Comment Manchester United a ramené du rêve à Old Trafford
Largués de la course au titre depuis la fin de l’ère Ferguson, les Red Devils consolident leur deuxième place avec un mercato majuscule. De quoi espérer raisonnablement un retour dans la lutte pour les trophées. Chronique d’une chère reconstruction.
Le storytelling est déjà prêt. Comme une histoire montée à l’envers. Réputé pour son centre de formation, l’un des plus prolifiques au monde dont les produits les plus enviés se nomment aujourd’hui Marcus Rashford ou Mason Greenwood, United rêve déjà de subtiliser le titre à son voisin devenu encombrant grâce à sa recrue-phare de l’été. Un international anglais passé deux années durant par l’ Academy des Citizens, mais qui avait quitté le côté bleu ciel de Manchester en 2017, provoquant la colère de Pep Guardiola : « Nous avions un accord. Nous lui avons offert le plus gros salaire de l’académie, c’était le joueur le mieux payé. Nous nous sommes serrés la main », se lamente le manager catalan. Jadon Sancho préfère s’envoler pour la Ruhr, et fait très vite chavirer le Signal Iduna Park. Au pied du mur jaune, le Londonien facture cinquante buts et 57 passes décisives en l’espace de quatre saisons, et s’offre un nouveau passeport pour les Îles. Un trajet chiffré à 85 millions d’euros, et financé par les Red Devils pour détrôner les Skyblues. Surnommé The Rocket, Sancho doit faire décoller Old Trafford de douze points, l’écart entre les deux clubs de Manchester au terme de la dernière saison.
Regardez ses stats, elles ne mentent pas. »
Rio Ferdinand à propos de Jadon Sancho
« Regardez ses stats, elles ne mentent pas », réagit d’emblée Rio Ferdinand à l’annonce de la signature du seul homme à pouvoir regarder Robert Lewandowski dans les yeux ces trois dernières saisons en termes d’implication dans les buts de son équipe au sein du territoire allemand. Avec l’arrivée de l’ailier, Manchester United réalise sans doute son premier coup d’envergure mondiale depuis la signature de Paul Pogba, convoité par une bonne partie du Vieux Continent au moment d’officialiser son retour dans le Théâtre des Rêves. Presque une habitude perdue pour les Mancunians, qui s’étaient accoutumés à ne plus être au sommet de la liste des priorités des noms les plus ronflants du ballon rond. Conséquence inévitable d’une descente aux enfers amorcée lors des dernières années de Sir Alex Ferguson à la tête du club. Il faut ainsi remonter jusqu’en 2011 pour retrouver une trace des Red Devils dans le dernier carré de la Ligue des Champions. Depuis, Man U n’a décroché qu’un seul titre national en dix ans, contre cinq pour City. Un changement d’hégémonie qui passe d’autant plus mal quand le pouvoir passe subitement entre les crampons du voisin.
Appelé à la rescousse au printemps 2016, comme une riposte à la signature de son meilleur ennemi Pep Guardiola à l’Etihad Stadium, José Mourinho pose son diagnostic sur cette nouvelle réalité mancunienne: « Je pense que le club était habitué à gagner, et peut-être qu’ils n’ont pas réalisé que les autres clubs étaient en train de grandir, même lors des dernières années au club de Sir Alex. »
LA QUÊTE DE LA UNITED WAY
Est-ce l’amertume de ne pas avoir été choisi par le légendaire manager écossais en tant que successeur, lui qui rêvait de longue date de ce siège sur le banc d’Old Trafford, ou le Portugais a-t-il simplement visé juste? Champion pour sa dernière saison en subtilisant Robin van Persie à son grand rival Arsène Wenger, Fergie avait créé la surprise en optant pour son compatriote David Moyes pour assumer sa succession. Signe d’un costume trop grand pour lui, celui qui a aujourd’hui rebondi à la tête de West Ham fait cette confidence quand il se souvient de l’appel du manager des Red Devils : « Sir Alex m’a demandé de venir chez lui. Je pensais qu’il allait me dire qu’il voulait un de mes joueurs. »
C’est le début des errances. Tous tentent de reconstruire une United Way sur la pelouse, mais personne ne parvient vraiment à installer un football dominant à Old Trafford. Le Special One ramène bien une Europa League et une deuxième place au bout d’une saison à 81 points, mais très loin du voisin emmené à la barre des cent unités par Pep Guardiola, et avec seulement la cinquième attaque du Royaume. C’est la seule fois, depuis le départ de Ferguson, que les Mancunians bouclent leur saison au-delà des 75 points, limite que l’Écossais franchissait systématiquement depuis le début des nineties.
Après le traditionnel clash de sa troisième saison, et le départ inévitable qui s’ensuit, Mourinho est remplacé par un Ole Gunnar Solskjaer qui brille plus par son passé de joueur que par sa trajectoire de coach. L’homme du late winner face au Bayern, qui avait offert le triplé aux Fergie Boys en 1999, doit profiter de la nouvelle vague du football mondial, à nouveau dominé par l’intensité, pour ressusciter l’énergique football de Sir Alex. Une mission que les dirigeants lui ont récemment confiée jusqu’en 2024, malgré des performances moyennes en championnat et des défaites douloureuses en demi-finale, puis en finale d’Europa League. S’il va au bout de ce contrat, le Norvégien sera le troisième manager des Red Devils avec la plus grande longévité sur le banc d’Old Trafford depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, seulement devancé par les légendes Matt Busby et Ferguson. Une prouesse pour celui qui a longtemps été sur la sellette, quand ses patrons draguaient presque ouvertement Mauricio Pochettino, mais qui dispose aujourd’hui d’un squad à la hauteur de la grandeur de ses couleurs.
Depuis l’été 2013, Manchester United a claqué plus d’1,3 milliard d’euros en transferts.
LES TRAVAUX D’OLE
Le 21 avril 2019, dans la foulée d’un douloureux 4-0 infligé par les Toffees d’Everton sur leur pré de Goodison Park, Solskjaer semble déjà convaincu: « Je vais réussir à la tête de ce club, mais il y a des joueurs ici qui ne feront pas partie de cette aventure. » Au bout de ce premier interim, Romelu Lukaku et Chris Smalling quittent un navire rouge et blanc que rejoignent à prix d’or les défenseurs anglais Harry Maguire et Aaron Wan-Bissaka. La facture des transferts entrants du manager norvégien grimpe au-delà des 200 millions d’euros au mois de janvier suivant, quand Bruno Fernandes rejoint Old Trafford. Le Portugais joue les magiciens avec huit buts et sept passes décisives lors des quatorze derniers matches de la saison mancunienne, bouclée sans la moindre défaite et sur la troisième marche du podium dans la foulée d’une victoire sur la pelouse de Leicester lors de la dernière journée.
Un an et quelques dizaines de millions plus tard, malgré l’intégration ratée d’un Donny van de Beek pourtant impressionnant à l’Ajax, Man U grimpe encore d’une place dans la hiérarchie et sur la (petite) scène européenne, ne s’inclinant qu’aux tirs au but face au Villarreal du spécialiste Unai Emery en finale de l’Europa League. La remontée se poursuit, mais se heurte encore à plusieurs obstacles: des difficultés pour déverrouiller les blocs bas incarnées par une saison bouclée à onze matches nuls, une défense trop peu sécurisante – la cinquième de Premier League – et une irrégularité qui coûte cher dans les moments-clés.
Si la troisième carence sera le travail principal de Solskjaer, et sans doute l’axe majeur de son évaluation par ses patrons dans les mois qui viennent, un nouveau mercato estival au-delà des cent millions d’euros doit aider le Norvégien à résoudre les deux premiers problèmes mancuniens. Décisif 89 fois lors de ses 104 apparitions sur les pelouses de Bundesliga, l’ailier Jadon Sancho semble être le candidat idéal pour jouer les ouvre-boîtes et transformer en victoires une bonne partie des partages concédés. Quant à la défense, elle sera désormais confiée à un Raphaël Varane qui débarque dans les Îles avec une armoire à trophées démesurée, quelques mois avant l’aube d’une trentaine qui fait souvent office d’âge d’or pour les défenseurs centraux.
UN SAUVEUR NOMMÉ VARANE
Sur les prés anglais, le défenseur central rapide, propre et capable de corriger les espaces offerts à l’adversaire par un pressing ambitieux est à la mode. Liverpool a mis fin à de longues années de disette européenne et, surtout, nationale en s’offrant les services de Virgil van Dijk, puis a plongé au moment de la grave blessure de l’international néerlandais. La perte de vitesse des Scousers a alors coïncidé avec le nouveau souffle des Citizens de Guardiola, portés par la trouvaille Rúben Dias au coeur de la défense de l’Etihad Stadium. Du côté d’Old Trafford, on n’avait pas lésiné sur les moyens pour attirer Harry Maguire, mais le leader de la défense des Three Lions, souverain comme personne dans le duel et à l’impact, ne fait pas pour autant partie de cette espèce rare des maîtres de l’espace défensif.
Au sommet de son art, celui que l’Espagne surnommait Don Limpio pour sa capacité à commettre très peu de fautes est à la fois capable de dominer l’espace grâce à sa pointe de vitesse, mais aussi sa surface. Lors du Mondial 2018, son règne sans partage sur la zone devant les perches d’ Hugo Lloris avaient amené certains suiveurs, son compatriote Michel Platini en tête, à en faire un candidat de choix pour le Ballon d’Or. Finalement arrivé à la septième place du scrutin le plus prestigieux du football, le défenseur tricolore sort aujourd’hui de l’ombre d’un Sergio Ramos que beaucoup disaient indispensable pour qu’il aligne les bonnes performances.
Raphaël Varane parviendra-t-il à stabiliser la défense mancunienne?
« Il a longtemps été dans l’ombre à cause de la personnalité de Ramos, et des buts importants qu’il a marqués », analyse le défenseur d’Alavés Rodrigo Ely pour le Guardian. « Mais en regardant tout le temps qu’il a passé en Espagne, ce qui ressort de ses prestations, c’est sa régularité. » Désormais associé à un Harry Maguire qui va le soulager dans les duels, le Français pourrait être la valeur ajoutée qui offre quelques clean-sheets supplémentaires aux Red Devils. Un facteur presque indispensable pour croire au titre. Parce que même si la United Way de Sir Alex Ferguson était surtout réputée pour son vertige offensif, dix des treize couronnes nationales du manager écossais ont été obtenues avec une moyenne inférieure à un but concédé par rencontre.
LE RETOUR DU GÉANT
Si les dirigeants mancuniens ont semblé plus concentrés sur les succès commerciaux que sportifs, faisant du club d’Old Trafford une marque puissante sans avoir de cohérence sportive sur le terrain, le noyau mis à la disposition d’Ole Gunnar Solskjaer semble aujourd’hui bâti pour lutter face aux armadas les mieux équipées du Royaume. Avec Raphaël Varane et Harry Maguire associés devant David de Gea, un Luke Shaw en forme exponentielle ces derniers mois sur le côté gauche, un Paul Pogba que les fans des Red Devils espèrent enfin voir afficher le niveau hors normes des grands tournois sous le maillot de l’équipe de France et un secteur offensif où se côtoient Jadon Sancho, Marcus Rashford, Mason Greenwood, Bruno Fernandes ou Edinson Cavani, le onze potentiel alignable par le manager norvégien donne des frissons.
Manchester United peut à nouveau se rêver au sommet. Histoire de renverser le cours de son destin, pour retourner à cette époque où même David Beckham ne pouvait se permettre d’être au-dessus de l’institution sous peine de subir une soufflante du manager le plus craint du Royaume britannique. Histoire, aussi, de ranger au fond d’une boîte dans les greniers mancuniens le souvenir pas si lointain de l’arrivée d’un Zlatan Ibrahimovic certes exceptionnel, mais déjà en fin de carrière, salué par une imposante bannière en haut d’un magasin Adidas sur Market Street: » Manchester, welcome to Zlatan. » Une inversion des rôles indigne de l’une des marques sportives les plus renommées de la planète. Une anomalie que Manchester United doit désormais rectifier, pour qu’aucun de ses joueurs futurs ne puisse regarder Old Trafford en contre-plongée.
Le palmarès depuis le départ de ferguson
2013: Community Shield (David Moyes)
2016: FA Cup (Louis van Gaal)
2017: Community Shield, Europa League et League Cup (José Mourinho)
L’équipe qui valait des milliards
Depuis le depart de Sir Alex Ferguson, les Red Devils ont dépensé sans compter pour construire des équipes compétitives en tentant de satisfaire les exigences de leurs managers successifs. Au total, de Marouane Fellaini à Raphaël Varane, ce sont près d’une quarantaine de joueurs qui ont été acquis depuis l’été 2013, pour un montant total dépassant 1,3 milliard d’euros. Une somme vertigineuse qui n’a pas été suffisante pour remporter des trophées de grande envergure, puisque les Mancunians ont dû se « contenter » d’une Europa League et d’une FA Cup depuis le départ de leur légendaire manager. Aperçu des dépenses les plus folles de ces années de démesure.
Le Palmarès De Raphaël Varane
1 x Coupe du monde (2018)
4 x Ligue des Champions (2014, 2016, 2017, 2018)
3 x Liga (2012, 2017, 2020)
1 x Copa del Rey (2014)
3 x Supercoupe d’Espagne (2012, 2017, 2020)
3 x Supercoupe d’Europe (2014, 2016, 2017)
4 x Coupe du monde des Clubs (2014, 2016, 2017, 2018)
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici