Belgique – Maroc : l’autoroute des nids-de-poule (ANALYSE)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur la défaite des Diables rouges face aux Lions de l’Atlas (0-2).

Les yeux clos, le menton levé vers l’horizon comme s’il conduisait déjà un ballon invisible, Hakim Ziyech semble ailleurs. Pourtant, on dirait que tout le Maroc est là, dans un stade qui rugit à la gloire des Lions de l’Atlas. Même la soudaine évaporation de Bounou, le talisman qui protège les filets marocains, n’altère pas la confiance des hommes de Walid Regragui. Pour ses quatre premiers matches sur le banc national, le sélectionneur n’a jamais vu trembler les filets de ses couleurs. Le menu de la deuxième journée est donc plus indigeste qu’il n’y paraît pour une Belgique en quête de certitudes. D’ailleurs, même si le Diable a deux points de plus que son adversaire du jour, c’est bien Roberto Martinez qui chamboule son onze.

Malmenée par le Canada, la Belgique change de costume pour enfiler un gilet pare-balles. Visiblement inquiet de la complicité affichée par Ziyech et Achraf Hakimi sur le flanc droit marocain, le coach catalan dessine un 4-2-3-1 en perte de balle, avec Timothy Castagne à l’arrière gauche et Thorgan Hazard juste devant lui. S’il ne faut que trente secondes au gaucher de Chelsea pour déborder une première fois le Luxembourgeois, le verrou semble faire effet. Quand Hakimi quittera la pelouse aux trois quarts de la rencontre, il n’aura en effet touché que 19 ballons dans le camp belge, dont deux à peine dans la surface de Thibaut Courtois, bien loin de ses chiffres envahissants face à la Croatie (39 dans le camp au damier, six dans la surface). Le Diable dépoussière son blindage du passé face à un adversaire qui entame le match avec la compacité et la hargne d’une nation prête à se battre pour chaque centimètre.

Plutôt que sur la piste d’athlétisme canadienne, le début de match s’installe donc sur un échiquier. Confortable pour Jan Vertonghen et Toby Alderweireld, acteurs principaux d’une défense qui se retrouve à trois à la relance, avec Castagne éclipsé sur la gauche et Thomas Meunier poussé haut dans le couloir droit. Trouvé trop facilement sur les flancs du bloc marocain, Thorgan Hazard trouve une première fois Michy Batshuayi dans la surface, lequel force le gardien à concéder le premier des neuf corners belges de la soirée. Un coup franc où Kevin De Bruyne trouve appui sur Eden Hazard puis prend sa chance à distance au quart d’heure, une frappe de Meunier dans la foulée : la Belgique trouve ses marques. À son rythme. Un peu trop lentement, donc.

Jan Vertonghen et Toby Alderweireld (à droite), ont été les acteurs principaux d’une défense qui se retrouve à trois à la relance, avec Timothy Castagne (à gauche) éclipsé sur la gauche et Thomas Meunier poussé haut dans le couloir droit. (BELGA PHOTO BRUNO FAHY)

LA ROUTE DES GÉNIES

Si les adaptations de Roberto Martinez semblent avoir résolu les courants d’air défensifs, la possession belge a le hoquet. Face au 4-1-4-1 adverse, l’autoroute paraît pourtant toute tracée. Derrière le milieu marocain, le seul Sofyan Amrabat ne maîtrise pas assez le grand écart pour gérer la présence d’Hazard et De Bruyne entre les lignes. Le problème, c’est qu’il faut encore que la Belgique emmène le ballon jusqu’à leurs pieds. Là, la ligne droite semble soudainement parsemée de sens interdits. Devant la défense diabolique, Axel Witsel étale sa gamme de passes propres mais neutres, tandis qu’Amadou Onana est mieux conçu pour les ruades en solitaire que pour les chorégraphies soignées. Hors du bloc des Lions de l’Atlas, Vertonghen et Alderweireld bouclent donc tous deux le match au-dessus des 100 passes, cherchent eux-mêmes KDB et Eden entre les lignes, mais se heurtent trop souvent aux limites du premier pour se retourner sous pression et aux fautes à répétition subies par le second, cible d’une défense qui n’a pas peur de jouer haut parce que personne ne semble en mesure de la menacer en profondeur. Les 70% de possession belge sont fades comme une musique d’ascenseur.

La Belgique gagne des coups francs, mais qui connaissent souvent le même sort que les ballons catapultés vers un Batshuayi pas armé pour les combats face à une charnière adverse intraitable sur le ring. La perte de balle semble inéluctable. Pour trouver ses héros, le Diable passe donc par la droite, trouvant souvent Thomas Meunier entre les deux lignes de quatre du bloc adverse grâce aux absences défensives de Sofiane Boufal. Le latéral de Dortmund cherche ensuite la passe vers l’intérieur. Un chemin alternatif où les limites techniques jouent trop souvent les nids-de-poule.

Kevin De Bruyne n’a touché que 32 ballons avant la pause. Seul Michy Batshuayi a fait moins bien. (Xinhua/Zheng Huansong)

À la mi-temps, De Bruyne n’a touché que 32 ballons. Seul Batshuayi fait moins bien dans les rangs belges. Par la méthode ou par la force, la Belgique ne trouve pas ses génies, les rares qui semblent capables de déverrouiller une rencontre depuis le néant. Pour avancer, il faut faire reculer Eden Hazard, une nouvelle fois bouée de sauvetage pour franchir le rond central. Un costume de sauveur doublé d’un problème mathématique : si Hazard n’est plus là, Amrabat n’a plus que KDB à surveiller. Le Diable est sous les verrous. Même les phases arrêtées ne lui permettent pas de sortir de sa boite, tenue fermement close par les muscles et la détermination du capitaine Romain Saïss. Excentré, De Bruyne tente un coup franc direct au bout d’une trop longue série de corners sans espoir, mais ne trouve que le toit du but. Le Ballon de bronze a les pieds de plomb.

Le Maroc existe à peine plus, dans un match dont le nul blanc parait alors aussi prévisible que le scénario d’un téléfilm de Noël. Une frappe à longue distance de Ziyech, puis une transversale télégénique de l’ancien Ajacide qui surmonte Meunier et finit par offrir à Selim Amallah un tir qui s’envole dans le ciel qatari, et encore un tir puissant d’Hakimi, parfaitement libéré par un appel synchronisé au décrochage de Ziyech qui aspire Castagne. Le match somnole jusqu’à ce qu’un coup franc excentré trompe Courtois, mais la VAR rendort logiquement le tableau d’affichage.

EXPLOITS À L’ARRÊT

Parce que le temps qui passe semble surtout augmenter la peur de perdre, c’est l’exploit individuel qui fait la loi. Ziyech déborde Witsel puis décoche un tir sans danger. Eden Hazard répond avec un crochet puissant et un tir du même acabit qui offre un énième corner sans histoire. Boufal enchaîne en offrant un rhume à Meunier et une frayeur à Courtois. Puisque son capitaine s’essouffle et que le match doit résolument passer entre les mains de Kevin De Bruyne, Roberto Martinez tente le pari d’un bloc adverse qui s’étire : lance le jeu sans ballon de Dries Mertens et la confiance pour casser les lignes de Youri Tielemans à l’heure de jeu.

En pré-retraite sur les bords du Bosphore, l’ancien chouchou du San Paolo offre très vite un bon ballon à l’orée de la surface à un KDB qui force la frappe, avant de chauffer lui-même les gants du gardien. Un jeu long, un bloc marocain ouvert et un duel aérien gagné par Vertonghen font une nouvelle fois courir De Bruyne vers le but adverse, mais son ballon vers Batshuayi est anéanti par un tacle salvateur de Saïss. On joue depuis 70 minutes, et ni la Belgique (0,94), ni le Maroc (0,23) n’ont atteint un expected goal en additionnant leurs timides tentatives.

Les montées de Dries Mertens et de Youri Tielemans en lieu et place d’Eden Hazard et Amadou Onana n’ont pas porté leurs fruits . BELGA PHOTO VIRGINIE LEFOUR

Puisque les génies sont sous haute surveillance, il reste les phases arrêtées. Monté cinq minutes plus tôt, Abdelhamid Sabiri profite d’une faute bêtement concédée par Meunier pour rejouer, côté opposé, le coup franc de Ziyech avant la pause. Une fois de plus, la course rageuse de Saïss coupe la trajectoire devant Witsel, planté en première zone. Cette fois, pas de hors-jeu. Le stade chavire. Le Maroc est devant. Les Lions se retranchent derrière.

LES REFRAINS DE L’IMPUISSANCE

Face à une équipe qui reste sur cinq matches sans encaisser, Roberto Martinez cherche sur son banc de quoi percer le coffre-fort. Leandro Trossard prend le couloir gauche, mais ses dribbles restent dans ses chaussures. Charles De Ketelaere débarque devant, mais disparait immédiatement dans le triangle défensif marocain. Même Romelu Lukaku, monté en catastrophe avec plus d’aura et d’envie que d’impact, n’y changera rien. Entre l’ouverture du score et le coup de sifflet final, la Belgique n’aura qu’une tête trop croisée de Vertonghen à offrir en guise de menace offensive. Le Diable confie 22 ballons aux pieds de Kevin De Bruyne en un gros quart d’heure, souvent dans sa zone de centre favorite, mais Saïss régule le trafic aérien (5 ballons dégagés après le 0-1) et Ziyech suffit à faire respirer sa patrie. Héroïque, le Blue gagne des fautes, des duels contre un Witsel défenseur de fortune, puis même une passe décisive pour sa première incursion dans la surface du tournoi. Zakaria Aboukhlal jaillit pour faire 0-2, et envoyer le Diable au bord du précipice.

Même Romelu Lukaku, monté en catastrophe avec plus d’aura et d’envie que d’impact, n’a rien changé. BELGA PHOTO VIRGINIE LEFOUR

La génération dorée perd seulement le deuxième des quatorze matches de poule de son histoire. En panne complète d’inspiration offensive, ce n’est que la cinquième fois qu’elle ne trouve pas le chemin du but adverse en 79 matches sous Martinez. Comme en 2016, elle abordera donc les nonante prochaines minutes comme si elles étaient les dernières. Un paradoxe, après un match malgré tout mieux maitrisé défensivement que le précédent (27 incursions marocaines dans les 30 derniers mètres, contre 56 face au Canada). Un comble, pour une nation que son sélectionneur présente comme « pas basée sur des concepts parce que nous pouvons compter sur des talents individuels d’un très haut niveau. »

Dans la chaleur de l’après-midi qatari, pourtant, les génies étaient dans le camp d’en face. Peut-être parce que depuis bientôt dix ans, ceux de la Belgique ont déjà exaucé bien trop de vœux.

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