Anzhi Makhachkala: de la folie des grandeurs aux bas-fonds de la 3e division russe
Voici un peu plus de huit ans, l’Anzhi Makhachkala s’emparait de la tête de la Premier Liga russe et comptait divers stars dans son effectif ainsi que le joueur le mieux payé du monde. Aujourd’hui, le club végète dans les bas-fonds de la 3ème division de la zone sud… Retour sur une ascension rapide et un déclin qui le fut tout autant
On joue la 91ème minute dans une rencontre qui voit l’Anzhi se faire tenir en échec par le Spartak Moscou, une après-midi d’octobre 2012. Mehdi Carcela reçoit le ballon sur le côté droit du rectangle du Spartak, dans lequel se trouvent Samuel Eto’o, Iouri Zhirkov ou encore Mbark Boussoufa et décoche une frappe déviée par le malheureux Insaurralde dans ses filets. Avec cette victoire acquise dans les derniers instants, l’Anzhi se retrouve seul en tête de la Premier Liga russe. Près de 8 ans plus tard, le club végète dans les bas-fonds de la 3ème division de la zone sud. Mais que s’est-il passé ?
91 est un nombre clé dans l’histoire de l’Anzhi Makhachkala. L’année 91 marque la fin de l’Union soviétique. C’est également l’année de la création d’un club dans la République du Daghestan, situé à l’extrême-sud de la Russie, dans le Caucase, sur les côtes de la mer Caspienne et surtout l’émergence d’un jeune daghestanais, Suleyman Kerimov. Tout juste sorti de ses études d’économie, Kerimov quitte sa République natale et profite de la chute de l’URSS pour s’enrichir en bourse et faire partie, petit-à-petit de l’oligarchie russe.
Анжи (Prononcé Anji) qui signifie “perle” en langage koumyk est surnommé « Orly » (Les Aigles), le club gravit progressivement les échelons. En 1997, les jaunes et verts atteignent pour la première fois la seconde division russe.
Après une montée à la fin de l’année 2009, la première saison se boucle au 11ème rang du classement de la Premier Liga, l’année 2011-2012 marque le rachat de l’Anzhi par Suleyman Kerimov, un homme d’affaire local multimilliardaire, qui est autant controversé qu’ambitieux.
Trois ans plus tôt, Kerimov, alors en vacances à Nice, se crashe au volant de sa Ferrari Enzo, construite en seulement 400 exemplaires, au beau milieu de la Promenade des Anglais. Les dégâts sont impressionnants. Gravement brulé, l’oligarque russe est soigné à l’hôpital militaire de Neder-Over-Heembeek, via André Flahaut, ministre de la Défense à l’époque. Pour améliorer les relations avec Poutine ? Flahaut réfute cette hypothèse. Pour remercier la Belgique, Kerimov offrira tout de même 1 million d’euro à “Pinocchio”, une ASBL pour enfants brûlés, ce qui multipliera le budget de l’ASBL par 10.
Kerimov est un homme d’argent. Du genre à pouvoir offrir à la légende brésilienne Roberto Carlos un salaire XXL. Le vainqueur de la CDM 2002 devient ainsi en 2011 le premier gros coup de Kerimov. Carlos déclarera cependant que ce n’est pas pour les billets mais plutôt pour son amour du caviar qu’il aura fini par rejoindre Makhachakala, capitale de cet aliment de luxe.
Jamais rassasié des bonnes choses, Kerimov n’hésite pas à gâter son nouveau poulain. Pour l’anniversaire de l’ancien madrilène, c’est une belle Bugatti Veyron estimée à 1 million d’euro qui l’attend, avec, sans doute, comme conseil, d’éviter la Promenade des Anglais.
L’heure des Brésiliens et des vedettes de la Jupiler Pro League
Après cet investissement, Kerimov continue son mercato sur les chapeaux de roues avec l’arrivée d’autres Brésiliens comme Diego Tardelli ou Jucilei. Joao Carlos, sous contrat avec Genk, considéré à l’époque comme l’un des meilleurs défenseurs de Pro League et suivi par des formations du subtop européen, signe également à l’Anzhi. Quelques semaines plus tard, c’est un autre visage connu de JPL qui rejoint le Daghestan, Mbark Boussoufa, pour une somme entre 8 et 9 millions. La particularité de cette très longue saison russe est qu’elle couvre 3 périodes de transfert, ce qui permet à Kerimov de construire plus rapidement son équipe.
Kerimov tient également sa promesse de rénovation de stade (26.500 places) et créé aussi une académie de jeunes.
