Belgique-Autriche: un Diable trop pressé
Retour tactique sur le partage de la Belgique pour la première à domicile de Domenico Tedesco (1-1).
Un t-shirt sombre et des cheveux clairs, complétés par des lunettes de laborantin. Au premier regard, Ralf Rangnick, autrefois convoité par la Belgique, n’a rien d’un révolutionnaire. Pourtant, il y a quinze ans, le jeune Jürgen Klopp, alors coach inexpérimenté de Dortmund, s’incline dans les chiffres et par les mots contre l’Hoffenheim de l’actuel sélectionneur autrichien. « La façon dont ils nous ont pressés, ça doit être notre référence. On doit développer Dortmund pour jouer comme Hoffenheim. » Si la fameuse école allemande du gegenpressing a été mondialisée par les Jaune et Noir de Jürgen Klopp, elle est née dans le cerveau de Ralf Rangnick.
Forcément, l’Allemand s’installe à Bruxelles avec des envies de pression. Il se régale sans doute de voir Kevin De Bruyne à l’infirmerie et Eden Hazard dans les gradins. Au sommet de sa gloire, le capitaine et numéro 10 des Diables était un antidote à tous les pressings. « Le jeu d’Eden, c’est un exemple à l’échelle mondiale pour montrer comment on se libère d’un pressing », disait Roberto Martinez. Aujourd’hui, le Brainois est du mauvais côté de la piste d’athlétisme. Le brassard et le numéro mythique sont pour Romelu Lukaku, plan B de Martinez pour surmonter la pression au moment du déclin d’Hazard. Chez un Domenico Tedesco qui doit vivre sa première à domicile sans son KDB champion d’Europe, Big Rom devient le plan A. Ralf Rangnick le sait, et enferme le buteur belge : le colossal Philipp Lienhart dans son dos et le chevronné David Alaba à ses côtés, chargé d’anticiper tous les ballons envoyés à destination du pivot national.
Le lion est mis en cage, et les intentions autrichiennes peuvent se mettre en place. Il ne faut que dix secondes pour qu’une combinaison travaillée sur le coup d’envoi place cinq visiteurs dans les 25 derniers mètres belges, avec un ballon qui traîne dangereusement dans la surface. Le ton est donné, et la hauteur du bloc mis en place par Rangnick continue de le jouer sans fausse note : pas de gegenpressing mais un 4-2-4 agressif sans ballon, prêt à dévorer les pieds fragiles de la relance belge.
Castagne, vrai milieu ou fausse piste ?
Élève studieux de la fameuse école allemande, Domenico Tedesco a évidemment fait ses devoirs. Pour casser la pression autrichienne, le sélectionneur conserve son 4-4-2 sans ballon mais articule ses Diables en 3-4-2-1 une fois la possession récupérée. Timothy Castagne abandonne la ligne défensive pour devenir le deuxième milieu aux côtés d’Orel Mangala, poussant un cran plus haut Youri Tielemans dans le costume de milieu offensif droit. Carrasco se décale dans l’intervalle de milieu offensif gauche, l’axe étant laissé à Lukaku et les flancs aux bombes Doku et Lukebakio. À cinq contre la première ligne de quatre autrichienne, les Belges doivent profiter de leur supériorité pour effacer la pression.
Les premiers coulissements grincent comme une vieille machine qui manquerait d’huile. Sans doute parce que la menace limitée que représente Tielemans dans l’espace, en comparaison aux atouts de coureur de Kevin De Bruyne, augmente le courage des audacieux hôtes du soir. Les voilà libres d’agresser les contrôles fébriles de Castagne sans craindre démesurément la menace d’une transition rapide passée par l’axe. Lukaku est mis hors-service, Tielemans est trop loin des premiers pas de la chorégraphie nationale : la Belgique doit trouver d’autres pistes pour danser.
Les premiers déhanchés sont pour Jérémy Doku. Chacune des prises de balle du Rennais semble s’accompagner du son des pneus qui crissent. Des démarrages violents imités, dans un style plus ouaté, par Dodi Lukebakio sur le flanc opposé. Les deux ailiers belges débordent souvent les Autrichiens quand ils sont trouvés hors du pressing, trop fréquemment pour que ce soit un hasard. Comme si Castagne n’était qu’une fausse piste, pour attirer plus d’Autrichiens à l’intérieur et libérer la voie vers Dodi. Le premier problème, c’est que les pieds de Wout Faes sont souvent trop lents et provoquent un hoquet dans la possession qui permet à l’Autriche de reprendre son souffle pour boucher les espaces. Le second, c’est que Doku et Dodi sont sur leur mauvais pied au bout de leurs débordements, et ratent autant de centres qu’ils réussissent de dribbles.
L’intervention de Tedesco
Riche en questions tactiques mais pauvre en occasions, le match se dégoupille sur un corner. Un ballon qui flotte dans le ciel de Bruxelles est repris au vol puis heurte une malheureuse aile de pigeon d’Orel Mangala alors que Thibaut Courtois a déjà les bras en parachute. L’Autriche passe même près du coup double un quart d’heure plus tard, quand un jeu long atterrit dans le courant d’air entre un Doku trop offensif et un Arthur Theate trop axial. Arnautovic décroise trop sa tête, se blesse et offre un précieux temps mort à Domenico Tedesco.
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La mi-temps n’est que dans une petite dizaine de minutes, mais le sélectionneur n’attend pas pour agir. Si le 3-4-2-1 reste identique, trois pièces changent de place : Castagne prend le couloir droit, envoie Lukebakio un peu plus à l’intérieur, et surtout Youri Tielemans à côté d’Orel Mangala. Sevré de ballons pendant une grosse demi-heure, le futur joueur d’Aston Villa revit au contact de la possession belge : en dix minutes, il tente onze passes, une de plus que lors des 36 minutes précédentes.
L’une d’entre elles est bien plus précieuse que les autres. En un coup d’œil dans sa longue-vue, Youri voit l’arrière-gauche autrichien se ruer sur Castagne et profite de la double garde sur Lukaku pour propulser Lukebakio. Le slalom du gaucher se conclut par un tir à côté, et la mi-temps par un avantage visiteur.
La Belgique retrouve Lukaku
Quinze minutes plus tard, la Belgique assiège une Autriche recroquevillée. Le quatrième quart d’heure est à sens unique, même si Thibaut Courtois doit sortir le grand jeu – pour rien suite à un hors-jeu au centimètre – devant Arnautovic, oublié par un Arthur Theate décidément toujours fébrile quand il doit défendre loin du ballon. Il se conclut par deux ballons joués par Romelu Lukaku à l’entrée de la surface autrichienne, à l’image d’une seconde période où le capitaine d’un soir touchera presque deux fois plus de ballons (20) que lors de la première (11). Le premier est un tir hors-cadre. Le deuxième, au bout d’une tentative d’interception ratée d’un David Alaba qui s’épuise, finit au fond des filets.
Les hommes de Rangnick se ressaisissent, profitant d’abord d’une défense trop prudente de Wout Faes sur Mwene pour offrir un tir dangereux à Sabitzer, puis d’un nouveau refroidissement dans la connexion défensive Theate-Doku pour alerter le latéral Stefan Posch dont la reprise est magistralement sauvée par Courtois. Comme une preuve que le changement de sélectionneur et de système n’ont pas encore colmaté les brèches sur le côté gauche de la défense belge.
La suite ressemble à un combat de boxe sur une piste d’athlétisme, dans un match où les coups s’échangent au bout de longs sprints. Un mauvais choix de Jérémy Doku, un mauvais contrôle de Romelu Lukaku et une frappe ambitieuse mais trop lointaine du nouveau venu Johan Bakayoko empêchent la Belgique de passer devant. Ni le dernier tir de Yannick Carrasco, ni la montée au jeu électrique de Loïs Openda dans un 4-4-2 plus affirmé ne font gagner des Diables qui restent plus virevoltants que précis. Sans Kevin De Bruyne, la sélection manque de ce que les Espagnols appellent la pausa, cette capacité à réfléchir en gérant le tempo quand tout le monde est au sprint.
La dernière transition dangereuse des Autrichiens est éteinte par Leander Dendoncker, toujours plus rapide qu’il n’y parait et toujours invaincu avec la Belgique en 32 apparitions, juste avant de céder sa place à Ameen Al-Dakhil qui, comme Vranckx et Trésor, fait ses débuts internationaux. Côté belge, il restera encore une frappe du pied gauche de Youri Tielemans, qui fracasse la transversale au bout des arrêts de jeu.
Si certains ont souligné l’absence d’Amadou Onana au cœur du jeu, c’est plutôt parce qu’elle était fâchée avec ses pieds qu’avec ses muscles que la Belgique a trébuché dans le piège autrichien. Le Diable a dégainé quelques pas de danse hypnotisants, mais trop rarement synchronisés pour enflammer le dancefloor bruxellois. À l’heure des fancy-fairs, tous les profs le savent : apprendre une chorégraphie à des enfants prend énormément de temps. La classe biberon de Domenico Tedesco a indéniablement du talent, mais doit encore apprendre à danser ensemble.
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