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Aline Zeler, nouvelle coach de Charleroi: « L’arrogance néerlandaise, c’est ça qu’on doit acquérir ! »

Aurelie Herman
Aurelie Herman Journaliste pour Sport/Foot Magazine

Entre deux rendez-vous professionnels, Aline Zeler prend le temps de discuter de la dernière mission que la Luxo vient d’accepter: coach des Zébrettes de Charleroi, un club aussi jeune qu’ambitieux. Entretien avec une hyperactive qui sait où elle va.

Attachée-sport au Cabinet de la ministre Valérie Glatigny, consultante télé et désormais coach du Sporting de Charleroi: sa mèche de cheveux a beau être savamment travaillée, Aline Zeler n’a pas peur de multiplier les casquettes. Désormais orpheline d’Audrey Demoustier, partie prendre la destinée des U17 nationales en mains, la corpo des coaches de Super League s’est trouvée une nouvelle représentante féminine en la personne de l’ancienne capitaine des Red Flames. Laquelle évoque « son » Charleroi, où elle a débarqué dans la foulée d’un retour avorté balle au pied sous le maillot de Genk. Le tout avant un avenir à la tête de la sélection belge? Elle-même se dit attirée par le défi. Mais avant d’endosser le costard de sélectionneuse, c’est dans le Pays Noir que se joue le nouveau chapitre de la vie d’Aline Zeler.

Une Carolo chez les Red Flames, ça serait magnifique !

Aline Zeler

Mehdi Bayat se montre très ambitieux pour la section féminine du Sporting, expliquant dans L’Echo vouloir atteindre le top belge d’ici deux-trois ans. Tu sens que le foot féminin y est vraiment pris au sérieux?

ALINE ZELER: Oui, mais j’ai déjà entendu tellement de choses dans ma carrière qu’un retournement de situation peut toujours arriver. Donc on verra bien où on en sera dans quatre-cinq ans. Un nouveau bâtiment va être aménagé pour l’équipe dames. Or, c’est important d’avoir son propre terrain. Les tenues sont nettoyées par le club: une première pour moi! Ça peut paraître anodin, mais ça a son importance quand on revient chez soi à 23 heures après une journée de boulot plus l’entraînement. Ça montre que la section féminine est vraiment intégrée à l’ensemble de la structure.

Dans ton livre, tu parles beaucoup d’inclusion, de faire jouer tout le monde. Mais n’est-ce pas paradoxal avec l’envie de top niveau de ton nouveau patron?

ZELER: Il faut se calmer l’un l’autre, en fait. Mehdi ne connaît pas forcément la Super League, c’est pour ça que je suis là, pour lui dire ce qu’on peut réaliser ou pas. Où mettre les moyens. Il est peut-être un peu impulsif, mais il est à l’écoute. On doit se relever d’une première saison au sein de l’élite ( toutes nouvelles en D1, les Hennuyères ont terminé avant-dernières des play-offs 2, ndlr). Pendant deux ans, il n’y aura pas de descente, l’idée la première année sera donc d’être un club qui offre du temps de jeu à la jeunesse, dans le sillage du Standard. Il y a peu de joueuses de 27-28 ans en Belgique. Soit elles ont arrêté, soit elles sont à Anderlecht pour disputer la Champions League. L’an prochain, j’aurai sans doute plus de temps pour réaliser des gros coups niveau transferts, car ici, je suis arrivée en avril, ce qui est court pour entamer des négociations. Il faut trouver l’équilibre entre des filles plus âgées et les jeunes, des joueuses étrangères et des filles du Pays de Charleroi, où on m’a réservé un super accueil. La saison qui arrive sera une année de transition et la troisième en Super League peut-être celle de la confirmation. Avec pourquoi pas un top 5, un top 3.

« Il faut dégager quelque chose »

Chez les messieurs, Edward Still vient d’être intronisé. C’est un coach considéré comme un geek des datas. Comment ça se passe à ce niveau-là chez les dames?

ZELER: On n’est pas encore aussi loin. Mon préparateur physique est ma principale source de datas. C’est quelqu’un qui a une grande expérience au niveau féminin, qui connaît les paramètres d’âge en âge. Et ce sont pour moi les plus importants. Je vais aussi être en contact avec le coach de la première équipe, voir comment il travaille. On peut se calquer sur ce qu’on peut apprendre chez les hommes, vu qu’on s’entraîne au même centre de formation. On va également beaucoup bosser avec de la vidéo, y compris sur base d’images du foot masculin. Je veux pousser les joueuses à regarder leur match avec l’analyste-vidéo.

Quel type de football veux-tu mettre en place?

