La méthode Blessin a déjà payé à l’Union: 2‑0 contre Anderlecht en match d’ouverture du championnat. © belgaimage

Alexander Blessin, le nouveau coach de l’Union qui décoiffe (portrait)

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Nouvel homme fort d’une Union qui a réussi son départ, Alexander Blessin est le professeur d’un football qui décoiffe. Avis de tempête sur le parc Duden.

L’accent guttural a beau trahir le passeport allemand, la casquette qui sert de coupe de cheveux à Alexander Blessin témoigne d’une passion à peine voilée pour le sport américain. On imagine sans peine sa carrure d’attaquant robuste du début des années 2000 s’installer aux premiers rangs d’un stade de baseball ou à quelques mètres d’un parquet de NBA. C’est donc sans surprise que celui qui coachait alors les jeunes de Leipzig s’était calé dans son canapé pour «binge- watcher» les dix épisodes de The Last Dance, série documentaire consacrée à Michael Jordan.

Le numéro 23 est un incontournable des dialogues avec Alexander Blessin. Le coach aime parsemer son discours de références à la légende des Chicago Bulls. «Un jour, Michael a répondu à un journaliste qui lui demandait comment il était devenu un aussi bon défenseur, qu’il voulait simplement récupérer le ballon le plus vite possible pour pouvoir être à nouveau créatif», illustrait l’Allemand lors de son passage à succès à Ostende. Pour Blessin, ses équipes ne jouent jamais sans le ballon. C’est avec lui ou contre lui.

Une subtilité rarement entendue dans les discours des entraîneurs de Pro League. En 2020, au sortir du Covid, le natif de Stuttgart débarque ainsi comme un ovni. Membre du très jeune noyau d’Ostende à l’époque, François Marquet, formé à l’académie du Standard, avouera d’ailleurs qu’on lui a «demandé de changer [sa] façon de jouer au football depuis quinze ans».

Ce jeu tout neuf est celui de Ralf Rangnick. L’actuel sélectionneur de l’équipe d’Autriche est surnommé «le professeur», et considéré comme l’inventeur du gegenpressing, cette manière de harceler l’adversaire très haut sur le terrain dès la perte du ballon pour le récupérer le plus près possible du but adverse et profiter de la confusion de ce moment de transition pour se créer une occasion de but. D’un plan de jeu développé à Stuttgart, Hanovre, Schalke 04 et Hoffenheim, Rangnick a fait une philosophie, construite au sein des différents clubs sous la houlette de RedBull. Sur les bancs de l’école RedBull se trouvait son ancien attaquant, Alexander Blessin. «Au début, mon professeur était Helmut Gross, qui était un peu le père spirituel de Rangnick, rembobine l’entraîneur de l’Union. Puis Ralf a pris Helmut avec lui pour qu’il forme la nouvelle génération d’entraîneurs. Je l’ai eu pendant six ans et par la suite, quand j’ai obtenu ma licence UEFA Pro, j’ai repris son rôle et formé nos entraîneurs de U15, U16 et U17.»

Dès la première causerie, il n’y avait qu’un chemin, on ne pouvait pas se tromper.

Le professeur Blessin et les documentaires

Voici trois étés, c’est donc un professeur à casquette qui débarque à la Côte pour la rentrée des classes de la Pro League. «On n’a pas découvert un coach, on a découvert une méthode», illustre Guillaume Hubert, dernier rempart d’une équipe qui sera la révélation de la saison. «Dès la première causerie, on avait compris, enchaîne Kévin Vandendriessche, aujourd’hui aux Francs Borains. Il nous a dit qu’on allait bosser ça, ça, ça et ça, s’y prendre de telle manière: il n’y avait qu’un chemin, on ne pouvait pas se tromper de direction.» L’approche est très scolaire, entre une feuille recto-verso en français, allemand et anglais qui sert de glossaire à la méthode Blessin et une vidéo d’un petit quart d’heure reprenant les incontournables du jeu de Leipzig, égérie de la philosophie RedBull, et donc modèle de la nouvelle idée de jeu ostendaise.

