Opération « Mains Propres » : « Le procureur fédéral voit plus qu’une simple tentative de truquage de matchs »
Dans le cadre de l’opération « Mains Propres », le procureur fédéral veut traduire 56 personnes et une entreprise devant le tribunal pénal. Nous avons posé trois questions à Kristof De Ryck, qui a suivi l’affaire depuis le début pour Sport/Foot Magazine.
1. Qu’est-ce qui vous frappe lorsque vous regardez le projet de demande du procureur fédéral ?
Kristof De Ryck :« Je me suis surtout demandé si le procureur fédéral voulait aussi traduire l’ancien président du syndicat François De Keersmaecker devant le tribunal pénal. Cela semble être le cas. Si la chambre des mises en accusation l’envoie également devant le tribunal correctionnel et que De Keersmaecker ne peut éviter cela par un règlement à l’amiable, les conséquences seront énormes. De Keersmaecker est un juge suppléant. Si un tel magistrat doit lui-même comparaître devant un tribunal pénal, l’affaire passera immédiatement devant la cour d’appel. Ainsi, une instance est abandonnée, non seulement pour De Keersmaecker, mais pour tous les défendeurs dans l’affaire. Outre De Keersmaecker, le procureur fédéral vise également Steven Martens, ancien administrateur délégué de l’Union Belge. Le procureur général affirme que les deux hommes ont apposé leur signature en 2013 au nom de l’Union Belge sur un accord de gestion fictif avec une société chypriote de l’agent Dejan Veljkovic. Selon le procureur, cet accord a été utilisé pour effectuer des paiements en noir à Erwin Lemmens, l’entraîneur des gardiens de but des Diables rouges. Le procureur général estime que 52 808 euros ont pu lui être versés grâce à cet accord. Bien que ce soit le seul contrat qui mette De Keersmaecker et Martens dans une situation délicate, il s’agit d’un élément essentiel du dossier, en raison de leur position à l’Union Belge. A l’époque de cet accord, je suivais le FC Malines pour Sport/Foot Magazine. Je me souviens d’une conversation en off que j’ai eue avec Johan Timmermans, alors président de Malinwa, sur le parking du stade. A un moment, Timmermans a marmonné que le KaVé effectuait des paiements par l’intermédiaire d’une société chypriote et qu’ils devaient faire attention à cela. Lorsque j’ai voulu approfondir cela, Timmermans s’est tu. Je n’ai pas pu obtenir d’autres informations aussi bien de sa part que d’autres personnes. C’était frustrant, car j’en savais trop peu que pour pouvoir écrire quelque chose à ce sujet. Bien sûr, je ne me souviens pas mot pour mot de cette conversation avec Timmermans. Je me souviens qu’il n’était pas trop inquiet : « Parce que la Fédération le fait aussi. Cette attitude de Timmermans – « Notre Fédération le fait, alors pourquoi pas nous ? » – montre la fonction d’exemple que De Keersmaecker et Martens avaient pour les clubs. Je ne comprends pas pourquoi ils ont sapé cela en signant un contrat pour – avec tout le respect que je leur dois – un entraîneur de gardien de but, puis un autre pour un montant insignifiant dans une entreprise qui vaut des millions. »
2. On en sait également plus sur le volet du dossier concernant Mogi Bayat. Qu’est-ce qui en ressort ?
De Ryck :« Du moins les affaires que le procureur fédéral lie à son frère Mehdi Bayat, également ancien président fédéral. Dans son cas, les accusations sont indépendantes de ses fonctions à l’avenue Houba de Strooper. Il ne s’agit que de son rôle en tant que président de Charleroi. Le procureur mentionne une rétro-commission que Mehdi aurait reçue de Mogi sur le transfert de Dodi Lukebakio de Charleroi à Watford. Cette rétro-commission serait une montre Patek Philippe d’une valeur de 55 000 euros. En lisant cela, j’ai repensé au reportage « Le Milieu du Terrain » que la RTBF avait diffusé à la fin du mois de septembre. Dans celui-ci, les journalistes avaient confronté Mehdi au lien intense entre son club et son frère Mogi. Ils avaient dressé une liste de 43 joueurs et de 3 entraîneurs qui étaient passés par le club zébré ces dernières années et qui auraient tous été dans le portefeuille de Mogi. Mehdi Bayat a examiné la liste et a mis une croix sur plus de la moitié des noms. Tous les joueurs cochés n’avaient rien à voir avec Mogi selon lui. L’ex-président de l’Union Belge s’est ensuite moqué du travail journalistique « peu sérieux » effectué avec une manière hautaine et arrogante. Il s’est dit « extrêmement déçu » par ce qu’ils lui ont fait subir et a qualifié cela de « scandaleux ». Mehdi avait apposé une croix à côté du nom de Lukebakio.
