Anderlecht: les secrets d’un pacte
Anderlecht s’est une nouvelle fois restructuré. Mais qui tire désormais les ficelles et quelles seront les conséquences de ce remaniement ? Décryptage.
Dans les coulisses du Lotto Park, avant même le match contre l’Antwerp, dernier volet d’une année 2019 misérable, une énième révolution de palais allait avoir lieu. Celle-ci avait été tenue secrète jusqu’à ce 14 janvier et l’annonce de l’arrivée du quatuor Wouter Vandenhaute, Patrick Lefevere, Karel Van Eetvelt, et Philippe Close. Aujourd’hui, le rôle exact de Vandenhaute, officiellement conseiller externe, reste flou mais il ne fait plus de doute que l’entrepreneur polyvalent, âgé de 57 ans, est le nouvel homme fort du club. Avec Marc Coucke, Johan Beerlandt, Alexandre Van Damme, présent une fois par an, Karel Van Eetvelt, Wouter Vandenhaute, Patrick Lefevere, Philippe Close, Etienne Davignon et Vincent Kompany, ça s’annonce rock and roll au plus haut niveau du club. Anderlecht parviendra-t-il à mieux fonctionner avec autant d’egos ?
Depuis décembre, les tensions entre Coucke et Verschueren sont de plus en plus fortes.
Le rejet de D’Onofrio
Après plusieurs mois de cafouillage, Marc Coucke était convaincu qu’Anderlecht avait besoin d’un nouveau leader pour remettre le projet sportif sur le droit chemin. À ses yeux, Luciano D’Onofrio était le candidat idéal pour ce poste. Les deux hommes se sont rencontrés une première fois mi-2019 et D’Onofrio était intéressé par le poste mais très exigeant : il voulait les pleins pouvoirs. Pas question donc de fonctionner avec Vincent Kompany. Coucke a choisi le projet Kompany mais s’est ravisé quelques mois plus tard et est allé retrouver D’Onofrio, qui lui a fermé la porte au nez.
Dans le même temps, il a fallu gérer le cas Joris Ide. Son ami et fidèle associé lors de la reprise détient 10 % des parts d’Anderlecht et est dès lors un rouage essentiel de l’actionnariat du Sporting. Mais il se sent tellement sous-exposé et plongé dans un drôle de traquenard, qu’il aurait menacé de démissionner. Pour Coucke, cet épisode constituait un motif supplémentaire pour bouger les lignes. C’est ainsi qu’il s’est adressé à Vandenhaute, qui a fini par accepter la main tendue.
Vandenhaute a toujours rêvé de diriger un club de football. C’est pourquoi, en 2017, il s’était associé, quelque peu contraint et forcé puisqu’il ne disposait pas des liquidités nécessaires, à Paul Gheysens pour reprendre Anderlecht. À la surprise générale, Coucke avait finalement emporté le morceau. Au cours des derniers mois, Vandenhaute a eu des contacts avec le Standard – Bruno Venanzi voulait l’introduire dans l’actionnariat – et il a envisagé la reprise de Roda JC avec un groupe d’hommes d’affaires flamands.
Le cheval de Troie
» J’ai 56 ans, je ne vais pas attendre dix ans de plus pour faire quelque chose dans le monde du football « , précisait Vandenhaute dans Knack en février 2018. C’est finalement avec deux ans de retard qu’il débarque à Anderlecht. Et en coulisses, beaucoup de gens pensent qu’il prépare soigneusement son entrée officielle. » Vandenhaute, c’est le cheval de Troie « , dit-on en interne. » À terme, il installera ses hommes : Peter Smeets ( qui a longtemps travaillé dans la cellule sociale d’Anderlecht, ndlr) et Bob Claes ( ex-directeur général du Standard, ndlr). »
Vandenhaute prépare minutieusement le terrain depuis le mois de décembre. Le mois dernier, il a rencontré Franky Vercauteren au San Daniele, restaurant italien de Ganshoren où les pontes de la maison mauve ont leurs habitudes, afin de renouer une relation qui s’était refroidie. Vercauteren a longtemps été en contact avec Let’s Play, l’agence de management de Vandenhaute, mais avait négocié seul son arrivée à Anderlecht, ce qui avait causé des frictions entre les deux parties. Les choses ont donc été mises à plat à l’ombre de la basilique de Koekelberg.
