Il n’y a pas que par la taille qu’Amadou Onana prend de la place... © belgaimage

Amadou Onana, le pestiféré devenu taulier

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Avec son mètre 95 de muscles et son regard de bodyguard, difficile de passer à côté d’Amadou Onana. La Belgique a pourtant failli le manquer, jusqu’à ce qu’il fasse tout pour crever l’écran.

Le football peut bien s’écrire avec les pieds, l’histoire d’Amadou Onana se raconte d’abord par le corps. «La première chose que j’ai vue de ses matchs à Lille, c’est son physique», exposait d’ailleurs Frank Lampard, ancien milieu de terrain de Chelsea alors coach d’Everton, à l’heure de justifier les quarante millions d’euros dépensés pour attirer le Belge dans le vestiaire de ses Toffees. La carrure est tape-à-l’œil, et ça ne date pas d’hier. Au début de l’année 2018 déjà, alors qu’il n’a que 16 ans et qu’il a disparu des radars nationaux en rejoignant le centre de formation d’Hoffenheim, en Allemagne, c’est à son gabarit que le milieu de terrain doit ses premiers pas diaboliques. «Si je n’avais pas été grand et fort, jamais je n’aurais eu cette chance de partir une semaine au Bélarus avec les U17», admet sans peine le géant né à Dakar.

Si je n’avais pas été grand et fort, jamais je n’aurais eu cette chance.

Faute de contenu vidéo en suffisance, c’est en effet sur photo que Thierry Siquet, sélectionneur des moins de 17 ans belges, donne une suite positive à l’appel de Melissa Onana, grande sœur et accompagnatrice de carrière d’Amadou. En quête d’un milieu défensif costaud pour compléter le groupe qu’il compte emmener à l’est de l’Europe pour jouer la Development Cup, un tournoi sur un grand terrain indoor prévu dans le Football Covered Hall de Minsk en janvier 2018, le coach décide d’emmener Onana dans ses bagages.

Le 21 janvier de cette année-là est une première, mais Amadou Onana donne l’impression d’être là depuis toujours. Quand les baffles crachent les premières notes d’une Brabançonne qui résonne sous le dôme bélarusse à quelques instants du match inaugural contre la Finlande, c’est lui qui initie le mouvement d’une équipe bras dessus, bras dessous, déployant ses ailes pour les poser sur les épaules de ses deux voisins. A l’heure de la photo d’équipe, dernière formalité avant le coup d’envoi, il prend aussi la parole pour placer ses équipiers parmi lesquels on distingue Michel-Ange Balikwisha (aujourd’hui à l’Antwerp). Plus discret dès le ballon mis en jeu, le numéro 6 reste immanquable parce qu’il dépasse d’une bonne tête les 21 autres acteurs de la rencontre, gardiens compris.

S’il se lance dans la partition scolaire de ceux qui ne veulent surtout pas manquer leur première fois, le milieu de terrain laisse cependant entrevoir le trait majeur de sa personnalité. Un atout qui sonnera rapidement comme un refrain dans la bouche de Roberto Martínez au moment de justifier sa montée rapide dans la hiérarchie nationale à l’aube du Mondial 2022: «Il excelle dans ce rôle de leader. Il a une façon de mener l’équipe, d’influencer les autres joueurs et de donner des consignes.»

Entrée fracassante

Il n’y a donc pas que corporellement qu’Amadou Onana prend de la place. Intégré au noyau des espoirs belges pour la première fois en juin 2021, deux mois avant de quitter l’Allemagne pour rejoindre Lille, il hérite immédiatement du brassard de capitaine pour un déplacement de fin de saison au Kazakhstan, et ne le quitte plus jusqu’au terme des qualifications, honorant jusqu’au printemps suivant la mission confiée par le directeur technique Martínez et le coach Jacky Mathijssen de mener les Diablotins jusqu’à une qualification pour l’Euro Espoirs. Passeur décisif contre le Danemark pour un partage synonyme de billet pour le grand rendez-vous de mars 2022, pendant que Roberto Martínez profite du premier rassemblement de l’année pour ne convoquer que des joueurs comptant moins de cinquante sélections et préparer la relève, Amadou attend trois mois supplémentaires pour débarquer chez les Diables, puis 45 petites minutes pour faire ses grands débuts avec la Belgique lors d’un duel de Ligue des nations contre les Pays-Bas.

A Everton ou chez les Diables, difficile d’arrêter le grand Onana.
A Everton ou chez les Diables, difficile d’arrêter le grand Onana. © getty images

Là aussi, Amadou Onana se fait rapidement remarquer. «Avec son 1 m 95 et sa mentalité, il a toujours donné le sentiment d’être un père de famille qui avait déjà joué plusieurs centaines de matchs en pro», illustrait à SoFoot le coach Daniel Thioune, premier entraîneur à lui avoir fait confiance dans un match d’adultes à Hambourg, en deuxième division allemande. Le milieu de terrain n’est pas du genre à faire dans la discrétion, armé d’une personnalité aussi imposante que sa taille.

Dans le vestiaire des Diables, cette attitude de nouveau patron, encore plus affirmée depuis le changement de règne post-Qatar, fait parfois grincer des dents. En distribuant les bons points à certains de ses coéquipiers lors des interviews d’après-match où en affirmant haut et fort ses ambitions personnelles dans des apparitions médiatiques fort fréquentes, le nouveau venu irrite quelques tauliers. «Qu’un jeune homme sûr de lui exprime ses idées, ça peut déranger, reconnaît Onana dans SoFoot au début de l’année 2023. On ne me l’a jamais fait savoir directement, mais ça a dû arriver.»

Amadou Onana et l’itinéraire bis

Sur le terrain comme dans les journaux, Amadou Onana prend de la place. Le natif de Dakar semble prendre beaucoup de plaisir à raconter une histoire que les journalistes adorent retranscrire. Il faut dire qu’à l’ère des centres de formation qui servent d’usines à champions sans relief, le géant a dû emprunter ce qu’il aime appeler «un itinéraire bis». Des premiers ballons tapés au Sénégal, dans le quartier très orienté ballon rond de Colobane, entrecoupés de séjours estivaux au Heysel, là où se produit la section «provinciaux» du RSC Anderlecht, antichambre du célèbre Neerpede qui forme les talents les plus prisés du pays.

Définitivement installé en Belgique à 11 ans, mais alors oublié des Mauves qui lui avaient proposé d’intégrer leur formation d’élite lors des étés précédents, c’est au White Star voisin qu’Amadou se distingue, avant de s’ouvrir les portes d’un club de D1 en rejoignant Zulte Waregem au prix d’entraînements rejoints lors d’interminables voyages en train. Négligé au «Essevee», il peut compter sur sa sœur aînée qui filme tous ses matchs pour se mettre en vitrine et décrocher un test en Allemagne afin d’intégrer le centre de formation d’Hoffenheim. Il y apprend rapidement la langue locale, et profite surtout de la bonne passe de l’équipe fanion du club pour disputer la Youth League, sorte de Ligue des champions miniature réservée aux joueurs de moins de 18 ans. Poumon d’un milieu de terrain qui élimine le Real Madrid en quarts de finale de la compétition avant d’échouer aux portes de la finale contre Porto, le futur vainqueur, il ne perce pourtant jamais le plafond qui le sépare de la Bundesliga. Avec une certaine rancœur: «Un coach à Hoffenheim avait dit à mon sujet qu’Amadou, sans la bouche, ce n’était que de la hype, qu’il n’allait rien devenir.» De quoi renforcer la motivation du colosse, parti sur un nouveau chemin de traverse en rejoignant Hambourg.

A l’image d’un Romelu Lukaku, avec lequel beaucoup de Diables tracent le parallèle en ce qui concerne la mentalité, Onana aime se construire dans une balance permanente entre confiance de l’entraîneur et défiance de haters auxquels il veut donner tort. Les ennemis comme carburant, dans une logique à l’américaine qui rappelle les rivalités parfois imaginaires, souvent exagérées, que se créent certains ténors de la NBA. Pour son premier match dans le club mythique du nord de l’Allemagne, qu’il démarre dans la peau d’un titulaire dans les derniers jours de l’été 2020, Amadou endosse le numéro 24, celui de Kobe Bryant chez les Lakers de Los Angeles, qu’il présente souvent comme sa source majeure d’inspiration. Il le boucle avec une victoire et un carton jaune, le premier des huit dont il écopera cette saison-là. La conséquence d’un jeu défensif au placement parfois chaotique mais à l’énergie irréprochable, qui convaincra les Dogues de Lille de l’attirer au sein de l’élite française au terme de cette saison. La cellule de recrutement du Losc, qui se focalise toujours avec minutie sur les rencontres de phase finale de Youth League, n’avait même pas attendu les débuts professionnels d’Onana à Hambourg pour suivre un joueur qu’Olivier Létang, directeur général du club, présente comme «le footballeur moderne avec beaucoup de qualités techniques, d’endurance, de force et de vitesse.» Lille choisit Amadou, et Onana a le choix.

Ses ambitions affirmées en agacent certains chez les Diables.

Validé par Roberto Martínez, qui joue son rôle de directeur technique en appelant le milieu de terrain pour le conseiller à l’aube d’un mercato important pour la suite de son développement, le choix d’Onana pour le Losc se transforme rapidement en réussite malgré une saison nordiste bouclée à 40% de temps de jeu «seulement». Son entraîneur, Jocelyn Gourvennec, loue la maturité d’un «garçon très structuré» pour son âge, lui permet de découvrir la Ligue des champions face à Chelsea ou Séville, tandis que son successeur Paulo Fonseca n’aura pas l’occasion de le voir longtemps à l’œuvre quand Everton débarque avec des dizaines de millions pour faire traverser la Manche à celui qui est alors devenu Diable Rouge.

Capitaine chez les U21, Onana ambitionne de le devenir aussi chez les Diables Rouges.
Capitaine chez les U21, Onana ambitionne de le devenir aussi chez les Diables Rouges. © belgaimage

Le rêve du brassard

Désormais estampillé Premier League et propulsé très haut dans la hiérarchie par Roberto Martínez, c’est dans la peau d’un titulaire incontestable et validé par un public belge en quête de renouveau qu’Amadou Onana débarque sur les pelouses du Qatar. Au lendemain de la désillusion mondiale, quand Domenico Tedesco succède à Martínez à la tête des Diables, il double Youri Tielemans pour décrocher le statut de figure de proue de la génération postdorée. Déjà considéré comme le capitaine par une partie de ceux qui franchissent la passerelle entre espoirs et Diables comme Loïs Openda ou Johan Bakayoko, Onana devient également la tête de pont médiatique de la communication fédérale et l’un des personnages les plus récurrents des posts estampillés «Wir Schaffen Das» – «Nous y arriverons», référence à la célèbre phrase d’Angela Merkel – sur les réseaux sociaux de l’équipe nationale.

«C’est un objectif d’être capitaine de mon pays un jour. Je pense avoir les qualités requises pour assumer ce rôle», confie d’ailleurs le milieu de terrain avant le rassemblement diabolique du mois de septembre dernier. Numéro 8 sur le maillot – l’autre chiffre fétiche de Kobe Bryant – Amadou donne de la voix et ne se prive jamais de montrer ostensiblement son leadership à chacune de ses apparitions publiques: «J’essaie d’avoir du leadership sur et hors du terrain. Il faut savoir quoi dire aux autres, être un leader par la qualité aussi. On gagne de la sorte la confiance des équipiers. J’assume le rôle qu’on me donnera dans cette équipe. Beaucoup de gens me regardent, j’en ai conscience.»

Amadou Onana l’a compris: ce sont les grands arbres qui prennent le plus de vent. C’est peut-être la raison pour laquelle l’homme aime tant raconter les tempêtes qu’il a traversées. Une façon d’indiquer qu’il n’a pas peur de susciter quelques bourrasques supplémentaires, qu’elles viennent des observateurs ou de l’intérieur du vestiaire. Validé par Tedesco autant que par Martínez, seulement écarté du Onze par des blessures ou d’évitables suspensions, le milieu de terrain est prêt à jouer les premiers rôles dans le parcours des Belges du futur. Si les Diables n’ont pas encore trouvé le moyen de se passer de Romelu Lukaku sur le terrain, ils ont probablement mis la main sur son héritier hors du pré. Parce que sur la pelouse comme dans les vestiaires ou face aux micros, Amadou Onana se résume de la même manière. C’est Daniel Thioune, son mentor à Hambourg, qui joue le mieux à l’exercice de la synthèse: «Une fois qu’il s’élance avec ses grandes jambes, c’est difficile de l’arrêter.» Même contre le vent.

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