Portrait: Denzel Dumfries, le bon piston de Frank de Boer
Avec deux buts contre l’Ukraine et l’Autriche, le latéral droit d’origine arubaise s’est mué en avocat du système de jeu de Frank de Boer, alors que le 5-3-2 ne fait toujours pas l’unanimité aux Pays-Bas
Le 4-3-3 est inscrit dans l’ADN du football néerlandais. C’est dans ce système tactique que le football total prôné par le légendaire coach Rinus Michel a forgé sa légende. Grâce à lui, les Oranje ont régalé les amateurs de beau jeu lors de la Coupe du monde 1974. Sublimé par le talent de Johan Cruyff, le dispositif n’a pourtant pas permis aux Néerlandais de soulever le plus beau des trophées. Après l’échec à la qualification pour le Mondial mexicain, la Fédération néerlandaise demande à Rinus Michel, devenu directeur technique, de reprendre du service sur le banc en vue de l’Euro 88. Le technicien trouve en Marco Van Basten le nouveau Cruyff qui va envoyer les Oranje au paradis grâce à une volée inoubliable contre l’URSS. Pourtant, pour emmener nos voisins du nord sur le toit de l’Europe, Rinus Michel avait délaissé son 4-3-3 au profit du 4-4-2.
Frank de Boer comme Louis Van Gaal
Mais le mythe est tellement ancré dans l’imaginaire collectif néerlandais qu’il revient au devant de la scène avec la nomination de Frank de Boer comme sélectionneur national. Alors que Ronald Koeman était revenu au 4-3-3 pour redonner des couleurs à des oranges bien ternes depuis leur absence à la Coupe du monde en Russie, l’ancien défenseur de l’Ajax et du Barça effectue une révolution pour instaurer son 5-3-2 qui n’a pourtant pas récolté beaucoup de succès lors de ses passages infructueux à l’Inter Milan, à Crystal Palace ou même à Atlanta United.
Pour faire changer d’avis le têtu de Boer avant le début de l’Euro, les supporters n’hésitent pas à employer un avion tirant une banderole demandant le retour au 4-3-3. Mais rien n’y fait et après deux matches, les Pays-Bas sont qualifiés pour les huitièmes après deux victoires relativement convaincantes, malgré quelques faiblesses. Le système de jeu tant critiqué a trouvé en Denzel Dumfries l’un de ses meilleurs avocats puisque le flanc droit du PSV Eindhoven a été décisif à deux reprises.
Dirk Kuyt, le modèle
Le 5-3-2 devrait pourtant rappeler de bons souvenirs aux supporters bataves puisqu’il avait été mis en place par Louis Van Gaal (coach de de Boer lors de la conquête de la C1 par l’Ajax en 1995) à l’occasion de la Coupe du monde 2014 au Brésil, avec, à la clé, une demi-finale et une victoire mémorable contre le champion en titre espagnol (5-1) lors de la phase de poules. A l’époque, c’était Dirk Kuyt qui faisait office de piston sur le côté droit. Un homme qui constitue une référence pour Denzel Dumfries. « Je prenais du plaisir à le voir jouer, en raison du travail qu’il abattait, et pour sa manière d’aborder les matches », confiait le natif de Rotterdam sur le site de l’UEFA.
La ville portuaire est d’ailleurs un autre point commun que Dumfries partage avec l’homme aux 104 sélections sous la liquette oranje, même si le parcours dans leurs clubs est bien différent . Kuyt a en effet évolué pendant cinq saisons au sein de l’équipe la plus prestigieuse de Rotterdam, Feyenoord, avec laquelle il a remporté une Coupe (2016) et un Championnat (2017), le brassard de capitaine autour du biceps avant de ranger ses crampons sur ce dernier exploit.
Le parcours de Denzel Dumfries ressemble plus à celui des joueurs de Chelsea Ngolo Kanté et Edouard Mendy qui ont d’abord dû rouler leur bosse dans les divisions inférieures avant d’atteindre le haut niveau et de gagner les plus prestigieux trophées.
Deux sélections avec Aruba
Lorsque Dirk Kuyt atteint le dernier carré mondial en 2014, le jeune Denzel n’a que 18 ans et évolue au sein d’un modeste club amateur de Rotterdam, le BVV Barendrecht. Le défenseur est encore bien loin d’être un prétendant à la tunique orange, même s’il en caresse le rêve dans un coin de sa tête. Originaire d’Aruba, petite île des Antilles néerlandaises située au large du Venezuela, il porte les couleurs de la sélection locale à deux reprises et marque même une fois lors de cette double confrontation amicale face à Guam, un territoire insulaire américain de Micronésie situé dans l’océan Pacifique… On est bien loin de l’effervence que peut provoquer un championnat d’Europe, même dans des stades contraints de réduire leurs assistances. « Dès mon plus jeune âge, je savais que je deviendrais footballeur professionnel. « , avoue le joueur. Et le rêve va rapidement devenir réalité pour cet amateur ambitieux.