Mais le procureur fédéral lie maintenant ce joueur à Mogi. En effet : selon le procureur, Mehdi aurait profité du lien entre Mogi et Lukebakio. Bien sûr, un juge doit encore décider qui est coupable ou non de quoi dans ce scandale, mais en attendant, la réaction de Mehdi Bayat est déjà révélatrice. Beaucoup espéraient que le monde du football ferait preuve d’un peu plus d’humilité avec la sortie de cette affaire. La sortie du président de Charleroi dans le reportage de la RTBF ne montre pas le moindre signe d’un « changement de mentalité ».
3. L’affirmation finale du procureur fédéral nous apprend-elle aussi quelque chose sur le volet des matches truqués qui avait déjà été sanctionnée par l’Union Belge ?
De Ryck :« Certainement. Cela concerne, entre autres, le match FC Malines – Waasland-Beveren du 11 mars 2018. Ce match du KaVé devait lui permettre d’éviter la relégation. Comme vous le savez, il y a déjà eu une procédure disciplinaire sur ce qui s’est passé dans la période précédant ce match. Dans le cadre de cette procédure, de hauts responsables de Malinwa ont été sanctionnés pour avoir tenté de truquer des matches. Il n’est donc pas surprenant que le procureur fédéral demande la convocation de Thierry Steemans, Johan Timmermans, Olivier Somers et Stefaan Vanroy. Au moment du match, ils étaient respectivement directeur financier, président, actionnaire principal et directeur sportif de Malines. Mais – et nous ne le savions pas encore – le procureur voit aussi la « circonstance aggravante que la proposition a été acceptée ». Du côté de Waasland-Beveren, le procureur demande que l’ancien président Dirk Huyck et l’ancien directeur financier Olivier Swolfs soient convoqués. Dans le passage les concernant, le procureur fédéral parle de la « circonstance que la demande a été suivie d’une proposition ou que la proposition a été acceptée ». Cela n’est pas une surpise pour ceux qui connaissent bien le dossier. Il contient des passages très incriminants pour Huyck et Swolfs. Mais ce qui est marquant, c’est que certaines décisions prises lors des procédures disciplinaires mentionnées aujourd’hui contrastent fortement avec la requête du procureur fédéral. Dans le cadre de la procédure disciplinaire, le club waeslandien et ses dirigeants ont été acquittés des accusations de match truqué. Huyck et Swolfs n’ont seulement été sanctionnés que pour ne pas avoir respecté l’obligation de déclaration. Le club waeslandien peut remercier la Commission des Litiges d’Appel pour le Football Professionnel de l’Union Belge, qui a traité l’affaire en première instance, et l’ancien procureur du club, Kris Wagner, qui n’a pas fait appel de l’acquittement. En faisant cela, ce dernier est allé à l’encontre de sa ligne de conduite des jours précédents. Cette farce a donné l’impression que le FC Malines avait essayé d’influencer le match et que Waasland-Beveren n’avait pas répondu à sa demande. Mais le procureur fédéral voit apparemment plus qu’une tentative de truquage de match. Il croit savoir que les dirigeants de Waasland-Beveren ont effectivement ont été plus loin après les demandes malinoises. Si cela était bien le cas, Huyck et Swolfs auraient donc échappé à une sanction disciplinaire plus lourde. Mais ils pourraient cependant bien être punis sur le plan pénal. Ces nouveax éléments donnent une fois de plus une mauvaise image de la procédure disciplinaire interne. La Commission des Litiges d’Appel pour le Football Professionnel de l’Union Belge s’est beaucoup concentré sur les initiateurs malinois de cette fraude. A juste titre, mais en même temps, elle a occulté les rôles de Huyck et Swolfs. Auparavant, le Tribunal Arbitral du Sport (CBAS), qui a traité l’appel dans le volet disciplinaire, a également été critiqué. Le tribunal de première instance de Bruxelles a statué l’année dernière que le CBAS avait agi de manière hâtive en prenant cette décision ».
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