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Le compte Doku

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Quelques mois après avoir fait de sa prolongation une priorité, Anderlecht doit laisser filer sa fusée vers la Bretagne. Explications du choix mauve, au bout de l’histoire d’un mercato rempli d’imprévus.

Est-ce parce qu’elle était attendue ? Toujours est-il que dans l’océan du week-end mauve, la défaite face au champion en titre brugeois provoque peu de remous. Les vagues se sont plutôt abattues sur les bureaux, se transformant même en tsunami quand elles ont emporté le nom de Jérémy Doku pour le déposer en terres bretonnes. Alors qu’il s’imaginait encore fouler la pelouse du Jan Breydel Stadion quelques heures plus tôt, le talent majuscule de Neerpede a été poussé dans les bras du Stade Rennais. Pas seulement par l’agence Stellar, qui possède un contrat pour gérer ses intérêts jusqu’au 30 juin prochain et souhaitait faire un gros coup avec son Diable rouge, mais aussi par la direction anderlechtoise, contrainte de laisser partir la plus belle incarnation du process tant vanté par Vincent Kompany.

En quête de réussite rapide, Marc Coucke a brûlé la chandelle financière par les deux bouts.

Forcément interrogé sur le sujet au bout de la défaite en Venise du Nord, le coach du Sporting joue cartes sur table :  » Tout le monde sait que notre club a certaines priorités si on veut redresser la barre et se remettre sur la voie d’une équipe qui gagne. On est obligés de payer pour les erreurs du passé. On doit le faire pour survivre.  » Quelques semaines plus tôt, invité sur le plateau de la VRT suite à sa prise de pouvoir sur le banc bruxellois, le Prince de Saint-Guidon avait reconnu que la situation financière était bien pire qu’il ne l’avait imaginée à son arrivée.

Malgré la situation précaire, qui force Peter Verbeke à devoir composer avec une triste enveloppe de cinq millions d’euros pour son marché d’été, Anderlecht avait décidé de mettre les bouchées doubles pour maintenir deux des plus beaux symboles de la formation de Neerpede sur la pelouse du Lotto Park. Albert Sambi Lokonga et Jérémy Doku sont les priorités de l’été bruxellois. L’ailier, à un peu moins de deux ans de la fin de son contrat, se voit même proposer un nouveau bail de trois ans dans la capitale, avec un salaire évoluant de 1,3 à 1,7 million annuel au fil des saisons. Comment, dans ces circonstances, le club est-il finalement arrivé à devoir vendre le symbole majeur de sa formation à succès ?

UNE LICENCE SOUS TUTELLE

La lumière médiatique occupée par la licence refusée au Standard, au début du mois de mai dernier, a occulté les ennuis financiers des Mauves. En coulisses, nombreux sont ceux qui se demandent d’ailleurs comment le Sporting est parvenu à obtenir le précieux sésame. Entre les implications toujours majeures de Marc Coucke à Ostende (sa société, Alychlo, possédait encore une partie du stade) et le rôle flou joué par Wouter Vandenhaute, qui n’exerçait pas, aux yeux de la Commission,  » d’influence notable  » sur le club quelques mois avant d’en prendre la présidence, il y avait matière à s’interroger.

Le principal doute relevé par le rapport rédigé par le Département des Licences, pourtant, est d’ordre financier. Anderlecht vit au-dessus de ses moyens, et ne doit son maintien à flot qu’aux bouées de sauvetage lancées par Marc Coucke, qui n’hésite pas à recourir à l’augmentation de capital pour éviter des pertes trop importantes au décompte final. Malgré tout, le train de vie déraisonnable des Mauves leur offre un  » traitement de faveur  » concocté par la Commission : le Sporting doit, tout au long de la saison, envoyer ses livres de comptes tous les trois mois au Département des Licences, qui pointe par ailleurs la  » nécessité absolue de respecter le budget approuvé par le Conseil d’Administration du club du 11 mars 2020.  » Une mise sous tutelle qui force Anderlecht à rationaliser son mode de fonctionnement, dépendant moins des millions injectés par son sugar daddy. C’est la raison principale de l’arrivée de Karel Van Eetvelt à la tête des opérations mauves.

