Jérémy Doku a fait souffrir les Autrichiens pour qualifier les Diables © Gettyimages

Autriche-Belgique: le Diable, l’embouteillage et l’autoroute (analyse)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Retour tactique sur la victoire des Diables en Autriche, synonyme de qualification pour l’EURO (2-3). 

Le premier coup de sifflet se perd dans la clameur qui accompagne l’ouverture de la danse autrichienne. Les hommes de Ralf Rangnick ne sont pas venus pour une valse langoureuse. En trente secondes, Vienne s’embrase pour un corner. Quelques instants plus tard, la défense belge a déjà les pieds qui brûlent. L’Autriche le sait : il y a bien longtemps que le Diable n’est plus à l’aise au milieu des flammes d’un pressing ardent. C’est probablement pour ça que la pelouse viennoise a mis si peu de temps à se transformer en brasier. 

Domenico Tedesco connaît le football aussi bien que les idées vitaminées au RedBull de son voisin de banc de touche. Il sait que les contrôles fébriles de ses défenseurs ne suffiront pas à effacer l’énergie locale. Plutôt que de la regarder dans les yeux, le sélectionneur décide donc de la prendre à revers. Pas de Yannick Carrasco ni de Charles De Ketelaere pour remplacer Leandro Trossard – et Kevin De Bruyne – au cœur du jeu, mais un Loïs Openda placé aux côtés de Romelu Lukaku pour donner au Diable une toute nouvelle tenue en 4-2-4 avec le ballon. Menacés dans la profondeur par la vitesse de l’attaquant de Leipzig, couplée aux appuis offerts par Lukaku et aux slaloms promis par Jérémy Doku et Dodi Lukebakio, les Autrichiens doivent se retrouver face à un dilemme : jouer avec des rétroviseurs et laisser les Belges relancer, ou appuyer sur l’accélérateur en espérant ne pas être flashés par la pointe de vitesse du quatuor offensif diabolique. 

La première déviation de Romelu Lukaku dans la course d’Openda donne un élément de réponse. L’ancien de Lens est repris sans trembler par Kévin Danso, son ex-coéquipier dans le Nord, qui rassure l’Autriche dans son plan initial : le supplice par étouffement. Aucune des relances courtes de Matz Sels n’atteint le rond central sans être récupérée par l’adversaire, et le troisième gardien des Diables se résout rapidement à balancer en espérant que Lukaku gagne le combat des airs. 

Même sans cible à presser, les Autrichiens restent les patrons du terrain. Parce qu’à la relance aussi, Ralf Rangnick a bien fait ses devoirs. Florian Grillitsch décroche en position de défenseur droit pour s’ajouter à Danso et Philipp Lienhart, créer une supériorité numérique et éliminer facilement la première ligne belge. Xaver Schlager comprend vite, et l’imite sur la gauche quand la situation s’y prête. C’est lui qui trouve le dos de Wout Faes, dépassé par le ballon en profondeur mais sauvé par le retour d’Amadou Onana qui dévie une dangereuse passe en retrait en corner. 

Doku et le chemin du Diable

La Belgique subit, tremble encore quand Wout Faes transforme une passe latérale de Vertonghen en percée autrichienne, mais retrouve une vertu chère à ses aînés : pouvoir marquer avant d’avoir commencé à jouer. La première opportunité de franchir proprement le milieu de terrain grâce à une bonne position entre les lignes d’Orel Mangala se transforme en accélération côté droit. Onana et Castagne jouent vite, Lukebakio accélère et finit son effort en ouvrant le pied vers le petit filet opposé (0-1). La Belgique arrive à destination sans encore avoir trouvé son chemin. 

La route passe par Jérémy Doku. Introuvable dans le premier quart d’heure, c’est presque par hasard que le nouveau dynamiteur des Cityzens reçoit son premier ballon exploitable au bout d’un dégagement à l’aveugle. La fusée de Borgerhout percute, rentre dans le jeu, trouve Lukebakio à l’opposé, mais le centre pied droit du gaucher (l’un des trois seuls centres belges du match) est repoussé par Lienhart devant Lukaku. 

Handicapée par les mouvements lents et les chevilles rigides de son 4+2 défensif, la Belgique ne parvient toujours pas à exister entre les lignes. Un ballon perdu dos au jeu par Lukebakio, plus décisif que précis, force Sels à un double arrêt, puis un contrôle mal assuré oblige Onana à prendre un carton jaune pour se corriger. Heureusement il reste Doku, et sa faculté à transformer des passes anodines en cauchemar pour Nicolas Seiwald. L’arrière droit local est tellement pris de vitesse qu’il n’arrive même pas à tirer le maillot de son adversaire du soir. C’est comme si un bolide se plaçait en marche arrière sur la grille de départ, mais virait systématiquement en tête au premier virage. Doku offre encore un ballon génial à Lukebakio qui glisse, s’appuie sur Lukaku lors d’une action qui aboutit sur un dangereux tir lointain d’Onana, provoque des fautes, un carton jaune, et invente des espaces entre son garde du corps et la ligne de touche. L’ailier essouffle l’Autriche, qui devra l’arrêter fautivement à six reprises pour éviter d’accumuler les dribbles concédés.