Talent de l’année en Division 2
Il profite de l’été 2014 pour rejoindre le Sparta Rotterdam, qui vit dans l’ombre du grand Feyenoord en deuxième division. Une première saison pas vraiment couronnée de succès puisqu’il n’effectue que 3 montées au jeu, alors que sa formation ne termine qu’à une décevante huitième place.
Ce résultat décevant pousse sans doute le club conseillé par le légendaire Leo Beenhakker à revoir sa stratégie. Alex Pastoor, un entraineur qui a connu la Belgique comme joueur (Harelbeke), possède à ses côtés un assistant de renom, Michael Reiziger. L’homme a connu les plus grands clubs: de l’Ajax à Milan, en passant par le Barça pour finir son parcours au PSV. Il compte aussi 72 sélections en équipe nationale, une participation à la Coupe du Monde et trois à l’Euro. Avec son prestigieux passé d’arrière droit, Reiziger est sans doute le mentor idéal pour Denzel Dumfries. Ce dernier devient titulaire indiscutable dans une équipe possédant aussi dans ses rangs Loris Brogno, le fils de Dante. Le Sparta décroche un retour parmi l’élite néerlandaise à la fin de la saison tandis que joueur originaire d’Aruba, est récompensé du titre de « talent de l’année », grâce à ses 30 rencontres disputées avec un but à la clé.
Dumfries termine la saison suivante avec la même feuille de statistiques, tout en évoluant à un rythme et une intensité plus élevés. Le Sparta parvient à se maintenir parmi l’élite et les prestations de l’arrière droit tapent, non seulement dans l’oeil du sélectionneur des U20 néerlandais qui l’appelle à quelques reprises, mais surtout dans celui des recruteurs de formations plus huppées d’Eredivisie. C’est finalement Heerenveen qui s’attache ses services le 25 juillet 2017 pour un montant inférieur au million d’euros.
Une saison qui frise la perfection
Dans l’équipe de la Frise où un certain Michel Vlap est le maestro en chef, le nouveau venu de Rotterdam ne tarde pas à convaincre son entraineur Jurgen Streppel de lui confier les clés du couloir droit de son 4-3-3. Dans un rôle un peu moins offensif que dans celui qu’il occupe aujourd’hui dans la sélection oranje, l’ancien du Sparta trouve le chemin des filets à quatre reprises lors de ses 35 titularisations. Diablement efficace à la construction, il délivre aussi 7 passes décisives. Des statisques qui frisent la perfection et qui vont écourter son séjour à Heerenveen. Le PSV Eindhoven, séduit par son profil percutant, sort le chéquier et débourse 5,5 millions d’euros pour l’attirer dans le Brabant-Septentrional.
Mark Van Bommel en fait rapidement un incontournable de son 4-3-3 et la nouvelle recrue continue d’arpenter le flanc droit en n’oubliant pas de faire trembler les filets. Quatre buts lors du premier exercice, sept pour le second. Des chiffres fous pour un joueur « défensif »! Cette saison, son rendement dans le onze de Roger Schmidt fut moins important avec seulement trois réalisations. Mais depuis son arrivée au Philips stadium, l’homme originaire d’Aruba a aussi délivré 15 assists…Un domaine où il rivalise avec des joueurs tels Donyell Mahlen, Philipp Max ou… Mario Götze, héros allemand du mondial 2014.
Le jeu néerlandais penche désormais à droite
Dans le système de Frank de Boer, Dumfries peut exploiter les larges espaces laissés par les défenses adverses pour apporter constamment le surnombre aux abords des 16 mètres. Le jeu néerlandais penche désormais clairement à droite avec les courses incessantes du dragster qui est présent aussi bien à la dernière passe qu’à la finition. S’il était habitué à marquer régulièrement en club, il a du attendre sa 20e cape avec la sélection nationale pour trouver la faille. Et avec son but contre l’Autriche, le jeune Denzel a déjà dépassé le score de l’idole Kuyt en championnat d’Europe. Peut-être qu’aujourd’hui, un autre petit Néerlandais le regarde derrière son petit écran en caressant le même rêve d’arpenter un jour le flanc droit oranje .
Un palmarès à garnir en club
Le PSV semble résigné à se séparer de sa pépite dès cet été. Pour l’instant, le montant demandé est de 15 millions d’euros mais celui-ci pourrait s’envoler après l’Euro . Le Bayern Munich, où Joshua Kimmich est dorénavant vu comme un milieu de terrain et où l’ancien marseillais Bouna Sarr peine à convaincre, pourrait être l’un des points de chute de Denzel Dumfries. A l’exception du titre de champion de D2 acquis avec le Sparta Rotterdam, le palmarès du joueur est encore bien maigre. Le Rekordmeister pourrait combler ce manque et l’aider à atteindre les même sommets européens que Kanté et Mendy, ces autres joueurs qui, comme lui, ont du attendre quelque peu avant d’être considérés comme de très grands joueurs. Et avec un Mino Raiola pour gérer ses intérêts, les négociations s’annoncent déjà ardues pour les candidats acquéreurs.