Anastasiou : « Je veux voir du football »
Dimanche, Yannis Anastasiou affrontera Anderlecht pour la première fois depuis qu’il a quitté le Parc Astrid, à l’été 2000. Désormais entraîneur de Courtrai, il veut que son équipe pratique un football qui plaît au public du Stade Constant Vanden Stock.
Avant de partir, nous lui demandons quelles capacités lui ont le plus servi dans sa vie. « Ma franchise et ma faculté d’adaptation, ma flexibilité mentale », répond Yannis Anastasiou. A Courtrai aussi, cela lui est très utile. Claude Gezelle, le team manager de Courtrai, a décidé que l’entretien aurait lieu dans un recoin sous la tribune du Stade des Eperons d’Or. Nous devons veiller à ne pas nous cogner la tête mais il y a de la lumière, du café et un interlocuteur affable qui a déjà fait abattre un mur afin d’agrandir la salle de fitness. « Nous tentons d’être créatifs », dit-il. « La salle est encore un peu petite mais quand je vois que les joueurs s’y donnent à fond pour évoluer physiquement, je me dis que nous avons bien fait de l’agrandir. »
Vitesse
Courtrai est un club un peu spécial. C’est ainsi que son prédécesseur, Karim Belhocine, est devenu manager sportif. Il est donc son supérieur hiérarchique alors qu’à la fin de la saison dernière, il a été contraint de lui céder sa place de coach. « Pour moi, cela ne change rien », dit Anastasiou. « Depuis le premier jour, je suis en contact avec Matthias Leterme (le manager général, ndlr) et je continue comme cela, sans m’occuper de l’organisation interne du club. Je me consacre au travail avec les joueurs, c’est pour cela qu’on m’a engagé. » Lui et les deux adjoints qu’il a amenés: le T2, Steve Rutter, et le préparateur physique, Youssef Vos. « Des gens intelligents, compétents et expérimentés », dit-il. « Des humains qui sont à disposition des joueurs pour leur expliquer ce que nous voulons faire et comment ils peuvent progresser. »
C’est nécessaire car, depuis l’arrivée du trio, Courtrai s’entraîne et joue différemment. « Le jour et la nuit », dit Anastasiou. « Nous tentons de changer les choses progressivement pour amener l’équipe là où elle doit être. Depuis le premier jour, nous travaillons avec le ballon, nous sommes plus explosifs, les exercices sont plus courts et nous misons beaucoup sur le jeu de jambes. Nous devons apporter de la vitesse et de la souplesse à notre jeu. Les chiffres nous montrent que, petit à petit, nous y arrivons. Lors du premier match de championnat, les joueurs couraient en moyenne 340 mètres au sprint. Lors de la cinquième journée, ils en étaient déjà à 560 mètres.
La plupart des équipes manquent d’explosivité. Hormis les attaquants, les autres jouent tout le temps au même rythme. Elles misent sur la puissance. Face à cela, l’équipe qui se montre plus explosive a plus de chances de récupérer le ballon et de repartir rapidement. Elle peut faire la différence grâce aux passes. C’est ce que je demande depuis le premier jour : de la vitesse, du rythme et des passes. »
Pour lui, aujourd’hui, la vitesse est l’élément qui compte le plus en football. « Il faut penser, bouger et jouer vite, tout tourne autour de cela et c’est ce que nous essayons d’inculquer aux joueurs. Ce n’est pas facile, surtout pour des gars qui ont plus de trente ans et n’ont jamais été habitués à cela mais l’intention y est. Ils sont prêts à le faire et essayent. Notre tâche est de les corriger, de rester positifs et de les mettre en confiance. On voit qu’ils veulent jouer au football et, pour moi, c’est le plus important : je veux voir du football. Je n’interdis pas les longs ballons mais ça doit être la dernière option. »
Structure
« Nous pratiquons un football structuré, il y a une idée derrière tout cela », poursuit Anastasiou. « C’est tout à fait différent du football original, primitif. Je veux que mon équipe joue avec beaucoup d’intensité tout en faisant les bons choix. Nous voulons oser prendre l’initiative, chercher les espaces entre les lignes et créer des espaces pour les autres. Au début, c’était difficile mais les joueurs commencent à sentir les choses et à prendre confiance. Les bons résultats nous aident. Je pense cependant que nous ne serons stables qu’en octobre. A partir de ce moment-là, nous pourrons regarder devant nous. »
Le Courtrai d’Anastasiou joue sur base d’un losange dont le médian défensif, Hannes Van der Bruggen, est avant tout un joueur créatif. « Hannes n’est pas le joueur le plus puissant et le plus agressif qui soit mais il suit un programme individuel et devient plus costaud. De plus, il est toujours possible de poser des difficultés à l’adversaire en se plaçant bien (ce qui permet d’éviter les duels) et en étant le premier sur le ballon. Je comprends qu’on pense que nous jouons en losange mais, selon moi, c’est un 4-3-1-2.
