportifs, et devrait bientôt engendrer d’importantes retombées financières sur le marché des transferts.
Dans la cour des grands, à l’ombre des géants
Le mercato fait partie intégrante du modèle brugeois. Son président Bart Verhaeghe l’affirme sans détour: «Les grands clubs deviennent plus forts et plus riches. La Belgique est un pays de formation et de transition, et nous devons faire en sorte de continuer à nourrir ces grands clubs.» A ce titre, les qualifications continues en Ligue des champions sont non seulement une vitrine de choix, mais elles offrent aussi très souvent aux jeunes du Club l’opportunité de disputer sa version miniature, la Youth League, destinée aux talents de moins de 19 ans. Là, les meilleurs jeunes brugeois ont récemment eu l’opportunité de se mesurer à ceux de Manchester City, du PSG ou de l’Atlético Madrid. En 2022, face aux U19 des «Colchoneros», Bruges s’alignait ainsi avec Joaquin Seys, Chemsdine Talbi et le très prometteur Equatorien Joel Ordóñez sur le terrain, alors que l’entraîneur Nicky Hayen était installé sur le banc. Comme une preuve qu’à Bruges, le succès se cultive.
L’argent aussi. Parce que depuis la sortie de la crise sanitaire, et donc le mercato de l’été 2020, le Club a renfloué ses caisses grâce à 251 millions d’euros de transferts sortants. Sur toute la planète footballistique, ils ne sont que 38 clubs à avoir des recettes plus importantes sur le marché des transferts lors de cette période. Si on exclut les entités des cinq grands championnats européens, gloutons financiers grâce à des moyens bien plus importants, le «FCB» pointe même à la sixième place continentale. Seuls les Portugais de Benfica (680 millions), de Porto (476) et du Sporting (373), historiques bons vendeurs et pourvoyeurs immédiats des plus grands clubs, ainsi que les Néerlandais de l’Ajax Amsterdam (599) et les Autrichiens de Salzbourg biberonnés au système RedBull (341) font mieux que les Brugeois. Les ventes prochainement planifiées de De Cuyper, Ordóñez, et du milieu de terrain nigérian Onyedika, avant celles déjà envisageables de Seys, Talbi ou du Suisse Ardon Jashari, devraient encore faire gonfler la trésorerie bleue et noire.
«On est un petit pays avec des petits budgets», racontait Bart Verhaeghe au journal Le Monde lors de sa dernière confrontation avec le Paris Saint-Germain. Sur une autre planète que les richissimes parisiens, les Brugeois ont toutefois développé une entreprise passée d’une trentaine à deux centaines d’employés, aux profils souvent piochés dans les autres clubs belges où ils ont l’opportunité de faire leurs preuves. Verhaeghe, ainsi que Mannaert avant son départ, ont installé une culture de l’excellence parfois difficile à vivre pour des employés sous pression, mais obstinément orientée vers la réussite collective. Le tout sans avoir peur de se donner les moyens de ses ambitions. Si on excepte les arrivées au RWDM d’Ernest Nuamah et au Standard de Zinho Vanheusden, deux transferts dus à des montages financiers complexes, 20 des 35 transferts entrants les plus chers de l’histoire du championnat de Belgique ont été réalisés par les Blauw en Zwart. Sur cet aspect, la véritable concurrence de Bruges se situe donc également au-delà des frontières. Les 166 millions d’euros dépensés pour attirer de nouveaux talents dans la Venise du Nord depuis l’été 2020 placent ainsi le Club à la huitième place des clubs européens hors du «Big Five» à avoir posé le plus d’argent sur le mercato derrière Benfica (430 millions), l’Ajax (318), le Sporting (259), le Zenit Saint-Pétersbourg (215), les Turcs de Fenerbahçe (212) et Galatasaray (179), et le FC Porto (203). Si Bruges ne met pas encore cette prestigieuse concurrence internationale K.-O., il est évident que les hommes de Bart Verhaeghe boxent désormais dans la même catégorie.
Bientôt dans le Top 30 mondial?
Où se situe réellement Bruges dans la hiérarchie internationale? Le coefficient européen est un indice important, mais écarte de l’équation les clubs des grandes compétitions qui se classent juste derrière les places qualificatives pour les Coupes d’Europe dans des ligues bien plus concurrentielles. La réponse pourrait se trouver sur le site de Opta Analyst, qui réalise un «Power Ranking» du football mondial en proposant un algorithme qui répond à cette question: «Qui sont les meilleures équipes de football au monde?»
Evolutif, le classement change de semaine en semaine, et place actuellement Liverpool au sommet de sa hiérarchie, devant Arsenal et le Real Madrid. Parmi les 50 premiers classés, on remarque rapidement la suprématie des ligues du «Big Five» qui y positionnent 41 représentants dont quinze pour la seule Premier League anglaise, incontestablement le championnat de plus compétitif de la planète. Actuellement à la 31e place mondiale, devant des écuries du calibre de l’AS Roma, Manchester United ou Dortmund, Bruges est la quatrième équipe du classement si on écarte tous les membres des cinq ligues majeures du Vieux Continent, seulement devancé par le PSV Eindhoven, le Sporting CP et Benfica. Le Club est de cette étoffe. Un nouvel acteur important du subtop européen.
Le dernier palier à gravir reste symbolique. Si franchir l’hiver en Ligue des champions ou se hisser en demi-finale de Conference League est déjà une performance aux airs d’exploit, elle n’est pourtant pas de celles qui marquent les mémoires comme une finale européenne ou une entrée dans le «grand huit» des quarts de finale de la reine des compétitions continentales. Au printemps dernier, Bruges est passé tout près de la finale de la «C3». Cette fois, l’opportunité est sur la scène la plus brillante d’Europe. Aston Villa est un adversaire coriace. Mais Bruges ne s’interdit plus de rêver. Le privilège des gros calibres.
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