Arthur Theate: « Je ne serais pas allé en Italie si j’avais voulu rester dans ma zone de confort. »
Sans club il y a à peine plus d’un an, il est titulaire à Bologne et a goûté à la finale de la Ligue des Nations avec les Diables rouges. Arthur Theate (21 ans) est bien placé pour savoir qu’une carrière peut prendre une tournure inattendue. Il a forcé le destin.
Rarement nous avons eu affaire à un interlocuteur aussi enthousiaste qu’Arthur Theate, qui s’exprime depuis les coulisses de l’équipe nationale et du J-Hôtel de Turin. Il n’a pas disputé une minute du Final Four de la Ligue des Nations, mais deux jours après son retour en Belgique, il était à la base de la victoire des Espoirs contre le Danemark, grâce à son assist et à un travail défensif impeccable.
Rien de tout cela n’a semblé le marquer. Avec nous, il a parlé avec joie de son transfert dans la Botte et de son intégration dans le noyau des Diables rouges. Le tout entre une montée sur le terrain aux côtés de Romelu Lukaku pour s’échauffer avant le match contre la France et un kawa avec Eden Hazard.
ARTHUR THEATE: Je suis content d’être ici et de vivre tout ça. J’ai été très surpris des critiques émises sur nos prestations. Je pense que nous devons être très fiers de cette génération. S’il y a quinze ans, on m’avait dit quand j’étais petit que je verrais les Diables en demi-finale d’un Mondial ou qu’ils mèneraient 2-0 à la mi-temps d’une autre demi-finale contre les champions du monde… Tout le monde aurait signé des deux mains. Je ne comprends ab-so-lu-ment pas pourquoi les gens sont si fâchés. Je trouve qu’on oublie trop vite certaines choses.
La saison passée, quand on a parlé de moi en équipe nationale, j’ai été le premier à dire qu’il ne fallait pas y penser. En Belgique, on pousse trop vite les joueurs. » Arthur Theate
Les Diables ont suscité beaucoup d’illusions et ça s’est retourné contre eux.
THEATE: Mon père et moi, on se téléphone tous les jours. On a connu les années de galère. D’où notre étonnement. Cette équipe n’a pas gagné de trophée, mais elle a remporté beaucoup d’autres choses. J’en ai encore discuté avec Axel Witsel. Si des jeunes peuvent jouer à l’étranger, comme moi maintenant, c’est grâce à eux. Si les scouts arpentent les terrains belges, c’est grâce à eux. À leurs résultats. ( De Bruyne et Courtois passent dans le couloir, ndlr). Ils ont amélioré le football belge et rehaussé sa réputation à l’étranger. Ce qu’ils ont fait en dix ans est incroyable. Et pourtant, on les critique.
Cet été, Toby Alderweireld disait encore que Tubize avait été bâti grâce à leur sueur.
THEATE: Tout à fait! Nous devons les remercier. Je l’ai dit à Axel. Cette génération a placé le football belge à un niveau très élevé, inédit. Je ne nie pas les succès acquis au siècle précédent, qu’il s’agisse de l’équipe nationale ou des clubs, mais le football a radicalement changé depuis. Je peux comprendre que les gens soient déçus de ce que nous avons montré pendant la Ligue des Nations, de nos résultats, mais je n’accepte pas qu’ils critiquent ces footballeurs. Ils ont aussi le droit d’être parfois moins en forme. Ce n’est pas pour ça qu’il faut les accuser de ne plus en vouloir.
Comment s’est déroulée ton intégration?
THEATE: Très bien. Je ne suis pas complètement surpris. Je l’espérais. Je ne pensais pas avoir mérité une sélection, mais c’est un rêve pour tout footballeur et une fois qu’on joue en U21, on a envie de franchir un palier de plus. Pouvoir représenter ce pays pour le moment est sans doute ce qui m’est arrivé de mieux. Il y a quinze mois, j’étais encore sans club. Je m’entraînais seul. Et aujourd’hui, je prends le café avec Romelu. Ou Eden. Ça n’a pas été facile. Tout est là-dedans ( il montre sa tête, ndlr). Tout. Je suis resté fort en toutes circonstances.
« Quand le Standard m’a dit que c’était terminé, mon univers s’est effondré »
As-tu toujours été aussi fort mentalement?
THEATE: Oui, même à l’école. Quand on nous demandait ce que nous voulions devenir, je répondais toujours: footballeur. Mais vers 19 ou vingt ans, quand le Standard m’a dit: « Arthur, c’est fini », j’ai vraiment cru que c’était terminé. Pendant une dizaine de jours, je me suis dit que je devais chercher une autre voie.