Les compliments arrivent encore plus vite que les points. Considéré comme un oiseau pour les gros matous de l’élite, avec ses recrues inconnues et son coach sans expérience, Ostende séduit Nicolas Penneteau, dernier rempart de Charleroi, qui évoque «une belle équipe qui nous a bien ennuyés avec son pressing», avant de conquérir le cœur de Vincent Kompany: «Ostende amène une chouette philosophie et du spectacle dans notre championnat.»

Si les métaphores animales tardent à peupler les colonnes de la presse spécialisée, c’est peut-être parce que l’étrange mélange de vert, de rouge et de jaune qui sert de tunique aux côtiers n’a pas les couleurs d’un troupeau. En Allemagne, quand le Dortmund jaune et noir de Jürgen Klopp avait bousculé le football du début des années 2010 avec une philosophie de jeu semblable, on parlait alors d’un essaim d’abeilles, se déplaçant en nombre et en vitesse autour du ballon pour le piquer. Pas de tel parallèle pour qualifier les hommes de la «reine des plages», au grand dam d’un Alexander Blessin friand de documentaires animaliers qu’il partage parfois avec ses joueurs. Les théories tactiques sont ainsi parsemées d’images de loups ou de lionnes, lancés à la poursuite d’une proie. «Ces animaux, s’ils chassent seuls, ils meurent. Avoir ça à l’esprit, c’est un bon point de comparaison pour la structure qu’on veut avoir sur le terrain.»

La méthode Blessin

A l’heure d’enfiler les crampons, Alexander Blessin est du genre méticuleux. A la Côte, la dose de plaisir injectée lors des entraînements était souvent minime, parfois inexistante. De longs moments à travailler la première touche de balle, obsession de l’entraîneur qui la considère comme la porte d’entrée principale vers le haut niveau, mais aussi des sessions interminables de mise sous pression, avec des sprints à répéter et des comptes à rebours incessamment relancés par la voix puissante de l’Allemand, forçant sans cesse ses joueurs à réfléchir et à jouer plus vite. Dans le hub de RedBull, Blessin a d’ailleurs assisté à de nombreuses conférences de chercheurs de l’université d’Heidelberg spécialisés dans le travail sur le cerveau, réfléchissant sans cesse à la meilleure manière d’y introduire des concepts.

Les équipes d’Alexander Blessin ne jouent jamais sans le ballon. C’est avec lui ou contre lui.
Les équipes d’Alexander Blessin ne jouent jamais sans le ballon. C’est avec lui ou contre lui. © belgaimage

Visiblement, la répétition était l’une des méthodes les plus prisées. «Sur un entraînement, tu peux être amené à faire cent fois le même sprint avec la même intensité pour aller presser sur un mec», raconte le défenseur Arthur Theate, considéré comme insuffisant pour Genk et le Standard avant de voir sa carrière décoller suite à sa rencontre avec Blessin. La recette livre des entraînements «pas toujours amusants», pour l’attaquant sénégalais Makhtar Gueye, mais «la récompense arrive chaque week-end, en voyant la tête de nos adversaires apeurés au moment où on arrive pour les presser».

La terreur finit par rapporter gros, et amène Ostende aux portes du Top 4 au terme d’une saison jouée dans des stades vides. La cote de Blessin est au plus haut, récompensée par un titre d’entraîneur de l’année, mais ce sont ses joueurs qui en récoltent les fruits: Arthur Theate s’envole pour Bologne, Fashion Sakala rejoint les Rangers écossais alors qu’Andrew Hjulsager et Jack Hendry franchissent un palier sur le sol belge, vers Gand et Bruges. Un temps dragué par Sheffield United, Blessin reste finalement une deuxième saison à Ostende.

La parenthèse italienne

Chaque secousse sur un banc majeur de Pro League fait alors retentir son nom. Quand le Standard cherche un successeur à Mbaye Leye, par exemple. Mais l’Allemand décline, affirmant qu’il n’est «pas un pompier». A Bruges, où on commence à songer à la succession de Philippe Clement, mais les cadres du vestiaire s’imaginent mal sprinter comme des sans-grade du haut de leur imposant palmarès national.

Finalement, Alexander Blessin opte quand même pour le casque, la lance et le camion rouge. Son ami Johannes Spors, rencontré à Leipzig et désigné directeur sportif du Genoa par les nouveaux patrons américains du club (777 Partners, alors futurs propriétaires du Standard), l’appelle à la rescousse pour remplacer l’ancien attaquant Andreï Shevchenko, qui laisse l’équipe historique du championnat italien avec une seule victoire et douze points en 22 journées. Lanterne rouge du Calcio, le club génois a besoin d’un nouveau souffle.

«Nous avons engagé Blessin parce qu’il représente le football que nous voulons mettre en place et qu’il peut immédiatement transmettre ses idées à un groupe», commente Spors à la Gazzetta dello Sport. Le pressing est immédiatement au rendez-vous: les huit premiers matchs sont bouclés avec sept partages, une victoire et seulement deux buts encaissés. Au décompte final, malgré une victoire de prestige face à la Juventus, il ne manquera que trois points au Genoa pour se maintenir au sein de l’élite transalpine.

Blessin, Spors et leurs méthodes tactiques et managériales ne font pourtant pas que des heureux dans le vestiaire. A l’automne suivant, alors qu’une série de cinq matchs sans victoire succède à un départ réussi (21 points sur 30), l’aventure italienne prend fin pour le coach. Le voilà désormais affublé de l’étiquette d’ «entraîneur pour outsiders», et une nouvelle fois lié au Standard, désormais dirigé par 777 et sportivement téléguidé par Johannes Spors, quand Ronny Deila annonce avec fracas son départ de Sclessin.

Il y aura encore la rumeur RWDM, dont l’ancien CEO d’Ostende Gauthier Ganaye a pris les rênes, mais c’est sans devoir activer ses réseaux et dans un autre club de Bruxelles que l’ancien attaquant relance sa carrière sur les bancs de touche. Tout juste divorcée de Karel Geraerts, l’Union a opté pour un coach comme elle les aime, capable de concéder peu d’occasions à l’adversaire. Tout comme sa grande sœur de Brighton dans le championnat anglais, l’équipe saint-gilloise est en effet une référence depuis son retour parmi l’élite en matière d’expected goals concédés, statistique qui épluche la qualité des occasions laissées à l’adversaire.

L’Union et la possession

Evidemment, Alexander Blessin a changé. Peut-être un peu moins professoral qu’à ses débuts, probablement pas moins méticuleux ou passionné. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour qu’il élève une première fois la voix dans le vestiaire du parc Duden, malgré une première mi-temps très convaincante contre le voisin anderlechtois.

A l’heure de mener sa révolution, l’Union s’est choisie un chemin très clair, sans craindre le storytelling qui raconte que Blessin est incapable de dominer un match, encore moins un championnat. Après tout, la recette mise en place par Felice Mazzù avait rapproché les Saint-Gillois du titre sans jamais mettre le pied sur le ballon. Si Karel Geraerts a amélioré cet aspect, ce n’est pas pour déplaire à son successeur. «On pourrait croire le contraire, mais j’aime avoir la balle», racontait déjà l’Allemand lors de sa période côtière.

Il avait même déjà sa recette: «Quand on a le ballon, deux situations sont possibles.. La première, c’est quand on a encore un niveau d’énergie élevé. Là, il faut jouer très vite, utiliser les secondes où l’adversaire est ouvert et désorganisé, parce qu’on se désorganise toujours un peu quand on a le ballon. La deuxième, elle arrive après trente ou quarante minutes, quand la fatigue est plus présente. Là, on doit pouvoir récupérer avec le ballon, profiter de la possession pour reprendre de l’énergie. C’est là qu’on arrive au tiki-taka, une façon de se reposer. Une manière de reprendre son souffle avant le prochain ouragan.»

Dans ces cas où le vent souffle fort, pour éviter d’être décoiffé, rien de tel qu’une casquette.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire