La Belgique d’Amadou Onana a souffert de ses limites pour maîtriser le milieu de terrain. © Swen Pförtner/dpa

Belgique-Slovaquie: pourquoi la défaite est bien plus qu’une question de réalisme offensif (analyse)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur la défaite de la Belgique contre la Slovaquie, pour son entrée en scène à l’Euro 2024 (0-1).

Domenico Tedesco range les pinceaux et dévoile sa toile. Une constellation de onze noms qui se découvre comme l’une de ces œuvres exposées dans une galerie d’art contemporain, d’une complexité impossible à saisir en un regard. Il faut se concentrer sur le nom de Yannick Carrasco, invité inattendu au cœur d’une défense qu’on imagine alors hybride. Très vite, la Belgique constatera que le plan qu’il a sous les yeux n’a rien d’un labyrinthe, et que le dribbleur bruxellois ne sera qu’un arrière gauche comme un autre. Par rapport à Maxim De Cuyper, il n’offrira pour seules différences que son nom et son expérience. La première variable semble entrer dans une logique de gestion des hommes plus que de la rencontre, évitant soigneusement de mettre un ténor sur le banc. La deuxième paraît précieuse dans une équipe où quatre joueurs découvrent le statut de titulaire dans un grand tournoi.

Kevin De Bruyne, lui, en a déjà vu d’autres. Il ne faut attendre que 20 secondes pour voir le capitaine des Diables harceler une première fois les pieds fébriles de Martin Dubravka, gardien slovaque identifié comme la cible d’un pressing belge ambitieux: sans le ballon, la Belgique de Tedesco s’esquisse en 3-4-1-2, avec Trossard qui galope jusqu’aux côtés de Lukaku, Carrasco qui escalade son couloir et KDB attendant le moment propice pour jaillir.

Comme prévu, la Slovaquie presse aussi, mais Jérémy Doku ne met que trois minutes à lui rappeler la prudence d’usage quand on affronte ses pieds insaisissables. L’ailier de Manchester City, aligné sur un flanc droit pour lequel Pep Guardiola l’avait initialement recruté, se retourne et fait crisser les crampons jusqu’à la surface adverse, où son centre en retrait est prolongé par De Bruyne vers un Lukaku qui ne trouve que Dubravka. Deux minutes plus tard, Doku trouve Lukaku sans escale, mais l’attaquant de la Roma ne maîtrise pas son dribble sur le dernier rempart slovaque. Le match est à peine servi, et la Belgique a déjà eu les opportunités de débarrasser la table.

Bonnes intentions et mauvaise possession

Finalement, l’entrée sera indigeste. Au beau milieu de la sixième minute, Timothy Castagne prend un main un ballon glissé en touche par Lukas Haraslin, avec le seul espoir initial d’éviter un coup de pied de but. Vingt secondes plus tard, la remise en jeu n’est pas encore effectuée, et huit Slovaques se sont rassemblés dans le coin de la zone diabolique. Doku semble être le seul à vouloir la balle, et tous ceux qui l’entourent paraissent uniquement attendre son dribble une fois le ballon échoué dans ses pieds. Le crochet est explosif, la passe est une bombe à retardement. Casteels repousse le premier tir, mais le rebond et l’ouverture du score sont slovaques.

Le Diable est sonné. Les passes mal assurées font remonter à la surface les démons du Qatar, mais ressemblent surtout aux premiers pas de la génération dorée sur la scène mondiale en 2014, quand la pression était supérieure à l’enthousiasme. Les circuits dessinés pour sa possession n’aident pas: pour attirer les Slovaques, la Belgique relance avec ses quatre défenseurs et ses deux milieux défensifs très bas. A l’autre bout de son échiquier, Tedesco place Doku et Lukaku, ses pièces les plus menaçantes en profondeur, pour empêcher la défense adverse de suivre le mouvement et casser le bloc slovaque en deux.