Étudier?
THEATE: J’ai envisagé de travailler. Je n’ai jamais été super aux études, faute d’envie. D’ailleurs, c’est la première chose que je dirai à mes enfants plus tard: quoi qu’ils veuillent faire, ils ne doivent pas négliger leurs études. Mes parents ont insisté là-dessus, mais je ne les ai pas écoutés. Seul le football comptait à mes yeux. Et quand le club m’a dit que c’était terminé, mon univers s’est effondré.
Travailler t’embête?
THEATE: Non. À quinze ans, j’aidais mon parrain à poser des chapes. Sans problèmes. Je suis capable de me lever et d’aller travailler.
As-tu cherché du travail?
THEATE: Non. Nous étions en pleine pandémie à ce moment-là. Tout le monde devait rester à la maison, ce n’était pas le moment de chercher du boulot. Le Standard nous a mis en chômage temporaire. Je ne gagnais déjà pas beaucoup et ça a encore diminué. Je venais d’acheter une auto et il n’a pas été facile de la rembourser. Heureusement, j’habitais encore chez mes parents. J’ai beaucoup réfléchi pendant ces dix jours avant de décider de persévérer. Je voulais devenir joueur professionnel. Mon agent a cherché un club. C’était non partout. Le Lierse? Non. Un amateur en D1B, c’est non. Un test à Lommel? Désolé, pas assez bon. Je pense que nous avons écumé tous les clubs, en D1, en D2, en Amateurs. Et c’était non partout.
Comment es-tu resté en forme?
THEATE: Grâce à mon coach perso, Thibaut Lallemand. Tous les jours une heure aller et une heure retour, jusqu’à Namur. De retour à la maison, j’allais courir tous les jours. Puis mon agent m’a téléphoné. Ostende n’avait plus de joueurs et je pouvais y passer un test. J’ai failli répondre que je n’en avais plus envie, mais je me suis quand même exécuté. J’ai pris ça comme un cadeau. J’avais vendu ma voiture et je suis donc parti avec celle de ma soeur. Je n’avais qu’une paire de chaussures et des t-shirts. Vous devez savoir que j’ai été formé à l’arrière gauche. Enfin, d’abord en attaque puis à l’arrière gauche. Mon agent a dit au président que j’étais un défenseur central. Je ne l’ai appris que plus tard. À la première séance, je vois arriver un arrière gauche qui pose pour la photo. Il venait de signer. Théo Ndicka. J’ai pensé que ça n’allait pas: Ostende avait déjà un arrière gauche, sans oublier Skulason, il n’allait pas en enrôler un troisième. J’ai téléphoné à mon agent: « Je perds mon temps, je m’en vais. » Il m’a répondu: « Non, non, le club cherche encore des défenseurs centraux. Reste encore un jour. » Et après quelques jours, l’entraîneur m’a dit qu’il souhaitait que je reste. J’ai signé après deux matches. Un petit contrat. Je gagnais moins qu’en U21 du Standard. Je comprends. Pour Ostende, j’étais un jeune dont on ne pouvait savoir s’il aurait le niveau. Le président m’a dit: « Ton objectif doit être d’effectuer tes débuts en équipe A cette saison. » J’ai joué quatorze matches!
« L’an passé, nous n’étions jamais satisfaits avec Ostende »
Je me souviens du premier.
THEATE: Le Beerschot à domicile. C’était 0-1 après 58 secondes et une erreur de communication de la défense. Incroyable. Mon premier match en pros et ça me tombe dessus. Il m’arrive encore de me repasser les images.
À l’issue du match, tu as répondu aux journalistes. J’ai découvert un jeune homme plein d’assurance, ce soir-là.
THEATE: Oui. Je me rappelle ce que j’ai dit. « Nous avons perdu, mais nous continuerons à jouer comme ça. » Les gens ont réagi: « Allez, une équipe aussi jeune, ça ne va pas. » Et au début, ça n’allait effectivement pas, mais tout s’est mis en place après quelques semaines. Le coach ne m’a jamais écarté. Vous devez savoir que Hendry, Jaekel et moi avons signé le même jour. Et un autre le lendemain. En principe, j’étais le quatrième ou le cinquième arrière central. Mais que se passe-t-il alors? Premier jour: Hendry out. Troisième jour: Jaekel out. L’autre n’est finalement pas arrivé et l’entraîneur s’est tourné vers moi. En fin de saison, nous avons joué pour un billet européen. Et maintenant, je suis à Bologne et dans cet hôtel. Depuis que j’ai signé, tout est beau. Trop, peut-être.