Dans un contexte post-Footgate, Vandenhaute va devoir clarifier à terme sa position entre sa boîte de management Let’s Play, qu’il dit ne pas vouloir lâcher, et ses activités à Anderlecht. Mais comment séparer deux pôles inévitablement liés ?
Revenus en baisse
Sur le terrain, Anderlecht a déjà connu tellement de chamboulements au cours des deux dernières saisons qu’il est pratiquement immunisé. Au sein du staff technique circule même un photo-montage de Kompany en tenue de cycliste. Un brin d’humour pour échapper à la sinistrose car cela fait un bon bout de temps qu’on ne s’amuse plus à Neerpede. Dans les bureaux, l’ambiance n’est plus au football – il n’y a même plus de poster ou de maillot du club au mur. Elle est même parfois carrément morose et on ne pense pas que l’arrivée de Van Eetvelt va changer les choses. L’homme fort de Febelfin arrive avant tout pour mettre de l’ordre dans les comptes. Donc, épargner, couper dans les dépenses de certains départements et cesser d’engager. Il va devoir contrôler l’ensemble des activités du club, ce que son prédécesseur, Jo Van Biesbroeck, n’a pas toujours réussi à faire car le duo Verschueren-Coucke ne tenait pas compte de ses recommandations.
Sur le plan commercial – sponsoring, hospitality, etc – Anderlecht a beaucoup progressé au cours des dernières années. Il le doit à son ancien Head of Sales, Matthijs Keersebilck, un vendeur hors-pair que Coucke appréciait particulièrement parce qu’il rapportait beaucoup d’argent. Avec lui, en 2017-2018, les revenus avaient grimpé jusqu’à 60 millions d’euros. Il était considéré comme le coming man d’Anderlecht mais il a décidé lui-même de s’en aller.
Après plusieurs mois de cafouillage, Marc Coucke a contacté Lucien D’Onofrio pour remettre le projet sportif sur le droit chemin.
La saison dernière, Anderlecht a engrangé 52 millions mais comme il a raté l’Europe et n’a pas eu droit au bonus d’ Allianz lié à la qualification, les revenus du prochain exercice chuteront sous les 50 millions d’euros. La pression est donc sur les épaules du nouveau responsable commercial, Emmanuel Rutsaert. Anderlecht peut compter sur quarante sponsors. Il en a contacté une centaine mais, selon Coucke, le club a encore besoin d’argent frais. Il demande donc régulièrement à Rutsaert où il en est en matière de sponsoring… Au cours des prochaines années, Anderlecht veut se concentrer davantage sur la vente au détail, booster la vente de maillots. Au niveau du merchandising, le club a encore beaucoup de chemin à parcourir. » Si l’Ajax y arrive, pourquoi pas nous ? « , demandait ouvertement Verschueren voici peu.
Exit Verschueren ?
Un Michael Verschueren pour qui la révolution de palais à Anderlecht ne restera pas sans conséquences. Au cours des derniers mois, Coucke a constaté que Verschueren n’était pas fait pour le job de directeur sportif et depuis le mois de décembre, les tensions entre les deux hommes sont de plus en plus fortes. Verschueren a dû céder sa place au conseil d’administration et est plus que jamais sur un siège éjectable. Le message de Van Eetvelt au cours de sa première conférence de presse était clair : Verschueren va devoir expliquer ce qu’il fait et quelle plus-value il apporte au club. Le lendemain, Verschueren laissait entendre qu’il avait eu un entretien constructif avec Van Eetvelt. » Il y a eu des changements de poste mais ça n’a pas beaucoup d’influence sur mon travail « , disait-il à Het Laatste Nieuws au cours du Gala du Soulier d’Or. » Ces changements ont été effectués dans l’optique d’un meilleur fonctionnement du conseil d’administration. C’est une question de gouvernance. »
On attend désormais que la nouvelle direction officialise la rétrogradation de Verschueren, qui devrait représenter à nouveau Anderlecht à l’European Club Association (ECA). Il est probablement en train de mener son dernier mercato en tant que directeur sportif. On ne voit pas comment il pourrait rattraper en quelques semaines les nombreuses erreurs commises depuis son arrivée.
Le contraste avec le printemps 2019 est immense. Le dimanche 19 mai, dernier jour des play-offs, c’est tout juste si Verschueren n’avait pas été canonisé pour avoir réussi, avec Marc Coucke, à ramener Kompany à Anderlecht. Le Sporting avait loupé l’Europe mais le lendemain, à Neerpede, tout le monde avait le sourire. Les réalisateurs du clip vidéo étaient fiers, Verschueren affichait son sourire Pepsodent dans les couloirs et serrait des mains. Huit mois plus tard, sa place est remise en cause. Coucke a tiré les leçons de la débâcle Luc Devroe. Au moment d’arriver d’Ostende à Anderlecht, les deux hommes étaient très proches mais quand Devroe a été écarté, les relations ont été rompues. Désormais, c’est Van Eetvelt qui est chargé de la direction opérationnelle et Coucke ne se salira plus les mains.
Maintenant, il lui reste à trouver une façon élégante de retirer quelques compétences à Kompany. Le projet basé sur les jeunes reste intact – Coucke a compris que ça pouvait rapporter beaucoup d’argent et Vandenhaute n’y est évidemment pas opposé – mais il faut assurer un meilleur équilibre. S’il reste, Kompany devra faire avec le nouveau rapport de forces.
Pourquoi Anderlecht doit-il attendre si longtemps un nouvel attaquant ?
À la recherche d’un attaquant, Michael Verschueren vit un véritable calvaire. Le directeur sportif en est déjà à son troisième mercato et il n’a encore pu ramener que Kemar Roofe, en bonne partie avec l’aide de Vincent Kompany. En coulisses, certains prétendent ironiquement que lors d’un transfert, Verschueren n’arrive qu’au moment de serrer la main.
Verschueren semble toujours avoir des problèmes au moment de la phase décisive des négociations. Souvenez-vous de l’Allemand Sidney Sam, envoyé promener après une préparation concluante. Ou des rebondissements du dossier Mbaye Diagne. Mais la plus grosse erreur fut sans doute commise au moment de ramener Dieumerci Mbokani, qui était libre de transfert. Verschueren a refusé les exigences salariales du Congolais – il avait pourtant accepté celles de Samir Nasri – tout en prétendant qu’il y avait déjà suffisamment d’attaquants dans le noyau. Des attaquants dont il tentait pourtant de se débarrasser… Dans le cas de Mbokani, il faut rappeler que les responsabilités étaient partagées car le comité de transferts, composé de Jean Kindermans, Pär Zetterberg, Vincent Kompany et Frank Arnesen, avait également eu son mot à dire.
Si Anderlecht a dû entamer le deuxième tour sans nouvel attaquant, c’est parce que la situation financière du club est précaire mais aussi parce qu’il ne se montre pas assez persévérant. Au cours des dernières semaines, Verschueren et Pieter Eecloo, responsable de la cellule recrutement, ont reçu de nombreux CV de joueurs mais les agents attendent toujours une réponse. Les intermédiaires se demandent comment les décisions sont prises et la plate-forme digitale sur laquelle ils ont dû s’inscrire est un fiasco.
L’époque où Anderlecht était le club qui payait le mieux et versait les plus grosses commissions est révolu également. » Pour un joueur étranger, Anderlecht n’est plus la destination prioritaire en Belgique « , dit un agent qui travaille régulièrement avec Anderlecht. » Mais ce n’est pas tout : un joueur qui a le choix entre les Young Boys de Berne et Anderlecht optera toujours pour le club suisse. »
Anderlecht doit donc se réinventer et élargir son horizon de scouting à l’Amérique du Sud ou à l’Afrique. On verra si le nouveau CEO, Karel Van Eetvelt, estimera que le nouvel organigramme doit prévoir un poste de vrai directeur sportif qui connaît le football et possède un gros carnet d’adresses. Wouter Vandenhaute en est sûr et il scrute déjà le marché.
Par Alain Eliasy et Thomas Bricmont
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