
Belgique – pays de Galles : la tortue, les talons et le losange (ANALYSE)
Retour tactique sur la victoire des Diables rouges contre leur bête noire galloise (2-1).
Il a les yeux qui brillent et les pupilles qui s’éparpillent. Si le regard clair et si expressif de Kevin De Bruyne le rend incontestablement humain, sa façon d’envoyer des coups d’œil compulsifs aux quatre coins de la pelouse semble presque mécanique. La routine bien huilée d’un robot éduqué à chercher les espaces comme un requin flairant l’odeur du sang. Dévoilé très tôt, au point de sembler inné, le sens de la liberté de KDB n’a fait que s’étoffer depuis sa rencontre avec Pep Guardiola, référence mondiale dans la création d’espaces offensifs. Alors, quand les Gallois de Rob Page décident d’installer une ambiance de huis-clos sur la pelouse du stade Roi Baudouin, la grande évasion belge passe forcément par les pieds de son Citizen.
Résolument tourné vers un plan qui lui permet de tirer le meilleur de ses joueurs d’élite, Roberto Martinez fait tout pour que son 3-4-2-1 pose Eden Hazard et De Bruyne dans l’ouate. Aux génies de trouver les chemins de la liberté. Très tôt, c’est dans son camp que le capitaine descend les chercher, résistant à la pression galloise comme à ses plus belles heures pour orienter le jeu vers la droite. Là, Zeno Debast, Thomas Meunier, Youri Tielemans et Michy Batshuayi dessinent l’un de ces losanges qui sont devenus la marque de fabrique offensive de la Belgique de Martinez. Meunier envoie Michy en profondeur, et le centre de l’habituel supersub trouve De Bruyne à l’entrée de la surface.
La finition, harmonieux mélange de pureté et de spontanéité, est si parfaite qu’on oublierait presque de regarder ailleurs. Quelques instants plus tôt, KDB s’arrête presque de courir se laissant volontairement distancer par des défenseurs gallois qui reviennent à toute allure. Un démarquage de fable, une poignée de secondes de tortue qui se joue des lièvres adverses. À quoi bon courir vite quand on a déjà tout vu ? Référence internationale du démarquage à reculons de l’autre côté de la Manche, quand il s’éloigne de quelques pas pour être présent en retrait et dans la position de centre idéale, De Bruyne érige le déplacement sur les talons au rang d’œuvre d’art.
UNE MI-TEMPS DE LOSANGES
C’est le résumé d’une Belgique qui, par son positionnement, son talent et sa fluidité, dévore son dragon honni en trois quarts d’heure de football copieux. Les adversaires n’ont que des miettes, incarnées par un premier tir seulement obtenu après quarante minutes et au bout d’une phase arrêtée. À ce moment-là, l’avantage belge a déjà doublé. De Bruyne n’est plus à la finition, malgré une combinaison en losange côté gauche qui l’envoie vers le but peu avant la demi-heure, puis un tir claqué sur le poteau dans la foulée. Cette fois, c’est d’une passe décisive que KDB agite le marquoir.
Le dénouement heureux d’une énième possession infinie. L’une de celles qui vont permettre à Toby Alderweireld et Jan Vertonghen de finir la rencontre bien au-delà des cent passes (113 pour l’Anversois, 111 pour le Mauve). La Belgique rejoue son refrain préféré, fixe à gauche dans les pieds d’Hazard puis renverse à droite vers Debast et Meunier. Une brèche s’ouvre entre les lignes resserrées des visiteurs, et De Bruyne y plonge la tête la première. Le centre tendu transforme le but de Batshuayi en formalité. Buteur pour la 18e fois depuis la fin du Mondial russe, Michy confirme son rythme de croisière supersonique : depuis quatre ans, il est décisif toutes les septante minutes jouées sous le maillot des Diables.
Les Gallois semblent sonnés, le tableau belge est ensoleillé, et De Bruyne manque encore d’alourdir la digestion de ses hôtes du soir en déboulant au bout d’une passe téléscopique de Tielemans, pour une reprise finalement sauvée du bout du pied par Wayne Hennessey. Le maestro bouclera le match avec 1,41 expected goal + assist. Des chiffres de géant.
LE BATEAU ET LA PLAGE
Le coup de casque est un coup sur la tête. Encore une fois bousculés sur le côté gauche par le déroutant Brennan Johnson, les Diables se retrouvent dans l’une des situations absurdes du football : deux hommes sont associés pour défendre contre un seul, et se rejettent inconsciemment la responsabilité de jaillir le premier. Ni Witsel, ni Yannick Carrasco ne privent Johnson d’envoyer le ballon par la fenêtre de centre, et le géant Kieffer Moore jaillit dans les rétroviseurs de Debast pour priver Thibaut Courtois d’une clean-sheet. Alors qu’on la croyait déjà proche de l’épilogue, l’histoire du match s’offre une péripétie supplémentaire.
Si elle n’est jamais vraiment au bord de la noyade, la Belgique vit alors sa mésaventure habituelle, un peu comme un enfant qui referait sans cesse le même cauchemar. Pas assez prompt à foncer sur le navire gallois pour partir à l’abordage, trop loin dans l’eau pour encore protéger ses plages, le Diable flotte entre deux idées, et abandonne le fil conducteur du match. Aussi exposée par sa hauteur que par l’absence de pressing, la défense expose à nouveau ses plaies. Les jambes fatiguées de Jan Vertonghenpeinent toujours à suivre le rythme, mais Toby Alderweireld rappelle à plusieurs reprises dans la gestion de sa surface qu’il est sans doute le meilleur défenseur belge en activité.
La deuxième véritable frayeur attend donc le sprint final de la rencontre, que Dries Mertens aurait pu éviter sur l’un des contres diaboliques galvaudés (aucun tir cadré en deuxième période), mais la Belgique conclut sa rentrée avec trois points et les certitudes collectives d’une première mi-temps aboutie. Avec toujours moins de dribbles, mais toujours plus de faculté à trouver les espaces. La croisée des chemins est indiscutablement dans le rétroviseur, et le Diable va désormais beaucoup plus vite avec la tête qu’avec les jambes. On appelle ça la vieillesse. Ou l’expérience. Question de point de vue.
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