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Bruges champion, avec la recette préférée de Vincent Mannaert

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Mis à l’honneur avant le coup d’envoi face au Cercle, Vincent Mannaert quitte le Club sur un sacre qui incarne à merveille sa vision du succès.

Tout semble maîtrisé. Presque orchestré. Le chaos d’un envahissement de terrain est soigneusement contenu jusqu’au coup de sifflet final et la scène se déroule presque sans heurts. La liesse brugeoise est sous contrôle, parce que le joug bleu et noir sur le championnat ne connaît que de rares interruptions. Brassard de capitaine au biceps, Hans Vanaken est porté vers le ciel avec, au bout du bras, son sixième titre de champion en neuf saisons passées dans la Venise du Nord. Le plus inattendu, sans doute. Parce qu’au coup d’envoi des play-offs, le retard du Club sur une Union alors intouchable se chiffrait à 19 points. Jamais une équipe ayant entamé le sprint final avec un tel handicap, même divisé par deux, n’avait coiffé les lauriers au dernier coup de sifflet. Paradoxal, encore plus quand l’exploit est réalisé par un club qui fait office de chef de file des opposants aux play-offs. Bruges plaide de longue date pour un retour à un championnat classique, notamment parce qu’il se porte assez bien financièrement pour que les droits télévisés plus alléchants permis par la formule ne soient pas indispensables à sa survie.

Le Club est sacré sous les ordres d’un anonyme, employé sans histoire qui semblait être là pour rendre service plutôt que pour se mettre en valeur.

Bruges boxe dans une catégorie à part, et il aime le rappeler. Cette saison, dès les premières rencontres de l’été, la pression était bien supérieure pour venir à bout d’Osasuna en tour préliminaire de la Conference League que lors des premiers duels contre Gand et Anderlecht. Dans le vestiaire comme dans les bureaux du Club, on rêvait plus volontiers d’un exploit européen que d’une nouvelle couronne nationale. Souvent surnommé «le Bayern de Belgique» pour son outrageuse domination sur le football belge depuis près d’une décennie, Bruges se voit plutôt en Real Madrid des championnats de seconde zone, aspirant à étendre sa puissance au-delà des frontières.

Quand le rêve européen s’est envolé en demi-finale contre la Fiorentina, alors que la Coupe de Belgique avait filé entre leurs doigts au même stade, les Brugeois se sont donc focalisés sur le championnat, et cette course-poursuite rendue possible grâce à la division des points. Pas besoin de marathon ou de comptes d’apothicaire, il restait quelques matchs de prestige et il fallait tous les gagner.

Mettez un titre à la portée d’Hans Vanaken, et le capitaine du Club se transforme en compétiteur hors du commun, emmenant une équipe rajeunie dans son sillage. Nommé coach à la place de Ronny Deila avant le coup d’envoi des play-offs, Nicky Hayen l’admet sans fard une fois le titre en poche: «Je n’ai pas de secret. J’ai juste essayé de donner les clés du jeu aux joueurs expérimentés qui avaient déjà gagné des trophées.»

Pour le futur ex-CEO, Vincent Mannaert, il faut dépersonnaliser un succès.

Le titre «sans coach», le rêve de Mannaert

A l’ère où le choix du coach devient un enjeu majeur pour définir la philosophie de jeu d’une équipe, Bruges a réussi le tour de force d’en faire une question secondaire. Nicky Hayen n’est qu’un nom de plus sur la liste de ceux qui ont soulevé le trophée au bout de la saison depuis 2016. Le cinquième, après Alfred Schreuder, Philippe Clement, Ivan Leko et Michel Preud’homme. Déifié au stade Jan Breydel, l’ancien gardien des Diables est toujours considéré aujourd’hui comme l’homme qui a remis le Club sur le chemin du succès. Le seul auquel les dirigeants vouent encore une sorte de culte, alors que l’identité de ses successeurs ne les a paradoxalement jamais trop inquiétés. «Un entraîneur principal est important, mais un grand club doit parvenir à dépersonnaliser son succès», disait déjà Vincent Mannaert au printemps 2016 quand Preud’homme, tout juste sacré champion, envisageait une année sabbatique. Les titres accumulés par la suite n’ont fait que confirmer la pensée du CEO brugeois, honoré avec un faste hors du commun en prélude à ce match du titre face au voisin du Cercle.

«Merci Vincent», peut-on lire grâce à la mosaïque de papiers noirs, bleus et blancs brandis par les supporters dans les quatre tribunes de l’enceinte brugeoise. Si sa sortie aura été ternie par les révélations sur son assuétude à l’alcool et un traitement parfois très dur réservé à ses employés, Mannaert quitte le Club avec le sentiment du devoir accompli et la reconnaissance d’une majorité de ceux qui l’ont côtoyé pour la qualité de son travail. Les rapports parfois musclés avec les entraîneurs qui ont succédé à Preud’homme ont, certes, fait des étincelles, mais tous admettent que le CEO s’est toujours battu dans l’intérêt bleu et noir, n’hésitant pas à se confronter à l’avis de son patron Bart Verhaeghe avec lequel les rapports se sont refroidis au fil du temps.