Mais tu es utile: tu défends vers l’avant, tu peux tenir un adversaire. Tu t’es découvert à Ostende?
THEATE: Non. J’ai toujours été comme ça. Genk et le Standard me jugeaient insuffisant. Benjamin Nicaise, le directeur sportif, a dit à mon agent, dans un message: « Arthur Theate contrôle le ballon à trois mètres de distance. » Insuffisant pour le Standard ou la première division.
Ô ironie: tu as achevé ta carrière belge avec Ostende à Sclessin. Avec la carte rouge. Que s’est-il passé?
THEATE: J’étais nerveux, comme toujours en match. Je suis très tonique, je cherche le ballon, les duels. Un peu comme Thomas Vermaelen. Je l’adore. Mon père aussi. Je n’ai pas d’idole, mais c’est un modèle. Comme Carles Puyol. Encore un footballeur qui peut vous bouffer. Je suis comme ça. Il me faut le ballon. Tac-tac-tac. Les supporters n’aiment pas ça. J’harcèle leurs joueurs et ils réagissent, y compris envers l’arbitre. C’est un aspect dont je dois m’accommoder. Par la suite, beaucoup de gens ont pensé que j’étais surexcité à cause de mon passé à Sclessin, que je voulais me venger. Ce n’était pas du tout le cas. Je ne méritais pas la carte rouge. J’ai reçu deux jaunes parce que l’arbitre stressait dans un stade comble qui ne le laissait pas tranquille. Je ne me suis pas suffisamment contrôlé. Pareil pour lui. Je n’ai rien contre le Standard. Car franchement, sans le Standard, sans Ostende mais aussi sans caractère, un caractère qui a été formé par tout ce qui m’est arrivé, je ne serais pas ici. J’étais loin d’être le seul dans le cas à Ostende la saison passée. J’en veux pour preuve la dispute entre Skulason et Hendry dans le vestiaire. Nous n’étions pas satisfaits de notre nul 2-2 face au Standard. C’est pour ça que nous avons signé une si belle saison. Nous n’étions jamais satisfaits. Skulason a un caractère épouvantable sur le terrain. Comme Jack, comme moi.
Et Tanghe?
THEATE: ( Il éclate de rire) Anton… Non, non. Il est calme. Jelle Bataille aussi. D’Arpino avait du tranchant. Hjulsager, Vandendriessche, Sakala. Gueye… Ouh la la . Des caractères bien trempés. J’espère qu’Ostende va réussir une bonne saison cette fois aussi, mais il lui manque sans doute un peu de caractère.
Blessin a-t-il aussi du caractère?
THEATE: Oui. Mais il est surtout très humain. Quand il voit qu’un de ses joueurs ne se sent pas bien, il lui demande ce qui cloche. Ce qui fait sa force, c’est la manière dont il rassemble tout le monde derrière un objectif. Je vous le dis: il aura du succès partout. Maintenant que je le connais, je peux dire que Roberto Martínez a aussi ce côté humain. Il est sévère sur le terrain et dans le vestiaire. Comme il se doit. Mais en dehors, il est très humain.
« Je voulais aller en Italie pour me perfectionner au niveau tactique »
Parlons un peu de Bologne. N’était-ce pas trop rapide, après un an?
THEATE: L’avenir nous le dira.
On dit souvent que l’Italie et les jeunes ne se marient pas vraiment bien.
THEATE: C’était une inquiétude. D’autres équipes étaient candidates, mais j’ai choisi un championnat où personne ne m’imaginait mettre les pieds. Personne n’a dit: « Theate est fait pour la Serie A. » Elle est trop tactique. Je le pense aussi, d’ailleurs. Je m’appuie sur mon instinct, mon feeling, alors qu’en Italie, on joue rarement au feeling. Les joueurs sont souvent beaucoup plus âgés. J’avais des opportunités en Allemagne, en France, en Angleterre mais j’ai donc opté pour Bologne.
Pourquoi?
THEATE: En août 2020, ce club me voulait déjà après mon cinquième match en D1A, contre Anderlecht. J’ai pensé que cinq matches, c’était trop peu. Bologne s’est remanifesté en janvier. Nous avons eu de nombreuses discussions, mais nous n’avons pas accepté. Je réussissais ma saison et il me semblait préférable de rester. En juin, Bologne est revenu. Sa confiance a été décisive. Aussi parce que ce n’est pas un grand club mais une équipe familiale, un peu comme Ostende.
Le Calcio est-il aussi tactique que tu le pensais?
