Comment Charles De Ketelaere va s’imposer dans l’axe du jeu du Club Bruges
Utilisé aux quatre coins du terrain depuis son éclosion, Charles De Ketelaere entame sa troisième saison chez les pros avec la volonté de s’épanouir dans l’axe. Au coeur du jeu et entre les lignes, là où ses pieds l’attirent irrémédiablement depuis ses débuts.
La coupe de cheveux semble faire partie du dresscode de l’une de ces écoles où les cours se suivent en uniforme. Le sourire est de ceux auxquels on a toujours envie de croire. La démarche a l’élégance des podiums. Tout, chez Charles De Ketelaere, paraît avoir été pensé pour élever le mensonge au rang d’art. Impossible d’imaginer que son numéro 90 cache des mouvements d’ensorceleur. Une fois que son adversaire direct l’a réalisé, il est pourtant déjà trop tard. Parce que chez le Brugeois, l’essentiel des différences s’effectuent avant même que le ballon parvienne jusqu’à ses pieds.
Charles permet à ceux qui sont autour de lui de mieux fonctionner. »
Philippe Clement
L’histoire commence par un pic de croissance. Treize centimètres supplémentaires en un an à peine, et une explosivité à reconstruire à cause de muscles allongés. Des jambes longues et fébriles, pas vraiment conçues pour résister aux impacts des duels. Pour survivre sur ces pelouses que son équipier Clinton Mata aime comparer à une jungle, De Ketelaere doit donc se réinventer. Une sorte de darwinisme en crampons.
« J’ai dû me rabattre sur ma technique », explique celui qui culmine désormais au-delà du mètre nonante, avec une musculature de plus en plus adaptée aux contacts du jeu. Incapable de faire la différence avec les cuisses, le gaucher commence à la faire avec ses méninges. Une évolution spectaculaire qui s’appréhende surtout quand le ballon se dirige vers lui. Un appel en profondeur avant de revenir sur ses pas, un coup de rein vers la gauche pour partir à l’opposé ou un buste qui se réoriente brusquement à l’approche du ballon pour prendre l’adversaire à contre-pied. Entre le départ de la passe et son arrivée à ses pieds, le grand Charles ne fait que mentir. Son corps ne lui laisse pas le choix. Une spécificité que Johan Cruijff résume, comme à son habitude, en une formule dans Palabra de Entrenador: « Les moins robustes développent une intelligence spéciale, une habileté à trouver des alternatives. Tu apprends sur base de ton propre corps. » En repensant les méthodes de formation à la Masia, les héritiers du Néerlandais iront même jusqu’à professer l’absence de développement physique pour les jeunes du Barça. Juste pour qu’ils souffrent plus que jamais quand ils doivent courir après le ballon, histoire d’exacerber leur volonté de ne jamais le perdre.
LA POCKET ZONE
Très vite, Charles De Ketelaere développe donc un sens de l’espace hors normes. Sa faculté à se libérer sans cesse et son envie perpétuelle de pivoter rapidement pour ne pas perdre l’avantage créé par son démarquage en font un joueur précieux au coeur du jeu. S’il le lance à la place de Ruud Vormer, suspendu, à l’occasion d’un match de Ligue des Champions contre le PSG, c’est plutôt dans un registre semblable à celui de Siebe Schrijvers que Philippe Clement commence donc à l’utiliser pour sa première saison brugeoise, toujours menée en 3-5-2. Dans le duo offensif, De Ketelaere enfile donc le costume du joueur qui décroche, crée le surnombre au coeur du jeu pour combiner avec Vormer et Hans Vanaken. Il s’épanouit derrière un attaquant de profondeur qui menace la défense et augmente donc sa zone d’expression en faisant reculer ses adversaires. La zone est étroite, mais les années passées sur les courts de tennis ont développé chez CDK un sens précieux de l’anticipation pour toujours garder un coup d’avance. Il devient le roi des territoires les plus prisés du football moderne, ceux que certains appellent les half-spaces, d’autres les pocket zones.
Dans la première moitié des années 2010, les intendants de la Säbener Strasse, siège du centre d’entraînement du Bayern, s’étonnent des demandes de Pep Guardiola qui exige que le terrain soit tracé avec quatre lignes supplémentaires dans le sens de la longueur. Le Catalan divise ainsi le terrain en cinq couloirs: les flancs, l’axe du terrain, et les zones intermédiaires. Celles-ci sont désignées comme les plus précieuses, parce que moins éloignées du but que les premières et moins embouteillées que la deuxième. Elles deviennent la propriété des joueurs d’espace, ceux capables d’y demander un ballon, de s’y retourner et de transformer la possession en occasions de but. Un costume qui, à Bruges, semble rapidement taillé pour Charles De Ketelaere.
La pocket zone gauche étant la propriété d’Hans Vanaken, le teenager prend l’habitude de décrocher sur la droite, là où Ruud Vormer préfère s’excentrer pour s’offrir une position de centre. « Ma meilleure arme, c’est de créer des occasions », explique-t-il à la Dernière Heure au moment d’esquisser son profil souvent insaisissable. Le problème, c’est que sa position en pleine liberté dans un Bruges qui roule à toute allure disparaît quand Philippe Clement décide d’abandonner progressivement l’héritage laissé par Ivan Leko pour disposer ses troupes dans un 4-3-3 plus classique, sur la route du doublé.
LE 4-3-3 ET LE 9
Principalement cantonné dans l’axe, le pouvoir du jeu brugeois passe alors entre les pieds des ailiers. À droite, Krepin Diatta facture 7,17 dribbles tentés par rencontre et boucle le premier tour de la saison 2020-2021 avec le statut de meilleur buteur du Club. Sur l’autre flanc, c’est le nouveau venu Noa Lang qui régale, s’élevant très vite au sommet de la hiérarchie nationale et tentant encore plus de dribbles que le Sénégalais (7,2). Au milieu, Vanaken et Vormer sont moins influents sur le jeu et le tableau d’affichage dans ce nouveau plan de jeu, mais pas moins incontournables pour autant.
Pour De Ketelaere, l’oxygène se trouve en pointe. Comme souvent quand un joueur est aligné au sommet d’un dispositif sans que ce soit son poste de prédilection, on se met à parler de faux 9. Pourtant, King Charles joue comme un vrai attaquant: il conserve dos au but, fait jouer ses ailiers, prend la profondeur et se révèle précieux pour couper la trajectoire des centres tendus venus de la droite, comme quand Ruud Vormer lui offre le but de la victoire en Champions League contre le Zenit. S’il dézone parfois, de préférence sur le côté gauche où il s’exporte naturellement, cela permet à Hans Vanaken de s’infiltrer pour faire parler son sens de la finition ou à Noa Lang de s’appuyer sur lui pour filer au but. Par sa faculté à se libérer et à faire jouer les autres dans le sens du jeu en pivotant rapidement, De Ketelaere s’épanouit dans un rôle de 9 relayeur. « Charles permet à ceux qui sont autour de lui de mieux fonctionner », résume Philippe Clement dans la foulée d’un succès 0-3 à Malines au bout de l’année 2020.
Si Bruges pourrait considérer que sa quête toujours inassouvie d’un numéro 9 semble s’être résolue en interne, le Club décide de frapper fort en s’offrant les services de Bas Dost au mois de janvier dernier. La suspension d’Hans Vanaken permet alors à CDK d’occuper le poste de milieu intérieur gauche que tous semblent lui prédestiner depuis ses débuts, mais le retour du double Soulier d’Or conjugué au départ de Krepin Diatta sur le Rocher monégasque écrivent une autre histoire: celle qui force Charles De Ketelaere à se transformer en ailier droit.
L’EXIL DANS LE COULOIR
En seize matches, jusqu’à son retour en pointe à la place de Bas Dost au bout des play-offs, le numéro 90 du Club ne sera décisif que trois fois. Philippe Clement l’utilise même dans le couloir gauche d’un 3-5-2 dégainé contre Anderlecht, estimant ainsi réaliser une expérience « intéressante pour l’avenir du football belge », quelques mois après en avoir déjà fait un arrière gauche de fortune pour affronter Dortmund sur la scène européenne. « Il a assez de qualités pour occuper différents postes », justifie le technicien du Club. « Le plus important est qu’il progresse techniquement et tactiquement. Il a toutes les qualités requises pour faire tout le flanc, mais il veut jouer dans l’axe et il faut tenir compte de sa volonté. »
« Je ne suis pas un ailier. Pendant mes meilleures périodes, je jouais dans l’axe », confirme le joueur à Het Laatste Nieuws en prélude à la nouvelle saison. « L’un de mes talents est que je trouve bien les espaces, mais sur le flanc, je me sens comme inhibé. » Dans un secteur du jeu où les différences se font plus avec les hanches qu’avec la tête, De Ketelaere ne brille que trop rarement, lui dont les dribbles (6,32 tentatives par match) n’aboutissent que moins d’une fois sur deux (46,5% de réussite). La ligne de touche, adversaire le plus coriace du monde parce qu’on ne s’en débarrasse jamais, semble être un obstacle de taille dans les déplacements souvent bien sentis d’un joueur qui paraît toujours épanoui sous le maillot de l’équipe nationale. Avec les Diablotins, Charles De Ketelaere est généralement utilisé dans l’un des deux postes derrière l’attaquant du 3-4-2-1 devenu marque de fabrique nationale. Un rôle qu’on définit souvent en deux mots anglais: pocket player. Et un costume qui semble taillé sur mesure pour les atouts du gaucher.
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