Comme s’il fallait rendre l’hommage encore plus symbolique, le dernier titre de Vincent Mannaert sera la plus belle incarnation de sa pensée du succès dépersonnalisé. Difficile, en effet, de mettre un visage sur ce sacre brugeois. Certes, Hans Vanaken a semblé marcher sur l’eau lors des play-offs, mais il n’y a pas marqué le moindre but. Bien sûr, le génial Andreas Skov Olsen a fait parler son pied gauche pour accumuler 26 buts plantés toutes compétitions confondues, mais le Danois était trop souvent hors du terrain pour être couronné comme un inévitable ténor. Même le Brésilien Thiago, buteur acheté plus de dix millions d’euros et capable d’empiler les roses malgré une apparente maladresse, a manqué l’occasion de marquer les esprits avec une blessure qui l’a privé des dernières rencontres. Le constat est identique pour Simon Mignolet, taulier entre les perches et encore sacré Soulier d’or au terme de l’année 2022 mais irrégulier cette saison, et parfaitement remplacé par l’inattendu Nordin Jackers lors de son absence.

Bruges plaide de longue date pour un retour à un championnat classique. Ce titre le fera-t-il changer d’avis?

Non, ce Bruges n’a décidément rien d’un champion incarné. Il a pris le titre presque par défaut, parce que personne d’autre n’en semblait psychologiquement capable alors que pour Mechele, Mignolet ou Vanaken, il suffisait simplement de faire comme d’habitude. Comble du «Mannaertisme», le match du titre s’est joué avec Michiel Jonckheere, remplaçant du coach intérimaire suspendu Nicky Hayen, sur le banc. Le tout sans sembler inquiéter démesurément les joueurs sur le terrain, dont le calme permanent contrastait avec la fureur des tribunes à chaque décision arbitrale. Le Club avait entamé la saison en optant pour un coach à la personnalité très forte, préférant le charisme exacerbé de Ronny Deila aux plus calmes Karel Geraerts ou Jonas De Roeck. Il l’a conclue sous les ordres d’un anonyme, employé sans histoire qui semblait être là pour rendre service plutôt que pour se mettre en valeur.

Le capitaine brugeois, Hans Vanacken, fête son sixième titre de champion en neuf saisons passées dans la Venise du Nord.

Deila le patron et Hayen l’employé

En privé, Ronny Deila s’est souvent plaint de ce qu’il manquait à son noyau. Il déplorait l’absence d’un défenseur central référencé, a montré son agacement sur l’absence de solutions au poste d’arrière droit en y alignant longuement le gaucher Maxim De Cuyper, et réclamait surtout sans cesse l’arrivée d’un milieu de terrain défensif capable d’animer le jeu à la relance. Plus dynamique que précis, le Nigérian Raphaël Onyedika était considéré comme insuffisant pour ce rôle par l’entraîneur norvégien, qui avait longuement poussé l’été dernier pour faire venir de Brighton un Steven Alzate qu’il avait côtoyé au Standard.

Au final, l’équation s’est inversée: unique transfert véritablement obtenu par Deila, le Danois Philip Zinckernagel n’a joué qu’une cinquantaine de minutes réparties en cinq apparitions lors des play-offs, alors qu’un Raphaël Onyedika remis en confiance a inscrit trois buts dans le sprint final, seulement devancé par Skov Olsen au sein de son vestiaire. Le jeune Kyriani Sabbe, puis le chevronné Dennis Odoi ont assuré l’essentiel à l’arrière droit, et Bruges s’est appuyé sur le recrutement de son projet NXT (son équipe des moins de 23 ans où se développent de jeunes talents belges et internationaux) pour muscler sa défense avec la promotion de Joël Ordóñez aux côtés de Brandon Mechele. Longtemps envisagée l’hiver dernier, l’arrivée d’un défenseur central n’aura finalement pas été nécessaire pour conclure l’année avec un nouveau sacre.

Quel rôle a vraiment joué Nicky Hayen dans tout cela, lui qui a été salué par les supporters et leur chant «Nicky Hayen’s Blue Army» tout au long des play-offs? «Mon avenir? Je ne sais pas de quoi il sera fait, même si mon travail a été efficace», se contente de répondre l’intéressé. L’entraîneur est conscient que le succès de Bruges ne repose pas sur ses épaules, et qu’il n’est qu’un rouage dans la grosse machine à succès bleu et noir. Parce qu’en plus d’une décennie dans la Venise du Nord, Vincent Mannaert a mis en place une stratégie organisationnelle qui fait en sorte qu’un départ ne soit jamais autre chose qu’une anecdote dans l’engrenage du Club de Bruges. Même le sien?

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