ZELER: On partira sur un 4-3-3, avec des latérales qui n’ont pas peur de monter. Avec une construction propre à partir de la gardienne, pour jouer haut. Je veux un foot offensif, créatif, mais basé sur une structure bien organisée. Le foot, c’est simple et je n’aime pas compliquer les choses et embrouiller les filles. C’est impossible de dire qu’on va jouer à la néerlandaise, avec un pressing constant sur la porteuse du ballon. Je veux surtout diriger une équipe qui prend du plaisir à bien faire circuler la balle. Car ça, c’est une équipe qui a confiance en elle. C’ est un paramètre primordial. Surtout si on doit courir après le score. On parle parfois de l’arrogance néerlandaise, mais c’est ça qu’on doit acquérir! Pour dégager quelque chose. Eux, ils savent de quoi ils sont capables.

Penses-tu qu’il existe des différences entre coacher des joueurs ou des joueuses?

ZELER: Oui, bien sûr! Les femmes font du foot par passion, pas pour l’argent. Toi, tu te tapes des journées de travail, tu as passé dix heures dans ta voiture la semaine pour ne pas jouer une minute le samedi, alors que les garçons, qu’est-ce qu’ils s’en foutent, ils toucheront leur paye quoi qu’il arrive. C’est toute la différence qui peut exister entre le monde amateur et pro. Perso, je veux savoir ce qu’il se passe dans la vie de mes joueuses: si l’une d’entre elles a eu un souci familial, un tracas. Je veux savoir dans quel état d’esprit elles arrivent quand elles débarquent au club pour l’entraînement.

Tu as dit vouloir les faire sortir de leur zone de confort, ça signifie quoi concrètement?

ZELER: C’est dire à des joueuses qu’elles ont le choix entre rester tranquillement à Anderlecht ou au Standard, dans un même système de jeu, avec un même coach, une même infrastructure, et se lancer des challenges. Pour devenir meilleure, il faut se confronter à d’autres approches. On voit qu’Anderlecht a huit Red Flames dans son noyau, et ça aussi, c’est tomber dans la facilité. Il y a aussi Louvain qui fait énormément de transferts. Mais il y a des footeuses d’un super niveau qui ne vont pas jouer à un an d’un EURO. Qui sont à un âge où elles doivent se montrer.

« On veut amener de l’auto-discipline »

Tu as parlé d’instaurer des entraînements en journée, alors que les filles ne sont pas pros pour la plupart. Comment faire?

ZELER: La première année, certaines filles auront la possibilité de faire du fitness certains matins, sachant que les matches ont lieu les vendredis soir. Le week-end restera libre, car la plupart des joueuses sont étudiantes, il faut les laisser souffler. Si on fait ça, c’est aussi pour amener de l’auto-discipline. Moi-même je ne suis pas engagée à temps plein à Charleroi, je ne vais pas aller voir qui fait le boulot, mais je verrai bien à l’entraînement qui a été sérieuse ou pas ( Elle sourit). Mais ça fera aussi partie de mon rôle de pédagogue. Et ce sont des filles qui sortent de la puberté, une période où le corps change. Il leur faut du temps de jeu, ce qu’elles auront à Charleroi.

« Aline Zeler, le foot féminin de A à Z » Thierry Lefevre, Ed. Memory press© BELGAIMAGE-CHRISTOPHE KETELS

Tu as en effet recruté des joueuses très jeunes, des ados de seize et 17 ans qui jouaient à Anderlecht, notamment.

ZELER: Oui, je les connaissais des U16 nationales. Ce sont des filles motivées, qui ont faim. C’est peut-être l’avantage de l’après-corona. Elles vont arriver avec la rage à l’entraînement et de la motivation pour se remettre en forme. Mais il faut leur donner le temps de retrouver le bon geste. Et ça, c’est un truc que j’ai fait toue ma vie: encadrer.

Tu disposes d’un staff avec une physio, un T2, un analyste-vidéo, une diététicienne. C’est assez pro, finalement!

ZELER: Oui, mais c’est l’élite, hein! On ne peut pas avoir tout le monde de libre pendant la journée, mais d’ici deux-trois ans, l’objectif est de voir comment on peut travailler avec les universités, les statuts d’élite de l’ADEPS, afin de libérer les filles pour bosser en journée. L’idéal serait d’avoir une séance le matin et l’après-midi. Même chose au niveau de mon staff.

Est-ce cela qui peut attirer des Néerlandaises habituées au confort du PSV vers le projet carolo?

ZELER: C’est surtout au niveau de la distance que ce n’est pas évident de les convaincre, surtout pour les étudiantes, malgré les cours en ligne. Faire venir quelqu’un à Charleroi sans pouvoir lui assurer de s’entraîner en journée, ce n’est pas facile. C’est pour ça qu’elles ont l’opportunité de faire du fitness avec les hommes, car on veut mettre en place une collaboration avec les U19 et U21 masculins. Le PSV c’est vraiment le top, même celles qui ne jouent pas beaucoup ont un super niveau, ce qui constitue une belle opportunité pour nous. Je suis en contact avec des jeunes Néerlandaises qui cherchent du temps jeu et qui se disent que même si la compétition belge est un peu plus faible que la leur, elle peut leur permettre de bien évoluer.

Le fait que ça se professionnalise en Belgique aide-t-il à attirer ces joueuses?

ZELER: Oui, on a déjà élargi la compétition pour passer de six à dix équipes, en espérant peut-être pouvoir monter à douze voire quatorze d’ici quelques années. Le fait que les matches soient maintenant retransmis constitue un avantage. Les médias ont fait leur job, mais le premier travail doit venir des clubs. Tout ce qui est sponsor, investissement, il faut en faire encore plus pour faire évoluer ce sport qui est en plein élan. L’an prochain, c’est l’EURO féminin. Et si dans quelques années, on retrouve des joueuses passées par Charleroi au sein des Red Flames, c’est magnifique ( Sourire)!

« Certains lancent une section féminine, parce qu’il faut bien, mais sans y croire »

Les Pays-Bas t’ont visiblement marquée!

ZELER: Ce côté fier, ça matchait bien avec ma personnalité. Le fanatisme que j’ai pu vivre là-bas aussi. Il y avait des tribunes pleines, les gens étaient à fond derrière nous. Il faut s’inspirer de nos voisins. Le Luxembourg, c’est encore un peu trop petit, la France a aussi un bon panel de joueuses, même s’ils sont plus peuplés. Ici, on attend que la base de la pyramide s’élargisse à 80.000 joueuses d’ici 2024. En Norvège, ils sont à 120.000 alors qu’ils ne sont que 5,5 millions. C’est juste une question de mentalité. Quand une gamine veut jouer au foot là-bas, c’est tout à fait normal. Ici, certains lancent une section féminine, parce qu’il faut bien, mais sans y croire. En pensant comme ça on ne va pas très loin! Il faut y aller à fond!

Que t’ont apporté tes expériences en jeunes au PSV et à l’Union belge?

ZELER: Ça m’a tout simplement appris à savoir diriger des gens. Au PSV, j’avais un staff de dix personnes à manager. Tout ça en plus de gérer un groupe de dix-huit Espoirs qui ne gagnaient pas d’argent. C’était une mentalité basée sur le sport élite, les filles étaient logées dans un campus, venaient à l’entraînement en vélo. C’est vraiment une autre culture que j’apprécie. Je vois ici des filles qui vont demander 2.000 euros à seize ans. Je leur réponds qu’elles n’ont rien prouvé. Elles sont parfois entourées de soi-disant managers qui leur mettent en tête que c’est possible. Ils sont en train de casser des filles ou de les mener sur un mauvais chemin. Moi, j’ai gagné mes premières primes de match à 22 ans, quand je suis arrivée en D1. On est en Belgique… Tout ça, elles doivent encore l’apprendre.

En 2019, tu disais que tu verrais bien des coaches féminines chez les hommes d’ici deux-trois ans. Mais c’est toujours le calme plat à ce niveau-là… 4% de coaches détenteurs du diplôme sont des femmes en Belgique. Comment l’expliquer?

ZELER: Parce que toutes les femmes ne savent pas se libérer dans les plages horaires nécessaires pour obtenir les brevets. Elles ont des enfants, s’entraînent elles-mêmes. C’est pour ça que l’ACFF a lancé un brevet spécial pour les femmes. Après il y a les diplômes UEFA A et B, où c’est plus analytique. Mais il y a aussi la place qu’on a accordée aux femmes. Il fut un temps où elles ne pensaient même pas pouvoir monter sur un terrain, après ça a été entraîner, diriger. Elles ne savaient même pas qu’elles pouvaient le faire. Tout ça évolue, grâce notamment aux subsides FIFA et UEFA qui permettent aux internationales et ex-internationales de suivre des formations. Je vois bien Janice Cayman devenir coach, par exemple.

Aline Zeler, nouvelle coach de Charleroi:
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« Recentraliser la place de la femme dans toute la société »

Tu es très engagée dans la promotion du foot féminin. D’où vient cette implication?

ALINE ZELER: J’avais déjà un peu la fibre féministe en moi, pour gagner ce respect envers les femmes. J’ai commencé dans une province où j’étais la seule fille. On se prenait des remarques au bord du terrain. On rigolait aussi du physique des femmes qui étaient plus costaudes. Mais moi, je ne vais pas aller me moquer de joueurs de P3 qui ne savent pas faire une passe. Pourquoi critiquer une femme et pas un homme? Tout ça, ça m’a nourrie. Je viens aussi d’une famille où la femme était nécessaire pour le travail à la ferme. J’ai toujours tout fait comme un garçon. Je suis capable de tout. J’ai construit une maison, j’ai conduit des tracteurs, j’ai été magasinière. Je me dis juste que rien n’est impossible. C’est quelque chose qu’on dit encore trop souvent aux femmes: « Du foot? Allons… » Mais pourquoi?

Tu es complètement féministe en fait!

ZELER: Non, je ne suis pas allergique aux hommes. Non, je veux simplement recentraliser la place de la femme dans toute la société, à ma façon, dans les domaines dans lesquels je sais que j’ai des compétences. L’équilibre hommes-femmes doit simplement être respecté.

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