Soucieux de gagner du temps pour redresser les finances bruxelloises, le nouveau CEO tente de profiter des négociations à la Pro League et de la crise sanitaire pour négocier un report de l’entrée en vigueur du fair-play financier version belge. Le Sporting éviterait ainsi d’être pénalisé – en points – pour la deuxième augmentation de capital en deux ans annoncée en marge de la reprise de la présidence par Vandenhaute. Un dopage financier excessif, car les règlements parlent de l’impossibilité d’augmenter le capital de plus de trente millions d’euros sur deux saisons. Bloqué par le refus de l’assemblée, Anderlecht n’a pas le choix : il va devoir vendre. En espérant que, contrairement aux deux dernières fenêtres de transferts, quand Sebastiaan Bornauw puis Alexis Saelemaekers ont quitté la maison mauve, le portefeuille ne grossisse pas en échange du talent d’un joyau de Neerpede.

Le départ de Doku a été un uppercut pour Vincent Kompany.
Le départ de Doku a été un uppercut pour Vincent Kompany.© BELGAIMAGE

LES ERREURS DU PASSÉ

Les pistes sont nombreuses, au coup d’envoi de l’été bruxellois. On cite évidemment, comme un refrain, le nom d’ Adrien Trebel, caractère et salaire encombrants. Le Français et son agent, Mogi Bayat, ont profité de la folie des grandeurs de Marc Coucke pour négocier des émoluments hors-normes au bout d’un début de saison abouti sous les ordres d’ Hein Vanhaezebrouck. Depuis, l’ancien Rouche est invendable, et son salaire pèse lourd sur les finances anderlechtoises. Impossible, visiblement, de lui trouver un nouveau port d’attache.

Sur le plateau de la VRT, Kompany avait reconnu que la situation financière était bien pire qu’il ne l’avait imaginée à son arrivée.

Les folies du propriétaire des Mauves ont coûté cher à l’équilibre des comptes bruxellois. Parmi les exemples les plus marquants, on recense évidemment le salaire princier offert à un Samir Nasri à court de compétition, ou les huit millions d’euros déposés sur la tête d’un Bubacar Sanneh qui, quelques mois plus tôt, avait été refusé par un club belge pour un montant cinq à dix fois inférieur, car jugé insuffisant. En quête de réussite rapide, l’ancien président a brûlé la chandelle financière par les deux bouts, alors que les dernières années de gestion d’ Herman Van Holsbeeck l’avaient déjà largement consumée.

Les mois passés par Michael Verschueren à la tête du département financier n’ont pas été plus heureux pour les comptes de Saint-Guidon. Entre des propositions salariales arrivées avec des délais excessifs qui ont privé le Sporting de l’un ou l’autre renfort en coulisses, et des sommes extravagantes offertes à Hendrik Van Crombrugge ou Killian Sardella, le fils de Mister Michel a compliqué de nombreux dossiers, et sa mise au placard n’a pas causé de grands remous chez ceux qui font tourner la machine mauve et blanche.

DES HOMMES SUR LE MARCHÉ

En vitrine, Anderlecht place, en vain, plusieurs de ses joueurs, comme pour tenter de dissimuler ses diamants. À Neerpede, on tente ainsi de trouver une porte de sortie pour Francis Amuzu, et on ne dirait pas non face à l’opportunité de grappiller quelques millions en échange des gants de Van Crombrugge. Finalement, Kemar Roofe est le seul départ d’envergure des premiers mois de marché. Rencardé vers l’Angleterre, où il pourrait voyager contre une somme inespérée, Elias Cobbaut douche l’enthousiasme des financiers bruxellois quand il doit quitter la pelouse de la Diaz Arena, à Ostende. Cheville fracturée, quatre mois d’indisponibilité, et un transfert aux oubliettes.

Vient alors le tour de Landry Dimata, revenu sur les terrains après de trop longs mois de galère, mais toujours pas définitivement débarrassé de ses mystérieux ennuis au genou. Anderlecht croit trouver un acquéreur en Ligue 1, mais doit finalement dissimuler derrière un communiqué qui ne dupe personne le verdict de tests médicaux, lors desquels le néo-Diable rouge n’a pas donné suffisamment de garanties sur son état physique. L’heure avance, et le rapport intermédiaire à rendre à la Commission des Licences commence à s’approcher dangereusement. En argumentant sur le mercato toujours en cours, les Mauves obtiennent un délai pour leur examen intermédiaire du 15 septembre, repoussé après la fermeture du marché. Preuve indirecte qu’une ou plusieurs ventes sont indispensables pour faire sourire la trésorerie. La possibilité, envisagée dès le printemps, de voir un cadre prendre la route de l’Italie, pour enfiler le maillot de l’Atalanta, tombe à l’eau quand il s’avère que ni Alejandro  » Papu  » Gómez, ni Josip Ilicic ne quitteront la Dea.

L’arrivée fracassante de Rennes dans le dossier Doku est une porte de sortie désagréable, mais c’est la seule qu’Anderlecht semble encore pouvoir emprunter. Dopés par leur participation à la Ligue des Champions et les fonds de la famille Pinault (cinquième fortune de France), les Bretons sont plus ambitieux que jamais et veulent boucler un mercato gargantuesque en s’offrant les services du dynamiteur du couloir gauche mauve. Les négociations avancent vite, et aboutissent autour des 25 millions d’euros, assortis de copieux bonus à la revente. Peter Verbeke ne tarde pas à se mettre en quête d’un remplaçant pour s’installer sur l’aile gauche du vaisseau bruxellois, quelques mois à peine après avoir fait du maintien de Doku dans la capitale sa priorité de l’été. Il n’a simplement pas le choix.

Jérémy Doku était censé ressusciter Anderlecht sur le terrain. Au bout de l’histoire, il aura peut-être livré plus de millions sur le compte du Sporting que de matches sous le maillot mauve. Plus que jamais, à Neerpede, les erreurs finissent par se payer (en) cash.

Peter Verbeke
Peter Verbeke© BELGAIMAGE

L’été fauché

Pour son premier mercato estival à la tête de la gestion sportive des Mauves, Peter Verbeke n’a pas eu les coudées franches. Limité à une enveloppe minuscule, il a rapidement atteint les frontières de ses ambitions sur certains dossiers pourtant bien lancés. Anderlecht aurait pu mettre la main sur de prometteurs talents Sud-américain, mais le portefeuille bruxellois s’est vite avéré trop étroit pour des proies de ce calibre. Le dossier Isaac Mbenza a également trôné sur le bureau du directeur sportif du Sporting, avec la même voie financière sans issue au bout du chemin.

Inventif et à l’affût de marchés inattendus, Verbeke a tout de même réussi à saisir quelques opportunités intéressantes, élargissant les perspectives mauves au-delà des seuls réseaux de Vincent Kompany, qui ont permis de boucler quelques prêts de l’autre côté de la Manche. Ainsi, l’homme fort du recrutement bruxellois a déniché Mustapha Bundu en Scandinavie et, surtout, mis le grappin à un prix très avantageux sur un Bogdan Mykhaylichenko qui semble déjà s’imposer parmi les références de Pro League au poste d’arrière gauche.

En quête de marchés plus abordables, Peter Verbeke aurait désormais jeté son dévolu sur l’Espagne. Les joueurs moyens de Liga sont loin d’être les mieux rémunérés du Vieux Continent, et de nombreux clubs sont en quête de liquidités pour maintenir la tête hors de l’eau. Le talent peut donc s’y dénicher à bon prix. En cours de mercato, le défenseur central Juan Brandáriz, alias  » Chumi « , a ainsi passé ses tests médicaux à Neerpede, alors qu’il était libre de tout contrat. En raison d’un physique incertain, un paramètre que les Mauves ne veulent absolument plus prendre à la légère, le joueur passé par La Masia a finalement été recalé par le Sporting et s’est engagé à Almería, en D2 espagnole.

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