Au Panathinaikos, j’ai commencé en 4-3-3 mais j’ai constaté que, malgré notre domination, nous amenions peu de joueurs dans le rectangle adverse. Je suis alors passé au 4-3-1-2. J’ai un peu joué comme ça à Roda aussi mais ici, ça convient mieux. Il y a plus de qualités individuelles et ces joueurs doivent juste être structurés, guidés tactiquement. Il faut leur donner des consignes claires, avec et sans ballon.
Cela se voit au rendement de Stojanovic par exemple. Et voyez l’évolution de Hannes: avant; il sprintait de 250 à 280 mètres par match. Maintenant, il en est à 500, 550 mètres. Pour un gars qui fait 12 à 13 kilomètres par match, c’est l’idéal. Tout le mérite lui en revient. Il travaille dur pour atteindre ce niveau. Car c’est ce que je demande toujours à mes joueurs: Que voulez-vous? Vous voulez progresser? Ça doit venir d’eux. »
Audace
Les sources d’inspiration d’Anastasiou sont nombreuses. Il a travaillé en Grèce, aux Pays-Bas et en Belgique, tandis qu’il a obtenu sa licence pro UEFA en Angleterre. « Pour progresser, j’ai fait des stages dans différents pays », ajoute-t-il. « J’ai côtoyé Guardiola à Barcelone, Ancelotti et Blanc à Paris, Van Gaal à Munich. En Angleterre, je suis allé à Southampton, Fulham et Reading. Au fil des années, j’ai développé une vision du jeu qui me correspond sur le plan humain. J’ai tenté de retenir quelque chose de chacun des mes entraîneurs. Sur le plan tactique, Ronald Koeman m’a beaucoup appris. A chaque match, nous connaissions exactement les points faibles de l’adversaire et tout au long de la semaine, nous travaillions les points dont nous pouvions profiter. »
Anastasiou n’a pas seulement joué à Ajax, il y a également commencé sa carrière d’entraîneur, chez les jeunes. « Je suis certainement imprégné de la philosophie de l’Ajax mais on y retrouve aussi des choses qui ne me conviennent pas. » Un exemple: « Pour moi, les défenseurs centraux ne doivent pas nécessaire être de très bons joueurs. Ils doivent avant tout pouvoir défendre. Je ne vais pas demander à un joueur de participer à la relance s’il n’en est pas capable. Par contre, ils doivent oser. J’ai été attaquant et je sais que les attaquants n’aiment pas reculer. C’est pourquoi j’attends de mes défenseurs centraux qu’ils avancent de deux ou trois mètres, parce que je sais que, mentalement, ça perturbe l’attaquant.
J’aime bien jouer au plus fin (il rit). C’est aussi la base de mon jeu: nous devons être les plus malins. Je ne vais pas demander à Kaminski de remonter le ballon au pied parce qu’il n’y a jamais été habitué. Alors, je lui dis de dégager dehors s’il est coincé. A l’Ajax, le gardien qui ferait cela n’aurait aucune chance. Je vois d’où les joueurs viennent, quelles sont leurs qualités, leur caractère et leur degré de confiance puis j’essaye de les faire progresser, par belle ou par laide. »
Franchise
Anastasiou passe pour être très humain mais cela ne l’empêche pas de prendre des décisions très dures. C’est ainsi qu’à Eupen, il a sorti Stijn De Smet après 32 minutes de jeu. « J’avais donné certaines consignes en fonction du jeu de l’adversaire et de l’opposition que nous devions apporter », dit-il. « J’estimais que Stijn n’aidait pas l’équipe et que cela nous mettait en difficulté. C’était la toute première fois de ma carrière que je remplaçais un joueur avant la mi-temps. En principe, je laisse toujours à un joueur la chance de se ressaisir mais je dois voir comment l’équipe fonctionne, si chacun fait son travail, en possession de balle et, plus encore, en perte de balle.
J’ai donc estimé qu’il était nécessaire d’intervenir et cela a payé. J’ai lancé Stojanovic et, sur son premier ballon, il a marqué. Après le match, j’ai parlé à Stijn. Et encore le lendemain. J’explique les choses en toute franchise, honnêtement et clairement, ce qui permet aux joueurs de comprendre ce qu’il se passe: mes choix, ce que j’apprécie, ce que j’aime moins, pourquoi nous faisons cela et comment nous pouvons progresser. Je comprends que, pour Stijn, ce n’était pas chouette. Il était donc déçu mais j’estime que les joueurs doivent d’abord être déçus de leur prestation.
La semaine suivante, d’ailleurs, Stijn était à nouveau titulaire. Pour moi, tout le monde est important. Sur ce point, Sef Vergoossen m’a beaucoup appris à Roda. Il accordait énormément d’attention aux joueurs qui ne jouaient pas. Mon objectif est de faire progresser tout le monde, de faire en sorte que chacun puisse jouer à tout moment et de rendre l’équipe plus forte. C’est mon boulot, je m’y investis à 100 % et j’y passe beaucoup de temps. »
En cours de match, il est le calme personnifié. « J’ai appris, au cours de ma carrière de joueur, quelle était l’influence d’un coach nerveux, agité. C’est pourquoi j’essaye avant tout d’inspirer le calme et la confiance, d’être très attentif à ce qui se passe sur le terrain et en dehors. Dans ce boulot, il faut parfois pouvoir élever la voix pour réveiller les joueurs mais j’essaie toujours d’être très clair quant à ce que je veux et à comment je veux que ça se passe. Je ne veux pas que mes joueurs aient peur de moi et se replient sur eux-mêmes. Je veux qu’ils restent ouverts, qu’ils continuent à apprendre. Un entraîneur qui dit Il faut faire ceci ou cela ne fait pas progresser ses joueurs. Je suis patient, je réexplique et je montre deux ou trois fois s’il le faut. »
Mais y a-t-il quelque chose qu’il ne supporte pas? « Si on passe toute la semaine à travailler pour créer des espaces à un certain endroit et qu’on ne répète pas cela en match, je me fâche. Mais même dans ces moments-là, j ‘essaie toujours de continuer à parler de football. »
par Christian Vandenabeele
Parc Astrid & Green Park
Yannis Anastasiou (44) a porté le maillot d’Anderlecht pendant 20 mois, de janvier 1999 à août 2000. Au cours de cette période, il a disputé 24 matches officiels, avec 9 buts à la clef. Il débarquait d’OFI Crête. C’était un attaquant qui aimait toucher le ballon et sentait très bien le jeu. « Mais je manquais d’explosivité et cela a nui a ma carrière car, à ce niveau, la vitesse de démarrage est importante », dit-il. Il ajoute qu’à Anderlecht, il a surtout progressé physiquement et mentalement. « Au début, ce fut difficile. Je m’attendais à tout autre chose et j’ai dû faire beaucoup de tours du Parc Astrid pour être en condition. Je me disais que ce n’était pas du football mais je suis tout de même content d’être passé par là car cela m’a rendu plus fort. »
En pointe, la concurrence était rude: le duo Jan Koller – Tomasz Radzinski était intouchable. « Mais au plus haut niveau, il faut aussi apprendre à vivre avec la concurrence, sans quoi on ne progresse jamais. A Anderlecht, j’ai évolué sportivement et humainement, mentalement. Parce que j’étais assez intelligent pour comprendre les choix d’Aimé Anthuenis et que je donnais tout à l’entraînement afin de faire en sorte qu’il ne puisse pas m’ignorer. Je me souviens encore que nous avions bien joué au Standard mais que nous avions manqué toutes nos occasions. J’étais allé trouver le coach en lui disant de me faire jouer, que moi, je marquerais. Il m’a fait entrer et mon premier ballon, je l’ai mis au fond. Après le match, je lui ai dit: Demain, à l’entraînement, je vais montrer à tout le monde comment on fait pour marquer (il rit).
Mon premier but au Parc Astrid, c’était contre Westerlo. Nous étions menés 0-2 après 65 minutes et j’ai fait 1-2 puis Tomasz a marqué deux fois et nous avons gagné 3-2. A chaque fois que je marquais, les joueurs dansaient le sirtaki et les supporters aussi. C’était chouette. » Après son départ, il est retourné plusieurs fois à Anderlecht. « J’ai vu pas mal de matches de Coupe d’Europe et je suis souvent retourné au Green Park, la taverne située en face de l’entrée principale du stade. Un endroit chaleureux, avec des patrons et des habitués extrêmement sympas. J’y ai passé de bons moments. »
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