Je vais jouer en attaque avec Boussoufa et Eto’o. On ne va pas me faire croire que ce transfert n’est pas bien
Mehdi Carcela
Pour la seconde période de transferts, Kerimov va continuer à flamber, et cette fois pas au volant de sa Ferrari. Il sort son chéquier et fait signer Zhirkov, Balázs Dzsudzsak, Vladimir Gabulov, Oleg Shatov, mais également Mehdi Carcela, récent vice-champion de Belgique avec le Standard, et cela, quelques semaines après avoir été victime d’un terrible coup au visage de Chris Mavinga. « Le Standard ne forme pas ses joueurs pour les vendre au Daghestan », avait martelé Pierre François, le directeur technique des Rouches, après le départ de Boussoufa vers Anzhi. Manifestement, les liasses de billets lui avaient fait changer d’avis entre-temps.
« Footballistiquement, ils ont une identité plus forte », a affirmé Carcela à Sport/Foot Magazine à l’époque. « Beaucoup de gens disent que je suis parti au Daghestan uniquement pour l’argent. De un, c’est vrai que je vais bien gagner ma vie. De deux, j’aurais pu gagner beaucoup plus encore à Moscou ! Le seul problème dans ces deux clubs, c’est qu’aucun joueur ne parlait français. Il faut savoir que moi, je parle uniquement français et marocain. Je ne pète pas un mot d’anglais. A Makhachkala, il y a cinq joueurs qui parlent français, et notamment Boussoufa. Et on ne va pas me faire croire que sportivement, ce transfert n’est pas bien. En attaque, on va jouer avec Bous’ à gauche, Eto’o en pointe et moi à droite« , confiait encore le gaucher de Droixhe à Stéphane Pauwels qui écrivait alors une chronique pour notre magazine.
Samuel Eto’o y devient le joueur le mieux payé du monde
Mais c’est surtout la venue de Samuel Eto’o qui mettra la lumière sur la capitale du Daghestan en bouleversant la planète football. Le camerounais, vainqueur de 2 des 3 dernières Ligue des Champions avec le Barça et l’Inter, devient alors le footballeur le mieux payé du monde avec 20 millions net par an. Roberto Carlos déclare même plus tard qu’il aurait parlé avec Neymar et que ce dernier accepterait de venir dans la capitale du Daghestan si les offres du Réal Madrid et du Barça n’aboutissent pas. Quelques semaines après, une folle rumeur annonce que Cristano Ronaldo porterait la tunique jaune et verte à la fin de son contrat dans la capitale espagnole. Un représentant de l’Anzhi est également envoyé à Manchester afin de rencontrer Carlos Tevez, en froid avec le coach Roberto Mancini. Une sorte de hype est alors créée autour du club caucasien au budget que l’on dit sans limite.
L’arrivée de Guus Hiddink en février 2012 comme coach principal mais également comme vice-président du club montre l’ambition de Kerimov de faire du club de sa jeunesse un grand d’Europe, lui qui gardera longtemps une envie de devenir le prochain président de la République du Daghestan.
A noté que vu le contexte hostile du Daghestan, les joueurs vivent et s’entrainent à Moscou et ne se déplacent à Makhachkala que pour les matches à domicile et passent donc 5 à 6 heures dans l’avion par semaine aller-retour. La région du Daghestan est même considérée, en 2011 par la BBC, comme la zone la plus dangereuse d’Europe.
Cette première saison (particulière) sous l’ère Kerimov se solde par une 5ème position au classement final. Celle-ci étant considéré par Kerimov comme une saison de construction, il attend beaucoup de la suivante.
Qualifiés pour les tours préliminaires de l’Europa League, les Aigles se qualifient pour les poules au dépend de l’AZ Alkmaar, notamment grâce à une victoire écrasante 0-5 au match retour dans un AFAS Stadion éteint dès la quinzième minute, synonyme d’ouverture du score de Boussoufa.
Renforcé par Lacina Traoré, Lassana Diarra et Christopher Samba, les Daghestanais effectuent un début de saison en boulet de canon en réalisant un 29/36 les plaçant à la première position au terme de la 12ème journée. Excité par la première partie de saison de ses hommes qui les voit lutter pour le titre et passer l’hiver européen, Kerimov voit grand.
La région du Daghestan est même considérée, en 2011 par la BBC, comme la zone la plus dangereuse d’Europe.
Alors que la trêve hivernale bat son plein (plus de 3 mois en Russie au vu les conditions climatiques), Kerimov casse sa tirelire le 31 janvier 2013 en faisant venir Willian du Shakhtar pour 35 millions, faisant de lui le transfert le plus cher de l’histoire de l’Anzhi.
Malheureusement, et malgré une hausse de public, la mayonnaise ne prend pas. Après un triste bilan de 6/21, les Aigles voient leurs concurrents s’envoler vers une lutte acharnée pour le titre, ce qui met alors un terme aux rêves de Champions League pour le bouillonnant (et mégalo…) propriétaire daghestanais. L’épopée européenne de l’Anzhi se stoppe en 1/8è de finale face à Newcastle où Papiss Cissé crucifie Gabulov dans le temps additionnel.
