
Belgique-Ukraine, l’analyse tactique: les Diables ont presque tout changé pour percer la forteresse
Analyse tactique de la victoire des Diables rouges contre l’Ukraine, en barrage retour de la Ligue des Nations (3-0).
Au pied des terrils qui transforment le plat Limbourg en région artificiellement montagneuse, on n’a jamais vraiment eu la fibre architecturale. Pourtant, c’est en montant sur la pelouse de Genk que Rudi Garcia veut creuser des fondations. Celles d’une Belgique qui gagne et séduit. De l’autre côté du rond central, l’Ukraine pose quant à elle sa forteresse. Cinq défenseurs, quatre milieux de terrain et un coureur chargé de jouer les oppressants opportunistes, pour résister le plus longtemps possible aux rêves locaux de remontée fantastique. Les Ukrainiens sont venus pour défendre, et le problème est peut-être qu’ils ne pensent qu’à cela.
Le siège est assumé. La Belgique le dessine posément, enserrant les visiteurs entre des assauts répétés sur le terrain et des encouragements sonores descendus des tribunes. La défense est, paradoxalement, plus sécurisée qu’au match aller, le fiable Castagne prenant le rôle du virevoltant De Cuyper sur son côté gauche. Il faut dire que le flanc offensif a été confié à un Jérémy Doku qui n’a besoin de personne pour faire des différences, et apprécie surtout le soutien de ceux qui pensent à défendre à sa place.
Le Diable s’installe, tire une première fois via son arrière droit Thomas Meunier, comme pour préciser d’emblée que tout le monde est là pour attaquer, mais est avertie dès la première reconversion ukrainienne quand Nicolas Raskin écope d’un carton jaune. Pour sa première titularisation chez les Diables, le joueur des Rangers devra jouer 85 minutes en sursis.
La Belgique de gauche
S’il ne joue presque qu’avec des droitiers (dix sur les onze joueurs alignés), le Diable s’éveille paradoxalement du pied gauche. De Bruyne entre les lignes, Doku collé à la craie et Castagne pour les soutenir: les aimants du siège diabolique sont placés. En première période, le trio touche 146 ballons, avec KDB aux commandes (55). De l’autre côté du 4-3-3, la combinaison de Meunier, Vanaken et Trossard ne tutoie la sphère qu’à 101 occasions. Juste après le quart d’heure, la face droite de la forteresse ukrainienne vacille quand Doku fixe les défenseurs sur l’aile et De Bruyne s’infiltre dans la brèche axiale, mais le centre tendu est parfaitement lu par Svatok et Lunin.
Souvent à neuf dans sa surface, l’Ukraine blinde les chemins qui mènent à Lukaku, principale chance belge de marquer. Les 70 à 75% de possession ne mènent qu’à de longues séquences qu’on croirait sorties d’un terrain de handball, à des dribbles souvent trop horizontaux de Doku ou à une frappe à distance de Kevin De Bruyne qui flirte avec la lucarne. Le buteur national, lui, ne touche que trois fois le ballon dans la surface adverse en 45 minutes, dont une qui empêche une reprise de Vanaken d’inquiéter Lunin.
Les centres de Doku sont souvent contrés, et sa frappe dans les arrêts de jeu part de loin et finit haut. Une tentative presque désespérée, là où les Ukrainiens ont patiemment attendu leur heure en profitant de deux approximations de Debast pour partir à l’assaut du but belge. La première est corrigée par un Raskin toujours bien placé, la seconde envoyée hors cadre par Zinchenko.
Le all-in de Garcia
La deuxième période semble sortie d’une photocopieuse. La Belgique concède moins, fait la différence sur la gauche avec un ballon signé De Bruyne vers Doku, un dribble réussi (15 des 19 tentatives belges viendront de l’ailier de Manchester City) et un centre pour Vanaken qui oblige Lunin à sortir le grand jeu. A l’autre bout du terrain, par contre, la défense ne souffre plus jamais, parce que le contre-pressing belge offre des ballons faciles à négocier à Debast et Faes tandis que Raskin fait tellement le sale boulot à la perfection que sa prestation mériterait d’être payée en titres-services. En deuxième période, aucun Diable ne touchera le ballon plus souvent que lui. L’Ukraine, pourtant, résiste toujours, malgré un total de passes réussies quatre fois inférieur à celui de la Belgique et une tête trop décroisée face au but pourtant ouvert signée Lukaku.
Sur la table, Rudi Garcia jette un regard vers ses cartes, puis vers Rebrov, et dit «tapis». Entre les mains, le sélectionneur des Belges a Maxim De Cuyper et Alexis Saelemaekers. Sur le papier, leur entrée à la place de Meunier et Trossard n’a pas grand-chose d’un changement offensif. Dès leur premier ballon, pourtant, Saelemaekers centre, et De Cuyper utilise la meilleure recette contre un bloc bas: gagner le rebond. Tel un joueur de NBA, le Brugeois jaillit de la tête, les pieds supersoniques de Doku faisant le reste pour lui offrir l’ouverture du score. Il y a une brèche dans la muraille, c’est l’heure de l’enfoncer au bélier.
Vanaken, bien plus présent qu’en première mi-temps (37 ballons touchés après la pause, contre 41 pour De Bruyne), manque le 2-0 de la tête sur un centre de Maxim De Cuyper. Il est par contre à la bonne place pour servir d’appui à Saelemaekers, qui décale De Bruyne sur la gauche. Le centre est une si belle parabole qu’on le croirait sorti d’un manuel de mathématiques, et la reprise de Lukaku ne gâche rien à la note esthétique. Les Belges ont refait leur retard.
Vanaken et De Bruyne, débutants et tauliers
Le problème d’un quitte ou double, c’est qu’il peut coûter cher. Le dos de Maxim De Cuyper est le revers de son talent offensif, et Debast n’est pas assez efficace pour défendre en essuie-glace pour empêcher Zinchenko d’amener un centre qui traverse la surface, puis revient sur le front du colosse Dobvyk. Matz Sels se réveille avec une détente qui suffit à faire oublier la blessure de Courtois.
De l’autre côté du terrain, Lunin sort aussi le grand jeu pour empêcher une nouvelle œuvre d’art de Kevin De Bruyne de finir au fond des filets via Castagne puis Lukaku. La Belgique sent que le K.-O. approche, et Vanaken et De Bruyne multiplient les pressions avec l’envie de débutants et l’intelligence de vétérans. Trouvés par De Cuyper, ils s’associent ensuite pour un dernier tour de magie. De Bruyne dévie un ballon anodin pour ouvrir le terrain à Vanaken, et le triple Soulier d’or lève les yeux vers la profondeur. Sa passe est déposée comme une sauce sur l’assiette d’un restaurant étoilé, et Lukaku dévore du pied droit. Le stade explose.
Les fondations ont fait tomber la forteresse.
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