THEATE: Encore plus. Nous nous entraînons tactiquement tous les jours. Sur le terrain et en dehors. Toujours à onze, gardien compris. La défense ne s’entraîne pas à part. Un jour, on analyse tel aspect, le lendemain tel autre. C’est pour ça qu’on voit des blocs qui s’orchestrent parfaitement, des trajectoires claires. D’où mon choix: je voulais me perfectionner au niveau tactique. Si j’avais voulu rester dans ma zone de confort, je ne serais pas venu en Italie. Je ne dis pas que j’y effectue mon apprentissage, car on apprend tant qu’on joue mais quand même, c’est une formation continue. J’ai de la force dans les duels, de la grinta, un bagage technique. Tout le monde, y compris Blessin, me conseillait l’Allemagne. « Là, tu joueras et on te portera aux nues », m’a-t-il dit. J’y ai réfléchi mais j’ai opté pour Bologne, sachant que j’ai besoin de peaufiner mon sens tactique. Chez les jeunes, je me pensais prêt, mais quand je vois ce qui se passe ici… Je ne l’étais pas. Je croyais savoir comment pivoter. Jusqu’à ce qu’ici, après l’entraînement, on m’ait pris à part pendant un quart d’heure pour travailler cet aspect: contrôler le ballon et pivoter. Rien que ça. Je peux vous montrer des images de la synchronisation. Tous les défenseurs effectuent le même mouvement en même temps. Une vraie chorégraphie. C’est vraiment impressionnant. C’est pour ça que je suis si heureux ici. Une nouvelle langue, une nouvelle culture, un nouveau football.
Raconte-nous tes débuts.
THEATE: Je suis entré au jeu à 6-0 contre l’Inter! La veille, mon père m’avait dit que j’allais marquer. J’ai formé un coeur avec les mains quand j’ai marqué. Et là, paf, je me suis pris une volée de bois vert: « Ils sont menés 6-0 et il fête son but. Ce garçon n’a aucun respect. Il ne pense qu’à lui… » Je n’ai pas joué le match suivant, je suis entré au jeu lors du troisième et j’ai commis une faute entraînant un penalty après cinq minutes. J’ai pensé: « Aïe, aïe, aïe… » Mais tout s’est bien passé ensuite. Il faut croire que mes débuts ne sont jamais faciles.
Tu as également découvert les stages, après une défaite.
THEATE: Oui. Après Empoli. Le lendemain, l’entraîneur a dit que personne ne rentrerait à la maison. Une semaine de stage, à l’hôtel, du lundi au dimanche. Mais pendant les séances, j’ai réalisé que j’étais dans le onze de base. J’y suis resté. Un but et un assist. Le lendemain, en Une du Corriere dello Sport: King Arthur. Mais je suis conscient que ce qui m’arrive depuis un an et demi est fantastique mais ne durera pas. C’est pareil pour tous les footballeurs: il n’y a pas que des bons moments. La saison passée, quand on a parlé de moi en équipe nationale suite à mes résultats, j’ai été le premier à dire qu’il ne fallait pas y penser. D’abord le terrain. En Belgique, on pousse trop vite les joueurs. Notez qu’il y en avait aussi pour penser que je ne possédais pas les qualités requises, que le système d’Ostende camouflait mes carences. Des carences défensives, ballon au pied. Laissez-moi évoluer à mon aise. J’en parle avec Arnautovic à Bologne. Il a connu tout ça. Les critiques et les louanges. Si ça se trouve, on ne parlera plus du tout de moi, bientôt. J’en suis parfaitement conscient.
Habites-tu en ville?
THEATE: Non. En dehors. Bologne est formidable, mais je préfère un coin tranquille. J’habite à dix minutes du complexe d’entraînement, dans un des petits villages qui entourent la ville, au milieu des champs. Regardez dehors. Les gens campent devant la porte de l’hôtel, en espérant nous apercevoir, attirer notre attention. Ici, à Turin, ce sont des superstars, mais toute la Botte vit pour le football. J’ai l’impression qu’ici, chacun connaît tous les joueurs.
Theate l’attaquant
Cinq buts avec Ostende durant sa première saison, deux déjà pour Bologne. Il excelle devant comme derrière. Grâce à son passé d’attaquant? Arthur Theate: « Peut-être, mais c’est aussi dû à ma volonté d’aller chercher le ballon dans les duels. Je marque souvent de la tête sur les phases arrêtées. On ne perd pas ses sensations. Petit, je marquais souvent, y compris de la tête, malgré une taille modeste. C’est dû à mon timing: j’ai été longtemps trop petit et j’ai dû apprendre à sauter plus haut que les autres pour obtenir le ballon. »
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