Le sacre russe sera finalement remporté par le CSKA à une journée de la fin de la compétition. Forcément déçu par l’issue de ce championnat, Kerimov espérait tout de même se consoler via la coupe de Russie, où les Orly ont réussi à se hisser en finale face au CSKA.
Mené au bout de 10 minutes de jeu dans l’Akhmat Arena voisin (stade du Terek Grozny), l’Anzhi recolle au score via Lassana Diarra après 75 minutes. Alors que le match semblait se tourner en faveurs des jaunes et verts depuis l’exclusion de Wernbloom, le demi défensif moscovite, l’Anzhi ne parvient pas à marquer et laisse la loterie des tirs au but décider du futur vainqueur du trophée. Le CSKA remporte la séance 4 à 3 après que Zhirkov et Jucilei manquent leur face-à-face avec Igor Akinfeev.
Nouvelle désillusion pour Kerimov qui, selon certaines sources russes, commence déjà à s’agacer et perdre patience, lui qui a dépensé près de 400 millions en 2 ans.
Plus de Russes pour le mercato d’été 2013
Pourtant déterminé à réaliser son rêve, le milliardaire daghestanais ressort son chéquier et finalise les arrivées de jeunes pépites nationales afin de pouvoir respecter le règlement du championnat russe qui stipule que la feuille de match ne peut compter plus de 6 joueurs étrangers. Ainsi, Kerimov fait venir les jeunes Aleksandr Kokorin, Gia Grigalava, Aleksey Ionov ou Fyodor Smolov mais aussi des joueurs plus confirmés comme Igor Denisov (capitaine de l’équipe nationale russe) et Aleksandr Kerzhakov. Avec une cinquantaine de millions dépensés avant le mois d’août, on pensait que la saison 2013-2014 allait être celle de la consécration…
Pour le premier match du championnat, l’Anzhi affronte le Lokomotiv. Malheureusement, les Aigles loupent le train de la victoire en se faisant rejoindre à 2 buts partout à la 90ème. Eto’o, avait pourtant les 3 points au bout du pied lorsque l’arbitre désigne le point de penalty à la 93ème minute mais bute sur le gardien Guilherme.
Moins d’une semaine après, le scénario de leur deuxième match du championnat face au Dinamo Moscou est tout aussi cruel ; après avoir longtemps couru au score, l’Anzhi parvient à trouver l’énergie nécessaire pour égaliser dans les derniers instants grâce à Samba mais une faute de main de Carcela dans la surface de réparation à la 95ème permet à Andriy Voronin de déjà enfoncer le club caucasien dans une position de relégable.
3 jours plus tard, Hiddink dépose à la surprise général, sa démission sur le bureau de Kerimov. Le coach néerlandais avait pourtant resigné 6 semaines auparavant… Déçu des résultats ? C’est l’hypothèse que la presse russe émet, dans un premier temps.
Mais la réalité est bien différente. Alors que c’est René Meulensteen (adjoint d’Hiddink) qui reprend la succession de son compatriote, celui-ci est viré seulement 2 matchs après sa prise de fonction. Le 7 août 2013, quelques jours après une nouvelle défaite à domicile 0-1 face à Rostov, le club annonce un changement de stratégie et vouloir plutôt se tourner vers son centre de formation. Kerimov aurait-il fini par péter un câble ?
Arrivée du Fair-Play financier, scandale lié à son entreprise: Kerimov doit vendre ses stars
« La principale information est que l’Anzhi va faire l’objet d’une réorganisation. Nombre de nos coûteuses vedettes vont quitter l’Anzhi, et le budget du club va baisser de 50-70 millions de dollars par an« , indique sur Twitter le président du club Konstantin Remchukov. Ce-dernier avoue également que le club avait « échoué à rencontrer un rapide succès« … La presse russe annonce également qu’après cette défaite face à Rostov, Kerimov aurait rencontré des problèmes de santé ce qui lui aurait fait réfléchir à la manière de gérer son club. En vérité, c’est surtout l’arrivé du fair-play financier combiné à un scandale lié à son entreprise de production de sels minéraux qui a littéralement mis à mal l’économie biélorusse qui aurait poussé Kerimov à prendre cette décision. Ce scandale a carrément mené à la publication d’un mandat d’arrêt par le président biélorusse à l’encontre de Suleyman Kerimov, ce qui le place sur la liste des recherchés par Interpol.