Le Diable et le souvenir de Martinez

Gênée aux deux extrémités du terrain tout en étant devant au score, la Belgique change néanmoins de costume au retour des vestiaires. Yannick Carrasco relaie un Openda trop discret, et Tedesco réinstalle le 3-4-2-1 cher à Roberto Martinez. Le 5-2-3 sans ballon prive l’Autriche de son surnombre à la relance, alors que la position axiale de Vertonghen et les déplacements de Doku et Lukebakio dans les intervalles ouvrent de nouvelles lignes de passe à la relance nationale. Si le Diable concède le premier sur une relance longue qui revient comme un boomerang et offre une belle opportunité de frappe à Maximilian Wöber, il s’ouvre de nouvelles portes à la récupération grâce à des joueurs offensifs mieux connectés. 

La vivacité du duo Carrasco-Doku transforme une touche autrichienne en occasion belge, quand Lukebakio trouve Lukaku au bout de la chaîne, mais la reprise de l’attaquant de la Roma échoue sur la transversale. La suite est plus heureuse, grâce à l’effort d’un Carrasco affamé qui gagne une faute au rebond, puis décale le ballon sur le pied d’un Lukebakio dont le tir est dévié deux fois sur le chemin des filets (0-2). Quatre minutes plus tard, c’est encore des mains locales que part un contre belge. Onana trouve Doku qui traverse le terrain, fixe les défenseurs et met Lukaku sur orbite pour un tir croisé. Le 0-3 est bien payé, mais le match donne l’impression d’être terminé. 

Les chevauchées interminables de Doku soulagent une Belgique bien plus à l’aise avec la balle, qui trouve notamment plus facilement un Mangala de plus en plus propre – puis un Tielemans dans la même veine – entre les lignes à la relance. Même le triple changement de Rangnick qui revitalise l’Autriche n’altère pas démesurément la tranquillité belge alors que le dernier quart d’heure approche. 

Les démons d’Amadou

Presque comme un paradoxe, alors que le Diable a enfin trouvé les chemins qui échappent à la vigilance des douaniers autrichiens, c’est un surnombre derrière la ligne de pression qui crée une mésentente entre Doku et Onana, puis une fenêtre de tir pour un Konrad Laimer qui remet le feu au stade (1-3). Les hôtes se positionnent de plus en plus haut, n’hésitent plus jamais à faire la faute sur Doku pour anéantir les options de contre-attaque belges, et sont confortés dans leur plan par le deuxième carton jaune d’Onana, dont la semelle traîne sur la cheville de Schlager au bout d’une action anodine à une trentaine de mètres du but belge. Le capitaine du futur abandonne ses troupes, recroquevillées dans un cinq arrière précédé d’un losange axial dont les côtés sont occupés par les ailiers Doku et Bakayoko. 

Ce dernier, pas coutumier de ce genre de tâche défensive, laisse Schlager adresser un ballon trop facile vers la surface belge, que le corps mal orienté de Theate dévie de la main. Tout juste monté au jeu, Marcel Sabitzer n’est pas du genre à refuser les cadeaux, et prend Sels à contre-pied depuis les onze mètres (2-3). Tedesco ferme alors les portes latérales de son losange avec Arthur Vermeeren et Mandela Keita, lancés de concert dans un baptême assorti de grands risques de noyade. 

Le Diable résiste, plie sans jamais rompre, et ne se fait vraiment peur que quand un duel aérien perdu par Wout Faes à l’entrée de sa surface permet à Muhammed Cham d’envoyer un ballon croisé qui échappe à Sels, mais pas à Jan Vertonghen. Une dernière chandelle d’Arthur Theate envoie le ballon dans le ciel de Vienne et les Diables à l’EURO. Les hommes de Domenico Tedesco ont atteint leur première destination sans encore y voir réellement clair sur la route à emprunter, peut-être parce qu’ils ont trop souvent dû se passer d’un capitaine De Bruyne censé devenir leur guide. En attendant, un plan limpide semble avoir suffi pour sortir des embouteillages du centre de Vienne : il suffit de monter sur l’autoroute, de mettre le clignotant jusqu’à la bande de gauche, et de laisser Jérémy Doku appuyer sur l’accélérateur.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire