Allemagne – Belgique: le boomerang et la muraille (analyse)
Retour tactique sur la victoire des Diables rouges à Cologne contre la Mannschaft (2-3).
Les visages sont presque les mêmes. Leurs expressions aussi. À deux pas de la frontière, la Belgique défie son grand voisin allemand avec un onze quasiment inchangé et une concentration aussi marquée qu’à Stockholm, quatre jours plus tôt. Si Orel Mangala relaie Leandro Trossard au coup d’envoi, c’est avant tout pour libérer un peu plus un Kevin De Bruyne trop discret dans la zone de vérité lors du trip scandinave. La scénographie reste cependant la même, avec un axe offensif droit réservé au capitaine, alors que Mangala relaie la possession à gauche. Complété par le jeu défensif exubérant d’Amadou Onana, le triangle axial est au cœur de la stratégie de Domenico Tedesco pour déjouer le 4-2-2-2 de son compatriote Hansi Flick.
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Pourtant, la Belgique n’est déjà plus vraiment la même. Les nuances s’esquissent dès les premières possessions, avec des latéraux entreprenants. En quatre minutes, Theate et Castagne ont déjà centré plus souvent qu’en Suède, avec un ballon envoyé vers la surface chacun. Une fois le centre du premier récupéré par Marc-André ter Stegen, on voit aussi un autre Diable. De Bruyne a le sourire et l’appétit du conquérant. Quand les Allemands relancent, il traque le maître à jouer Joshua Kimmich, tandis que Lukaku et Lukebakio menacent d’emblée les défenseurs centraux. Tant pis si l’équilibre derrière eux, dans une équipe qui se dessine alors en 3-4-1-2 avec Carrasco qui s’excentre et Castagne qui monte d’un cran, semble précaire. Jamais l’étonnante maladresse des possessions allemandes, certes contrariées par la pression belge, n’inquiétera réellement Koen Casteels pendant une demi-heure. Le tir de Serge Gnabry qui file hors-cadre n’est ainsi qu’une munition placée dans le barillet belge.
L’image est familière. Elle rappelle à la fois l’Inter d’Antonio Conte et la Belgique version « Ligue des Nations 2020-2021 » de Roberto Martinez. Casteels relance latéralement, et le ballon poursuit sa course vers Timothy Castagne, minutieusement installé près du piquet de corner. Les Allemands viennent fermer les espaces, et tout se passe alors comme prévu. Le défenseur de Leicester catapulte la balle au-dessus de la ligne de pression, et Romelu Lukaku enfile son costume des grands soirs. Celui de planche robuste, impossible à briser pour Matthias Ginter. La remise de Big Rom est imparfaite, mais Kevin De Bruyne a les pieds qui corrigent et les yeux qui savent. Quatrième homme du mouvement diabolique, Yannick Carrasco dévore la profondeur, croque un Wolf déboussolé et déverrouille le score. La Belgique se crée de l’espace à merveille, avec sa combinaison favorite qui donne à une relance de son gardien des airs de contre-attaque.
La Belgique et le boomerang
Une combinaison soignée, une reprise maladroite de Leon Goretzka et le ballon est à nouveau pour Koen Casteels. Cette fois, le ganté belge sort la catapulte. Un duel plus tard, Orel Mangala gratte le rebond et sert De Bruyne entre les lignes allemandes. Lukaku appelle dans un trou de souris, KDB y voit un boulevard. Comme sur le premier but, la technique de handballeur de Marc-André ter Stegen pour triompher en face-à-face est contournée par un tir au seul endroit où il ne sait pas agrandir son corps. Le ballon siffle dans son oreille, puis au fond de ses filets. Le match est à peine commencé, et il semble déjà fini.
Pourtant, le Diable en veut encore. La Belgique ressemble à un boomerang. Chaque initiative allemande revient vers le but local avec un danger démultiplié. Quand les pieds de Wout Faes tremblent dans la surface nationale, De Bruyne joue les sauveurs avec une intensité hors-normes avant que Mangala ne serve de relais idéal aux plongées balle au pied de Carrasco. Un corner pour l’Allemagne ? Amadou Onana le repousse de la tête, et une touche de balle au-dessus de Wolf suffit à Lukebakio pour s’envoler vers le but de ter Stegen. Le 0-3 est au bout du pied de Dodi, mais finit du mauvais côté du poteau.
Il y a encore un corner repris sur la transversale par le meilleur buteur de l’histoire belge, des ballons dangereux qui trainent dans une boîte allemande aux airs de journée portes ouvertes, et une chasse au rebond désespérée face aux muscles d’Onana et à la réactivité de Mangala. Tiraillés entre la garde de leur latéral et celle des milieux belges, Wirtz et Gnabry sont perdus. Le premier quitte la pelouse après une demi-heure, remplacé par Emre Can, alors que Félix Nmecha prend la place d’un Goretzka touché et visiblement peu enclin à mettre son sommet prévu contre Dortmund dans la balance. Timo Werner passe à gauche, l’Allemagne passe en 4-3-3.
Le réveil allemand
C’est le début d’un nouveau match. Installé à la pointe offensive gauche du triangle local, Nmecha profite du positionnement aléatoire d’Onana pour offrir des relais à ses défenseurs ou à Kimmich et Can au cœur du bloc belge. Gnabry trouve une brèche à l’entrée de la surface mais mélange ses chevilles, Onana voit jaune pour une intervention tardive sur Nmecha, puis Werner et Wolf précisent timidement les nouvelles intentions allemandes avec des frappes anecdotiques, mais suffisantes pour expliquer que le penalty concédé par Lukaku et transformé par Fullkrüg ne sort pas de nulle part. Le match est relancé juste avant la mi-temps, sifflée après un dernier tir de Big Rom permis par l’élasticité entre les lignes d’un Mangala bien inspiré.
La deuxième période pourrait alors se raconter en quelques chiffres. 63% de possession allemande, assortie de neuf tirs au but, contre un seul pour les Belges. Le retour des vestiaires se fait sans un Jan Vertonghen toujours en jambes et habitué à vivre avec une ligne défensive haute. Remplacé par Alexis Saelemaekers, aussi à l’aise au poste d’arrière gauche que Bambi sur un lac gelé, le roi des sélections scrute depuis le banc les mouvements d’une défense expérimentale. La première alerte vient de Serge Gnabry, au bout d’un centre de Wolf qu’il prolonge puissamment hors du cadre.
La Belgique se recroqueville et réveille ses pompiers. Theate jaillit devant Gnabry, alerté suite à un ballon perdu à la relance par un Onana toujours aussi peu enclin à scanner les environs avant de lâcher une passe. Une faute de Faes côté droit offre à la Mannschaft une tête placée au-dessus du cadre par Fullkrüg, qui attire Theate dans son sillage une minute plus tard avant de remiser pour un Nmecha oublié par Onana, lequel lance Werner face à Casteels. Les filets vibrent, mais le drapeau se lève. La Belgique sort la tête de l’eau le temps d’une longue possession dans le camp local peu après l’heure de jeu, mais passe beaucoup de temps à défendre à six en ligne, avec des flancs emmenés très bas par Wolf et Raum. Difficile, dans ces cas-là, de reprendre sa respiration à la surface, surtout quand les muscles de Lukaku doivent céder leur place au jeu entre les lignes de Charles De Ketelaere.
Une muraille et un génie
Les Allemands s’installent, mais le danger reste maîtrisé. Wout Faes, jamais autant à l’aise que quand il doit éteindre des foyers d’incendie dans sa surface, contre une frappe de Werner. Onana l’imite devant Kimmich, et Casteels pose les gants quand le capitaine allemand profite d’une absence défensive d’Onana. La Belgique subit, mais semble patienter au moins autant qu’elle souffre.
C’est une passe trop précipitée de Kimmich, interceptée par Theate et pas suivie par le célèbre gegenpressing local, qui déclenche la seule frappe belge de la mi-temps. De Bruyne s’aventure à gauche, laisse filer Leandro Trossard dans le couloir et préfère alerter De Ketelaere, qui décroche entre les lignes pour mettre sur orbite le dynamiteur des Gunners. Le centre vers De Bruyne n’est peut-être pas parfait, mais la reprise l’est. KDB ajoute un but à sa partition, et jette un regard de bravade vers les tribunes et les caméras pour ponctuer son match majuscule.
Les derniers frissons sont à l’autre bout du terrain. Un dribble sur place de Casteels pour sauver un ballon rendu compromettant par ses défenseurs, un slalom alpin de Gnabry qui finit sur le piquet, un centre qui longe la ligne du petit rectangle, et des grands cris de Wout Faes à chaque balle dégagée de la surface. Une fois posé à hauteur du rond central, par contre, le défenseur de Leicester est aspiré par un ballon qui finit en profondeur dans le dos du côté droit de la défense belge, puis au fond des filets de Casteels via Serge Gnabry.
Ni un dernier corner, ni une montée désespérée de Marc-André ter Stegen ne suffiront à gâcher la joie belge. Les Diables quittent Cologne avec un succès historique dans les valises, contre une Mannschaft qui ne leur avait jamais vraiment réussi. Tant pis si cette Allemagne n’a pas vu l’ombre d’un quart de finale mondial ou européen, voire d’un Final Four de Ligue des Nations depuis sept ans. L’affiche restait alléchante, et la Belgique s’en est régalée. L’essentiel, au bout d’un match amical, ce sont sans doute les sourires. Avec les désillusions bien rangées au grenier, celui du Diable est à nouveau contagieux.
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