Impliqué dans divers scandales, Kerimov voit progressivement son rêve de gouverner sa terre natale du Daghestan s’envoler et n’a donc plus de réel intérêt à investir autant d’argent dans un club qui ne lui rapporte aucune plus-value. A force de vouloir voler trop près du soleil, on finit par se brûler les ai(g)les…
Celui qui aura donc dépensé, juste en transfert, une somme d’environ 250 millions d’euros décide de réduire radicalement ses dépenses et de vendre toutes ses stars, mêmes celles arrivées durant ce même mercato. Ainsi, à la recherche de liquidités rapides, il brade lors du mois d’août pas moins de 14 joueurs dont la presque totalité sont des titulaires ! Les clubs moscovites raflent la mise avec les départs de Boussoufa, Diarra et Arseniy Logashov vers le Locomotiv, Joao Carlos vers le Spartak mais aussi de Denisov, Zhirkov, Samba, Gabulov, Ionov et Kokorin vers le Dinamo. Kokorin, qui n’aura même pas eu le temps de porter une seule fois le maillot des Aigles. Shatov rejoint, lui, St-Pétersbourg tandis que les gros salaires Willian et Eto’o seront, quant à eux, céder à Chelsea, où Roman Abramovitch aura sûrement fait jouer ses relations avec Kerimov, ami intime depuis de nombreuses années.
Le club a échoué à rencontrer un succès rapide
Konstantin Remchukov, président d’Anzhi
Alors qu’un an auparavant, on croyait voir filer l’Anzhi vers un premier titre de champion, la réalité est diamétralement opposé en cette fin 2013. Bon dernier depuis la 12ème journée, le club caucasien ne quittera plus cette place et sera relégué en fin de saison après une interminable série de 20 matches sans victoire.
Toujours en proie à des difficultés financières, le club cherche un maximum à économiser de l’argent qu’il avait pourtant dépensé sans compter quelques années auparavant. Le club fait revenir s’entrainer ses joueurs sur le sol caucasien afin de réduire les coûts que ces déplacements engendrent. Dans une région hostile et réputé pour ses attaques terroristes, un jeune joueur de l’Anzhi, Gasan Magomedov, se fait froidement abattre dans la nuit du 3 au 4 janvier. Son corps est retrouvé par ses parents criblé de balle.
Malgré ce drame, l’Anzhi parvient à terminer à une 2ème place, synonyme de promotion, grâce à une grosse saison à 15 buts de leur buteur Yannick Boli, cousin des frères Yohan et Kevin Boli, connus pour avoir fait leurs armes en Belgique à cette même période.
Alors toujours en Premier Liga malgré quelques flirts avec les places de relégables, le club subit un tournant lorsqu’en décembre 2016, Suleyman Kerimov annonce la vente du club à Osman Kadiev, un autre daghestanais très controversé et ancien propriétaire du Dinamo Makhachkala, club de la ville, disparu en 2007. Kadiev, connu en Russie pour avoir menacé un arbitre de mort et lui avoir rendu visite à la mi-temps d’un match accompagné de ses gardes du corps muni de Kalash, arrive au club avec l’ambition d’apporter un peu plus de stabilité dans un club qui a connu trop de montagnes russes.
Installé dans la colonne de droite du classement de la division, le club parvient à se maintenir pendant 3 ans. Pourtant descendant en mai 2018 après une défaite en barrage face à Enisay (6-4 en score cumulé), les Aigles resteront finalement dans l’élite suite à la faillite de l’Amkar Perm déclarée à la fin du mois de juin.
Le début de la chute en 2019
La 4ème saison sera celle de la fin pour le club caucasien. Terminant 15ème et donc relégable, après n’avoir su engranger aucune victoire au second tour, l’Anzhi file droit vers la 2ème division. Après une énième défaite, Magomed Adiev, le coach daghestanais, déclare même : “Le club souffre, le mot est faible. Il est même mourant”. Rétrogradé en 2ème division au printemps, c’est bien en 3ème que les Aigles débuteront leur saison 2019-2020. Manquant de fonds, le club n’a pu obtenir le précieux sésame de la licence et n’a pu s’inscrire pour le championnat de D2. Le club s’est également vu refuser sa demande d’aide financière de la part de la République du Daghestan, celle-ci lui attestant qu’il devait se débrouiller sans eux.
L’année dernière, le club végétait toujours en troisième division nationale et, à titre de comparaison, la valeur totale de l’effectif (3 millions) ne payerait environ “que” 2 mois de salaire de Samuel Eto’o. Le club a malheureusement cessé d’exister depuis le 1er juillet 2022.
Dans une région qui a vu naitre un champion du monde de poids légers de MMA, Khabib Nurmagomedov, l’Anzhi Makhachkala a quant à lui, fini K.O. Devenir un poids lourd du football européen semblait pourtant dans ses cordes.
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