Alexis Saelemaekers: « Je commence à comprendre Zlatan »
En attendant de s’imposer en équipe nationale, Salamandra régale et s’éclate avec Milan. Bilan après un an et demi de Calcio. Très positif.
Un Final Four de Ligue des Nations en Italie, c’était forcément spécial pour Alexis Saelemaekers. Dans son pays d’adoption, il a eu droit à une heure sur la pelouse dans la finale des battus face à la Squadra Azzurra. Et à des commentaires positifs de Roberto Martínez: « Une de mes questions était de savoir s’il était prêt pour ce niveau, comme il l’est en club. Il a répondu présent, il a montré tout son potentiel. Il est en réel progrès et c’est très bien de le voir évoluer comme ça. »
En parlant d’adoption… Elle s’est faite à la vitesse grand V. Il a signé à l’AC Milan en janvier 2020 et facture déjà plus de soixante matches. Il est une vraie certitude pour Stefano Pioli. Que ce soit en Serie A ou en Ligue des Champions. Entretien vérité avec un gars qui a été discret et timide. Mais ça, c’était avant.
Qu’est-ce que le titre européen a changé au quotidien en Italie, dans les rues, dans les stades?
ALEXIS SAELEMAEKERS: Le soir où ils ont gagné la finale, je suis sorti, je voulais voir ce que ça donnait. Je me suis dit: « Si j’ai un jour la chance de pouvoir gagner un EURO, je veux déjà savoir ce que ça peut donner comme émotions ». Et je peux te dire qu’après avoir vu des scènes pareilles, j’ai encore plus envie de gagner quelque chose avec l’équipe nationale. C’était de la folie, une effervescence indescriptible. Tout le monde se mélangeait, les enfants, les ados, les vieux, les hommes, les femmes, les couples, les gens seuls. Il n’y a que le foot qui peut donner ça.
Tu n’as pas l’impression que les joueurs eux-mêmes étaient surpris de gagner?
SAELEMAEKERS: Oui. J’en ai parlé avec quelques internationaux. Ils avaient envie d’aller au bout, mais ils n’étaient sûrs de rien. Ce n’est pas comme en Belgique où en France, où on se disait qu’on pouvait gagner cet EURO. Il y a une nuance. C’est peut-être ça aussi qui a fait la force des Italiens, ils ont joué sans pression en se disant qu’ils n’étaient pas favoris. Ils ont laissé l’étiquette à d’autres.
On ne parlait pourtant pas de génération dorée là-bas…
SAELEMAEKERS: Justement, ça leur a enlevé la pression. Il y avait beaucoup de jeunes dans l’équipe et beaucoup de décontraction. Avec ça, tu fais parfois des miracles. Ce qu’ils ont fait, ça m’a fait penser au parcours complètement inattendu de l’Ajax en Ligue des Champions il y a quelques années. Les Italiens ont su créer un esprit d’équipe qui a fait la différence. Cet esprit, tu l’as d’office en club parce que les joueurs se voient tous les jours. En sélection, c’est plus compliqué à mettre en place.
« Roberto Martínez a vu que j’étais là »
Je suppose qu’il ne fallait pas te taquiner le soir de Belgique-Italie à l’EURO? Parce que tu as sûrement cru jusqu’au dernier moment que tu pouvais être dans le groupe?
SAELEMAEKERS: Oui, j’étais dans les réservistes. Mais j’ai bien vécu le fait de ne pas être repris au final. Je suppose que le coach a estimé que je n’étais pas encore prêt. Et moi, je veux être totalement prêt le jour où je disputerai un tournoi. J’avais tout donné pendant toute la saison avec Milan, l’EURO était une carotte. Maintenant, on ne pouvait pas dire non plus que je faisais partie du noyau fixe, des incontournables. Si j’avais sauté en étant dans ce noyau fixe, ça aurait été plus difficile à vivre.
Quand Timothy Castagne se blesse dans le premier match, on sait que son EURO est fini. Tu te dis à ce moment-là que tu pourrais être un joker médical?
SAELEMAEKERS: Je ne savais pas si c’était permis, mais oui, j’y ai pensé. Puis très vite, je me suis dit que ça n’aurait pas été une bonne idée. Rappeler un joueur un peu frustré, le mettre dans un groupe qui a fait toute la préparation, ça n’aurait pas été l’idéal.
Tu as fait ton premier match il y a un an contre la Côte d’Ivoire, puis tu as dû attendre presque une année complète pour rejouer dans les trois matches éliminatoires en septembre. C’est un peu paradoxal parce que pendant cette période-là, tu étais au top avec Milan.
SAELEMAEKERS: Je comprends le coach. Quand il prend un jeune, il doit être sûr qu’il est prêt à faire face. Prouver six mois dans un bon championnat, il y a beaucoup de joueurs qui savent le faire. Prouver sur plus d’un an, c’est plus compliqué. Il a attendu de voir si j’étais capable de rester à un haut niveau pendant une longue période, si j’avais les épaules assez solides pour m’installer dans le noyau. Quand il m’a fait jouer dans les trois matches en septembre, il a vu que j’étais là. Si je compare le joueur que j’étais contre la Côte d’Ivoire et ce que je suis aujourd’hui, il n’y a pas photo. Il y a un monde de différence au niveau confiance.
Quand je suis arrivé, les chambres du centre d’entraînement étaient encore celles des grandes années en Ligue des Champions. » Alexis Saelemaekers
« Milan joue avec son vécu pour nous booster »
L’Inter qui gagne le championnat devant l’AC: Milan est redevenue « la » ville de foot en Italie? Comment tu vis la rivalité?
SAELEMAEKERS: Ouais… Au moment où l’Inter jouait son match décisif pour le titre, je faisais une sieste. Tout d’un coup, j’ai été réveillé par des bruits de klaxons et des gens déchaînés. J’habite dans le centre, en plus, tout près de la gare centrale. Quand tu es au coeur de la ville et que tu vois l’équipe rivale qui fête le titre… Mais c’est bien pour Milan et pour le foot italien en général. Il y a de plus en plus de grands joueurs qui reviennent, ça montre que la Serie A est redevenue un championnat super compétitif. Ronaldo et Romelu Lukaku sont repartis entre-temps, mais on a toujours Zlatan et Olivier Giroud, par exemple. Le foot revit complètement à Milan depuis la fin du championnat et il revit dans tout le pays depuis la victoire à l’EURO. J’ai l’impression qu’il est redevenu une religion, comme au temps où des clubs italiens gagnaient la Ligue des Champions.
Tu as des souvenirs des dernières victoires de l’AC Milan?
SAELEMAEKERS: Des souvenirs de PlayStation, surtout. Je prenais Milan parce que je craquais pour Ronaldinho et Kaká. J’ai des souvenirs des grandes années avec Silvio Berlusconi. Aujourd’hui, quand je regarde des vidéos d’époque, je me rends compte que c’était la référence mondiale. Dans toute l’histoire du foot, il n’y que le Real qui a gagné plus d’éditions de la Ligue des Champions. Tu sens toujours cette âme, cette légende dès que tu entres à San Siro. Tu sens un vécu. Au centre d’entraînement aussi, en tout cas jusqu’aux travaux de rénovation qu’ils ont faits récemment. Quand je suis arrivé, tout était encore préservé, en hommage aux grandes années. C’étaient toujours les mêmes chambres, les mêmes lits. On sent que ce club joue avec son vécu pour nous faire comprendre qu’on doit tout donner pour arriver au niveau des plus grandes stars qui sont passées.
Vous avez cru au titre la saison dernière?
SAELEMAEKERS: Bien sûr. Quand tu fais toute la première partie de saison en tête, quand tu domines tous tes adversaires, quand tes victoires ne sont jamais dues à la chance, quand tu vois que toutes les équipes te craignent, forcément tu penses que tu peux aller au bout. Après ça, on a eu pas mal de blessés et de cas de Covid, et on n’avait sans doute pas un noyau aussi étoffé que l’Inter. On s’est même fait peur, on a joué la qualification pour la Ligue des Champions lors du dernier match. Alors qu’à la mi-saison, on était sûrs que c’était déjà dans la poche.
« À Liverpool, le You’ll never walk alone couvrait l’hymne de la Ligue des Champions »
Elle a mal commencé, votre Ligue des Champions…
SAELEMAEKERS: Oui mais bon, c’était contre Liverpool qui est une des équipes les plus fortes du monde, puis contre l’Atlético qui est champion d’Espagne. Le match à Anfield a été une vraie expérience. Je n’avais jamais vu un douzième homme pareil. Chez nous, il y avait plusieurs joueurs qui jouaient leur premier match de Ligue des Champions et il y avait énormément de nervosité.
On peut encore être impressionné par un public quand on a été en tête du championnat d’Italie pendant des semaines?