Au milieu, charge à De Bruyne et Trossard de danser sur l’autoroute. Le premier problème, c’est que le capitaine est verrouillé et le Gunner imprécis. L’autre, c’est que personne parmi les sept relanceurs (en comptant Casteels) ne semble avoir les pieds et la bravoure pour les servir dans de bonnes conditions. La personnalité d’Onana s’exprime bien moins bruyamment quand ses contrôles sont pris pour cible par l’adversaire, et la qualité de relance de Debast bafouille sous pression. Avec KDB, les Diables peuvent compter sur l’un des meilleurs milieux de terrain de la planète, mais ce sont pourtant les Slovaques qui font la loi au cœur du jeu.

La Belgique qui dynamite

La Belgique joue par à-coups. De brefs et saccadés lancers de dynamite plutôt qu’un long concert de possession. Son pressing haut face à la fébrile relance adverse et les exploits individuels de Doku semblent être ses seules portes de sortie. Un lob mal ajusté de Trossard, un tir puissant et un centre contré de l’ailier dynamiteur, mais surtout une sortie de balle slovaque qui passe tout près du 0-2 quand une plongée dans le dos de Carrasco mal couverte par Debast et Onana finit en reprise de volée qui force Casteels à sortir le grand jeu. Lukaku a le dernier mot de la mi-temps, mais bafouille encore au bout d’un délicieux ballon en profondeur de Carrasco.

Trossard et Doku changent de flanc au retour des vestiaires, mais l’histoire du match ne change pas pour autant. La Belgique peine à transformer ses stars offensives en constellation, et la Slovaquie ne paraît jamais étouffée. Poumon et cerveau du milieu de terrain de Naples, Stanislav Lobotka se régale dans un milieu de terrain où il désoriente sans cesse Mangala et Onana. Il réussit 43 de ses 47 passes, et ne perd que six ballons en 56 actions jouées. Chacune de ses interventions fait respirer son équipe, avec la complicité involontaire d’une Belgique qui a changé son casting, mais pas ses problèmes au cœur du jeu depuis la Coupe du monde. Les décrochages de l’attaquant Bozenik, jamais vraiment contrarié par Faes ou Debast, achèvent d’installer le tranquille surnombre au cœur du jeu d’une Slovaquie qui jouera 20 possessions de plus de 20 secondes en 90 minutes malgré un score favorable et un statut bien inférieur à celui de la Belgique.

Sans jamais donner l’impression de maîtriser son adversaire, le Diable se crée toutefois bien assez d’occasions pour dégivrer un marquoir gelé par le faux rythme slovaque. Doku conclut la rencontre avec neuf entrées balle au pied dans la surface adverse, six de plus que n’importe quel autre joueur depuis le début de l’Euro, mais finit le match sans être décisif. Son centre repoussé par Dubravka offre pourtant à Bakayoko un ballon d’égalisation, mais Hancko se sacrifie à même la ligne pour faire l’arrêt du match. Les imprécisions de Lukaku et la précision de la technologie finissent de priver la Belgique d’un but.

La Belgique qui ne marque plus

De l’autre côté de la ligne de touche, Tedesco tente beaucoup. De Bruyne recule et Trossard se recentre quand Bakayoko entre en scène, puis KDB remonte d’un cran à l’heure de l’apparition de Tielemans. Entre De Bruyne le chef d’orchestre et King Kev le soliste, la Belgique semble encore chercher la zone du terrain où elle a le plus besoin de son capitaine. Openda et Lukebakio s’ajoutent à un 3-5-2 décousu pour l’assaut final, où le Diable parle souvent trop vite pour rester compréhensible. Faes, Debast ou Onana sont imprécis quand ils veulent prendre leurs responsabilités, témoins d’une assise belge trop brouillonne avec le ballon. La Slovaquie a souffert, mais n’a jamais donné la sensation d’être assiégée. Quant aux Diables, ils bouclent un troisième match consécutif en grand tournoi sans trouver le chemin des filets.

Intraitable contre les nations modestes pendant l’ère Martinez, la Belgique quitte la pelouse de Francfort avec une défaite pleine de paradoxes. Dangereuse sans être dominante, battue sans être menacée, confiante sans être rassurante. Peut-être parce qu’il a beau avoir eu les occasions pour gagner, le Diable est forcé de constater que sur les boulevards qu’il a voulu installer au milieu du terrain, ce sont les Slovaques qui ont écrit le code de la route.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire