Aleksandar Mitrovic : les dessous d’une saison historique
Cette saison, Aleksandar Mitrovic bat tous les records en deuxième division anglaise. Inscrire 34 buts en 31 matchs de Championship, personne ne l’avait fait avant lui. Plutôt que de se demander avec quel bilan il finira au mois de mai, focus sur les raisons de son incroyable saison et sur sa capacité de confirmer tout cela en Premier League.
C’était l’époque où voir un club belge mettre cinq millions sur un joueur faisait tomber de leur chaise bon nombre des suiveurs du championnat. Aleksandar Mitrovic faisait sa loi dans les rectangles de Jupiler Pro League et célébrait chaque but en glissant malicieusement sa langue entre son index et son majeur comme Giampaolo Pazzini. Les temps ont changé. Aujourd’hui, le Serbe fête ses buts avec la signature « loco » de Luca Toni et n’émerge même plus au top 20 des plus grosses acquisitions du championnat belge. Une constante, toutefois : ses buts. Cette saison, il en a marqué beaucoup beaucoup beaucoup.
Dans la forme de sa vie
Il y a de ces records dont on ne pensait pas qu’ils tomberaient si rapidement. Après avoir inscrit 31 buts lors de la dernière saison Championship, Ivan Toney (Brentford) croyait avoir le temps de voir venir. C’était mal connaître Aleksandar Mitrovic et son art d’aimanter les ballons dans le rectangle. Alors que la page du mois de février ne s’était pas encore tournée, il s’était déjà emparé du record et en est désormais à 34 roses plantées. En 31 matchs. Alors qu’il reste encore 13 rencontres à disputer, Mitro tient une feuille de route absolument démentielle. Cerise sur le gâteau, son coup de tête victorieux dans les dernières minutes du match au Portugal en novembre dernier a offert à la Serbie la qualification directe pour la Coupe du Monde 2022. Déjà meilleur buteur de la sélection, le natif de Smederevo est encore un peu entré dans la légende de son pays.
L’ancien anderlechtois ne joue pourtant pas fort différemment de son passage au Sporting. De ses 29 buts inscrits hors-penalty, tous l’ont été dans le rectangle et 26 en une touche de balle. De la tête, du pied ou du genou s’il le faut, Mitrovic alterne avec bonheur après être passé en costaud devant son défenseur. Là où il était dans le collimateur des arbitres au cours de ses derniers mois en Belgique, l’attaquant semble avoir trouvé en Angleterre sa patrie d’adoption footballistique. Au pays du jeu viril et des arbitres plus permissifs, il peut s’en donner à coeur joie sans être tout le temps sanctionné. Mais réduire ses chiffres à cela serait réducteur.
L’arrivée de Marco Silva à la tête de Fulham en juillet dernier a été le premier tournant dans la saison de Mitrovic. Lors d’une interview accordée à Sport/Foot Magazine peu avant son arrivée à Bruges, Denis Odoi décrit le jeu instauré par le coach portugais comme « plus rapidement tourné vers l’avant que la saison précédente. Avec Scott Parker, quand on récupérait le ballon, on essayait de le garder dans nos rangs en le faisant circuler« . Au sein d’une équipe qui arrose plus volontiers le rectangle adverse en centres, Mitro se sent comme un poisson dans la Tamise. Sur ses 141 tentatives au but, 47,5 % sont cadrées. Depuis son arrivée en Angleterre, il tournait à une moyenne de 36%. Les expected goals sont également témoins d’un attaquant qui surperforme : loin des 34 buts figurant à son tableau de chasse, il ne devrait en avoir inscrit que 26 selon les probabilités statistiques.
En voyant le bilan de l’équipe d’Anthony Knockaert et Neeskens Kebano, on pourrait se dire que la réussite de Mitrovic n’est que la conséquence logique du festival de buts inscrits par Fulham cette saison. Les Cottagers sont l’épouvantail offensif de cette Championship avec 82 goals marqués, soit…31 de plus Bournemouth, leur dauphin en la matière (et au classement, neuf points derrière). Pourtant, en regardant de plus près, on pourrait pointer ce qui s’apparente à une forme de dépendance. En championnat, le Serbe a marqué au cours de 22 des 31 matchs qu’il a disputés. Lorsqu’il inscrit au moins un but, Fulham présente un bilan de 60 points sur 66. Dans le cas contraire, la moyenne tombe à 10/33.
La fin du syndrome de l’ascenseur ?
Dans un classement rendu peu lisible par les matchs de retard, le club londonien est bien parti pour remonter en Premier League : il occupe la première place et possède 11 points d’avance (avec deux matchs de moins) sur la troisième place d’Huddersfield, synonyme de play-offs. Depuis l’arrivée de Mitrovic en janvier 2018, jamais l’équipe n’a évolué deux saisons d’affilée dans la même division, alternant sans cesse entre la montée en Premier League et la montée en Championship. Symbole de cet ascenseur fou, trop fort pour l’étage du bas, trop faible pour celui du haut, le numéro neuf souffle également le chaud et le froid selon les saisons.
Un an avant cette saison folle, les stats du bombardier serbe étaient beaucoup moins flamboyantes. De septembre 2020 à mai 2021, il ne marque qu’un petit but en Premier League. En y ajoutant les stats de sa première saison à Craven Cottage et celles de son passage mitigé à Newcastle, Mitrovic reste sur 24 buts marqués en 104 rencontres au plus haut niveau. Contre 76 en 113 matchs de Championship. C’est que contre la crème de la crème (anglaise), Fulham ne peut pas se permettre de jouer de manière aussi dominante qu’une division en-dessous. L’équipe doit alors repartir de plus bas et Mitrovic est moins bien alimenté. Dans ces conditions, ses difficultés à se créer des occasions de lui-même ressortent, rappelant que si l’équipe peut se montrer dépendante vis-à-vis de son numéro neuf, il l’est tout autant de la manière dont ses équipiers le servent.
Témoin privilégié de ce syndrome de l’ascenseur, Denis Odoi confirme la difficulté de confirmer en Premier League : « Je préfère évoluer en Championship. Les deux années que j’ai disputées en Premier League ont été difficiles. On luttait contre la relégation, il ne faut pas le sous-estimer. Ça pèse lourd, vous pensez que vous n’êtes pas assez bon. » Fulham a beau vouloir envisager match par match, tout le club doit déjà anticiper la probable montée en fin de saison. Pour tirer les leçons du passé et voir Mitrovic célébrer comme le loco qu’il est à l’échelon supérieur. Ou avec la langue, comme au bon vieux temps.
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