SAELEMAEKERS: Bien sûr. Quand tu joues en Serie A, tu es tranquille, beaucoup plus confiant. Parce que tu connais l’adversaire, parce que ton système est bien rodé. En Coupe d’Europe, tu as d’office moins de repères. Alors, quand le public te met une pression pareille… Mais on a quand même marqué deux fois.
Ce soir-là, quand tu entends l’hymne, tu repenses à la période où tu étais ramasseur de balles aux matches d’Anderlecht en Ligue des Champions?
SAELEMAKERS: Mais on ne l’a même pas entendu, l’hymne! Tellement les supporters de Liverpool chantaient fort le You’ll never walk alone. Ça couvrait complètement l’hymne de l’UEFA. On en a parlé dans le vestiaire, on était choqués. Pourtant, je l’attendais, ce moment. D’un autre côté, ce n’est pas plus mal de l’avoir vécu à San Siro, devant mon public. C’était impressionnant. Je n’ai pas repensé aux matches où j’étais ramasseur de balles, non. J’ai pensé à autre chose, à tous les sacrifices que ma famille a faits, aux miens aussi. La Ligue des Champions, j’en rêvais depuis des années, et là, c’était un premier aboutissement. Dommage qu’on n’ait pas su battre l’Atlético, mais on a été battus par des faits de jeu et des mauvaises décisions de l’arbitre. Après une demi-heure, on s’est retrouvés à dix. Jusque-là, l’Atlético n’avait pas existé, il n’était pas sur le terrain… Et on perd à la dernière minute sur un penalty inexistant. Notre coach nous a dit que depuis qu’il entraînait, il n’avait jamais vu un aussi bon match de son équipe.
Tu as parlé à Zlatan du match Anderlecht-PSG où tu étais ramasseur de balles, quand il avait fait son show avec ses quatre buts?
SAELEMAEKERS: Oui. Il était au sommet de son art, il a plié le match à lui tout seul. Sa réaction quand je lui en ai parlé? C’était logique, il ne trouvait pas ça impressionnant. Quand tu l’écoutes, ce soir-là, il a simplement fait du Zlatan. Il trouve que ça ne vaut pas la peine d’en rajouter.
Il y a un an, tu nous expliquais que c’était un peu difficile d’avoir une relation avec lui. Ça a évolué?
SAELEMAEKERS: Oui, parce que je commence à le comprendre, à comprendre comment vivre avec lui. Quand tu ne le connais pas, tu as l’impression qu’il est fermé, que tu n’as même pas le droit de lui adresser la parole, qu’il est agressif, nerveux. Une fois que tu le connais, tu vois qu’il est ouvert à la discussion. Il ne va jamais venir vers toi pour te demander comment tu vas, mais si c’est pour parler de foot, il est toujours partant.
« L’accrochage avec Sarri? On a directement fait la paix dans le tunnel »
Si je te dis: Maurizio Sarri…
SAELEMAEKERS: Euh… (Il rigole). Je ne sais pas combien de fois on m’a déjà demandé de revenir là-dessus. Mais ce n’était qu’un fait de jeu. Il était nerveux, il avait déjà beaucoup discuté avec notre entraîneur, moi je cherchais à gagner un peu de temps parce qu’on menait, lui il espérait toujours que la Lazio puisse revenir. Donc on s’est un peu accrochés et les gens ont fait d’un incident très banal une grosse polémique. On en a parlé directement après le match dans le tunnel, je me suis excusé alors que je n’avais pas fait grand-chose. Il avait eu l’impression que je lui avais manqué de respect. Ce n’était pas du tout le cas, ce n’est pas mon genre. Pour lui comme pour moi, l’incident était clos avant même de rentrer dans nos vestiaires. Tout le monde peut faire des erreurs dans un match. Il en a fait une, moi peut-être aussi.
Zlatan ne va jamais venir vers toi pour te demander comment tu vas, mais si c’est pour parler de foot, il est toujours partant. » Alexis Saelemaekers
Mais c’est le signe que tu as pris de l’assurance. Je ne pense pas que tu aurais osé aller au clash avec un coach aussi réputé au moment où tu es arrivé en Italie?
SAELEMAEKERS: Forcément. Et c’est normal. Quand tu commences un nouveau job, tu n’as pas l’assurance du gars qui est là depuis deux ans. Je connais mieux le foot italien, je me suis familiarisé avec certaines situations, donc je suis beaucoup plus sûr de moi. En plus, j’ai la confiance de mon coach, je joue beaucoup. Sur le terrain aussi, j’ose plus de choses qu’au début. J’essaie de prendre plus de responsabilités mais je sais que je n’ai que 22 ans, je ne veux pas passer au-dessus des cadres comme Zlatan, Olivier Giroud, Simon Kjaer, Franck Kessié ou notre capitaine Alessio Romagnoli.
L’année passée, on t’a considéré comme le porte-bonheur de Milan. Dès que tu étais dans l’équipe, elle ne perdait pas.
SAELEMAEKERS: Oui, ça a duré près de trente matches. Les gens ont commencé à s’en rendre compte quand on approchait de la vingtaine, et là, on s’est mis à en parler avant chaque match. Ça me mettait une petite pression. Dès qu’on était menés, j’y pensais, je me disais que ça ne pouvait pas s’arrêter. Mais il fallait bien que ça se finisse quand même.
Les Italiens te surnomment vraiment Salamandra?
SAELEMAEKERS: Oui, il y a deux raisons. Quand je suis arrivé, ils avaient du mal à prononcer mon nom. Ça leur faisait penser à salamandra, le mot italien pour salamandre. Puis ils ont trouvé que j’en avais des caractéristiques. Je cours partout et c’est difficile de m’attraper. Entre-temps, ils prononcent un peu mieux mon nom, mais je reste Salamandra. Il y a aussi des supporters qui m’appellent sale, le sel.
« Anderlecht ne pouvait plus s’obstiner avec ses jeunes »
Avec du recul, comment tu juges l’évolution du projet d’Anderlecht? Ça a beaucoup bougé dans ta génération. Jeremy Doku et Albert Sambi Lokonga ont été bien vendus. Toi, comme Sebastiaan Bornauw, tu as été poussé vers la sortie. Il y a encore Yari Verschaeren et Francis Amuzu dans l’équipe, mais pour les autres comme Killian Sardella, Marco Kana, Antoine Colassin ou Anouar Ait El Hadj, c’est compliqué. Anderlecht n’est plus une équipe de jeunes.
ALEXIS SAELEMAEKERS: Clairement, ce n’est plus ce que la direction et Vincent Kompany avaient en tête. Mais un moment, quand tu vois que ça ne marche pas, tu ne peux pas continuer à perdre des matches. Ce n’est pas bon pour les jeunes. Pas bon non plus pour les cadres parce qu’ils ne sont plus en confiance et ils n’ont plus l’aisance naturelle pour aider les jeunes. Tu dois changer, et donc mettre plus de joueurs d’expérience. Il ne faut pas s’obstiner. Et il faut aussi penser aux supporters. Je pense que le projet est toujours dans les têtes, mais qu’ils attendent d’avoir une équipe plus compétitive pour la rajeunir à nouveau.
Tu as pensé que ça pouvait marcher?
SAELEMAKERS: Oui. Par exemple, à Milan, on a une équipe super jeune et ça fonctionne.
Tu aurais sûrement préféré une sortie en beauté comme Doku ou Sambi Lokonga. Toi, tu es parti à un moment où on ne croyait plus en toi. Ça va laisser des regrets, une cicatrice?
SAELEMAEKERS: Évidemment, ça ne fait jamais plaisir de partir comme ça. J’ai passé huit ans à Anderlecht, entre guillemets une moitié de ma vie de jeune garçon… Oui, ça a été compliqué à vivre. J’aurais préféré qu’on m’acclame, qu’on me félicite pour ce que j’avais fait pour Anderlecht. Mais je n’ai pas de rancoeur. Sur le coup, je me suis dit: « Je sors par la petite porte, mais si je reviens un jour, je veux que ce soit par la plus grande. »
On n’avait pas compris qu’un club comme l’AC Milan prenne un gamin qui n’avait pas sa place dans une équipe d’Anderlecht malade.
SAELEMAEKERS: Des gens disaient que je n’avais aucune chance de jouer avec Milan. Mais qui refuserait l’occasion d’aller dans un club pareil? Et puis, quand c’est Zvonimir Boban lui-même qui m’appelle et me demande de ne signer nulle part ailleurs… Il m’a dit: « Je sais que c’est difficile pour toi à Anderlecht mais je t’ai vu, tu as le niveau pour Milan ». Même si je n’avais pas joué, j’aurais pris plein d’expérience avec des gars comme Zlatan, Franck Kessié, Gianluigi Donnarumma. Ça n’a pas de prix. Mais je ne me suis jamais dit que je ne jouerais peut-être pas. J’étais sûr que j’allais être sur le terrain, simplement je ne savais pas combien de temps ça allait prendre.
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