Transferts gratuits, mais agents à l’affût: comment se déroule un mercato féminin
Alors que, malgré la crise, les transferts retentissants s’enchaînent chez les messieurs, focus sur le processus de recrutement qui sévit chez les femmes.
À chaque semestre, c’est la même rengaine : on déguste tous les jours les rumeurs plus ou moins fiables distillées par la presse plus ou moins sérieuse durant le mercato. Avec parfois des moments de franche rigolade, à l’annonce de l’officialisation des millions déboursés par un club anglais de milieu de classement pour un buteur sud-américain un peu hype. En Belgique aussi, les intrigues de cour des agents pimentent ces mois d’été et de janvier. Mais concrètement, comment les choses se déroulent-elles dans nos clubs féminins, à l’heure où les instances du foot noir-jaune-rouge semblent enfin mesurer l’importance du développement des équipes dames à tous les échelons ?
Faute de moyens mirobolants, c’est surtout sur le marché belge que les clubs de l’élite prospectent. « On n’a pas un scout qui s’occupe exclusivement d’aller voir des matches, donc on se base sur les matches de Superleague et de D1 auxquels le staff et moi assistons chaque semaine », indique Patrick Wachel, l’entraîneur des RSCA Women. « Jusqu’à cette saison, le fait de jouer quatre fois contre la même équipe nous facilitait la tâche. » Même topo à Genk, où « on demande aux coaches d’avoir un oeil sur ce qui se passe dans leur propre division, ainsi que sur les jeunes, sur lesquelles on mise beaucoup », ajoute Jacqueline Mahieux, la présidente des joueuses du Racing. Du côté de Charleroi, qui part d’une page blanche, le Covid-19 a contrarié les plans de Delphine Préaux, la coordinatrice technique du Sporting, qui fait également partie du noyau. « On a démarré le projet en mars, quand tout était à l’arrêt, sans matches à regarder », rembobine-t-elle. « Grâce à mon réseau personnel, j’ai pu contacter 300 joueuses, mais certaines avaient déjà un club. D’autres peuvent se montrer réticentes, car malgré le nom « Sporting », cela reste l’inconnu. »
Des joueuses vont sans doute devoir se trouver un petit boulot, car ce n’est pas possible de vivre avec ce qu’on propose comme rémunération.
Dominique Reyns, présidente des Gent Ladies
Mais il arrive que les clubs traversent les frontières, pour aller en France, dans les Balkans, en Europe de l’Est, mais aussi en Allemagne et surtout aux Pays-Bas, pour tenter d’enrichir leur noyau. Le principal obstacle est alors de concurrencer des entités parfois bien plus avancées en termes de professionnalisme. « On a recruté cinq Néerlandaises », précise Dominique Reyns, la patronne des Gent Ladies, principales outsiders avec le Standard dans une Superleague où le triple champion en titre Anderlecht fait figure de grand favori. « Parmi elles, on compte trois étudiantes, mais les deux autres vont sans doute devoir se trouver un petit boulot, car soyons honnêtes, ce n’est pas possible de vivre avec ce qu’on propose comme rémunération. »
Bye-bye gratis
« La grande différence avec les hommes, c’est qu’il n’y a aucune indemnité de transfert ou de formation », regrette également cette dernière. « C’est quelque chose sur laquelle les autorités doivent se pencher, surtout si on souhaite que le foot féminin se professionnalise. » Une situation qui pique d’autant plus que, comme le KRC Genk, le club gantois met l’accent sur la formation. Un choix qui « prend du temps et de l’argent ». « Voir partir nos joueuses sans rien retour, ça fait mal », dit la boss gantoise. On pense notamment aux Red Flames Kassie Missipo et Marie Minnaert, qui ont fait leurs bagages cet été, direction Anderlecht pour la première, et le Club YLA (Bruges) pour la seconde. Et pour zéro euro, donc…
Le va-et-vient est d’autant plus intense que faute de statut professionnel ou d’avantages vraiment intéressants dans le cas des pros et semi-pros, la quasi totalité des joueuses ne s’engagent que pour un an. Résultat, dès le mois d’avril, celles-ci sont libres de partir où elles le désirent. L’idéal serait donc de renforcer la professionnalisation des footeuses, afin de pouvoir allonger la durée de leur contrat (ce qui commence tout doucement à arriver, nous dit-on), et donc, à terme, débloquer des sommes de transferts, voire des indemnités de formation, qui pourraient être réinjectées dans la structure de la section féminine. Problème, comment offrir des conditions salariales décentes qui donnent envie de rester, alors que les clubs féminins manquent toujours cruellement de moyens, et sont privés d’argent en cas de départ de leurs meilleurs éléments ?
Les agents rôdent
Ces renégociations individuelles avec chaque joueuse du noyau, saison après saison, se font aujourd’hui avec des acteurs incontournables depuis bien longtemps chez les messieurs : les agents. Aujourd’hui, presque toutes les joueuses font appel à l’un d’eux, nous explique-t-on, ajoutant que cette tendance est particulièrement frappante cette année. « Ce n’est pas toujours facile. Avant, en une demi-heure, les discussions étaient réglées. Ça se faisait avec les papas ou les compagnons. Maintenant, ce sont des personnes extérieures au cercle familial », se souvient un dirigeant de club. Mais comment sont-ils rémunérés, sachant que leurs clientes sont (très) loin de toucher les émoluments engrangés par leurs confrères ? Certains clubs offrent des commissions (« dont les montants n’ont aucun rapport avec ceux que l’on peut voir dans le foot masculin », nous précise-t-on toutefois). « Ces commissions sont avalisées après examen méticuleux par le service juridique du club des factures fournies par lesdits agents », affirme-t-on également depuis un club. À cela, il faut ajouter les arrangements que les joueuses ont conclu avec leur manager.
Il y a quelques années, ce genre de démarchage était rarissime. Mais maintenant, c’est toutes les semaines.
Un dirigeant de club de Superleague
Mais il n’y a pas que les Belges qui profitent de leurs services. Cette année, plusieurs clubs indiquent que jamais ils n’avaient été autant sollicités par des agents étrangers (des États-Unis, du Portugal, voire du Congo, entre autres), qui tentent de placer certaines membres de leur écurie au sein de l’élite du Royaume. Leurs propositions s’accompagnent inévitablement d’une compil’ d’exploits de leur joueuse. Mais il est difficile d’étayer ce best-of, tant les vidéos sont « compliquées à obtenir, contrairement aux hommes, où il y a des possibilités d’avoir énormément d’images », apprend-on. « Il y a quelques années, ce genre de démarchage était rarissime. Mais maintenant, c’est toutes les semaines. »
Même si ce n’est pas encore très rémunérateur, certains agents placent donc déjà leurs pions au niveau féminin, histoire de ne pas rater le train en marche. Une habitude qui tend à prouver que oui, les choses bougent. Pour le meilleur, uniquement ?
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