Alfred Schreuder, les sacrifices et la sueur
Débarqué dans la Venise du Nord avec l’étiquette d’un entraîneur obnubilé par la possession, le Néerlandais a joué les caméléons pour offrir à Bruges un troisième titre de rang. Récit d’une métamorphose.
La promesse est grandiloquente. Jamais, de mémoire statistique, on n’avait vu une équipe tenter 867 passes en l’espace de nonante minutes sur une pelouse de Pro League. Sur le synthétique du Stayen, transformé en exercice de possession grandeur nature, le Bruges d’Alfred Schreuder fait d’emblée décoller les compteurs. Ancien adjoint du Barça et de l’Ajax, forcément façonné par les idées de Johan Cruyff, le Batave dessine d’emblée les contours d’un Club construit autour du ballon. Lors du stage hivernal des doubles champions en titre, ses séances et la précision de ses idées séduisent rapidement un groupe ravi de briser la routine après deux années et demi sous les ordres du même coach.
Quatre mois et quinze matches de championnat plus tard, les Blauw en Zwart prennent la tête du championnat au prix d’un double succès face à l’Union. En cumulant les passes tentées en quatre jours lors des 180 minutes face aux Saint-Gillois, le compteur atteint à peine 625. 331 passes tentées au Parc Duden, et seulement 294 sur la pelouse du stade Jan Breydel. Pour retrouver la trace d’un match de championnat bouclé par les Brugeois sous la barre des 300 passes, il faut remonter au titre de 2018, avec un déplacement rongé par le stress à Sclessin, contre le Standard aérien de Ricardo Sa Pinto. Ce jour-là, les hommes d’Ivan Leko n’avaient tenté que 299 passes dans une atmosphère survoltée, perdant une bonne partie de leurs moyens face au spectre d’un titre qui menaçait de s’envoler après avoir longtemps semblé acquis.
Quatre ans plus tard, Alfred Schreuder s’est montré bien plus pragmatique que prévu. Sa course au titre ressemble à une histoire de sacrifices. De son onze initial, déployé dans le Limbourg, il a rapidement évincé ses compatriotes, pourtant copieusement remis sur le devant de la scène à son arrivée. Dans la foulée d’une défaite à Gand, la première de son mandat, Ruud Vormer et Bas Dost disparaissent de l’équipe-type. Le signe que Schreuder parvient à un constat semblable à celui dressé par Philippe Clement avant lui : quand le ballon n’est pas à leur proximité immédiate, les deux routiniers néerlandais disparaissent bien trop rapidement du plan collectif.
C’est le premier pas vers un nouveau Bruges aux contours brutalement opposés à celui du début de l’année. Après la défaite face aux Buffalos, le Club ne franchira plus que deux fois la barre des 600 passes, contre un faible Seraing et un Beerschot résigné, tous deux montés sur la pelouse en victimes consentantes. Par contre, les performances s’enchaînent : les coéquipiers d’un Simon Mignolet qui monte en puissance ne concèdent que dix tirs cadrés lors des six derniers matches de la phase classique, et applaudissent la forme exponentielle de Mats Rits. Homme à tout faire, d’allées et venues sur le flanc droit à infiltrations entre les lignes, le milieu tout-terrain facture cinq buts et quatre passes décisives sur les neuf derniers matches avant les play-offs. Historiquement penché sur sa gauche depuis l’essor d’Hans Vanaken, acquis renforcés par l’histoire d’amour entre Noa Lang et le flanc qui lui permet de rentrer vers son bon pied, Bruges s’adapte alors à ses nouvelles forces et se tourne vers sa droite. La zone de prédilection de Rits, mais aussi celle d’un Andreas Skov Olsen qui s’assoit très vite au sommet de la hiérarchie des game changers de l’élite.
Schreuder, lui, s’adapte. Sans doute parce qu’une arrivée en cours de saison ne laisse pas de temps pour faire autre chose. Sans une longue préparation pour faire infuser avec précision ses principes de jeu, le coach batave laisse le pouvoir à ses individualités les plus brillantes et organise le reste de son équipe pour éviter le déséquilibre. C’est ainsi qu’en perdant Rits sur blessure face à Anderlecht, il décide d’aborder la double confrontation capitale face à l’Union avec un double pivot formé par Denis Odoi et Eder Balanta devant sa défense à trois. Disputé à domicile, au pied de tribunes survolées, le deuxième duel entre les deux candidats au titre est bouclé avec 46% de possession de balle brugeoise, mais un succès bleu et noir. Homme fort des premiers mois de l’année, Skov Olsen doit se contenter d’un rôle de joker pour faire une place à Eduard Sobol, garant d’une meilleure assise défensive. Les principes initiaux sont au vestiaire, signe d’un coach qui a su admettre que ses idées ne seraient pas assez puissantes pour atteindre les objectifs du club, et s’est donc rangé derrière les valeurs de la maison. Les play-offs brugeois ont débuté par quatre clean-sheets et des points gagnés au forceps. De la sueur pour obtenir la gloire. No Sweat, No Glory.
Les gouttes ont-elles également perlé du front d’Alfred Schreuder dans ce sprint final ? Difficile de lire les émotions d’un coach souvent impassible, passé d’une entrée en scène spectaculaire à un rôle de plus en plus discret, dans l’ombre de ses joueurs-clés. Le Néerlandais ne restera peut-être pas dans les mémoires belges, mais s’est incontestablement offert une place dans l’histoire. Le voilà prêt à franchir la frontière pour s’installer sur le banc le plus prestigieux des Pays-Bas. La mission sera bien différente, le jeu risque de l’être aussi. Schreuder était venu à Bruges pour gagner, et le classement final retiendra qu’il a réussi.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici