La métamorphose tactique de Christophe Galtier: le Marseillais qui doit mener Paris aux sommets européens
Alors qu’il venait de quitter Saint-Etienne, le club de son coeur, Christophe Galtier s’est remis en question pour proposer un football plus moderne et efficace. Et tant à Lille qu’à l’OGC Nice, les résultats ont suivi. Retour sur cette évolution tactique alors que le minot… marseillais va devenir le premier Français à endosser le costume d’entraîneur principal du club de la Ville Lumière depuis 2016.
« Les gars, j’ai la sensation qu’on s’est un peu emmerdés, non ? » Et ils m’ont répondu : « Oui, coach, on s’est emmerdés… » Cet échange est celui que Christophe Galtier affirme avoir eu avec ses anciens joueurs de Saint-Etienne quelques semaines après avoir quitté le Chaudron vert. Une soirée d’hiver européen avec un succès sans saveur contre les modestes azéris de Qabala fait comprendre beaucoup de choses à celui qui pilote les Stéphanois depuis presque cinq ans. Et si le plaisir n’y était plus ? Et s’il faisait fausse route ? Ce genre d’introspection reste assez rare dans le milieu du football où nombre d’entraîneurs restent accrochés à leurs principes et à leurs idées, malgré quelques évolutions. « Cette soirée européenne contre Qabala a été un déclic. J’avais décidé de voir la rencontre dans des conditions différentes plutôt qu’en tribunes après avoir pris conseil auprès d’Arsène Wenger. Là, je me suis dit : « Si je suis supporter de Saint-Étienne, je suis content parce qu’on a gagné 1-0, mais sinon… », expliquait-t-il la saison passé à So Foot alors qu’il était encore entraîneur de Lille. Des Nordistes qu’il emmènera sur le toît de la France à la surprise générale
Pourtant en cinq ans à Saint-Etienne, il avait remporté 154 matches, perdu 107 fois et obtenu 100 partages. Des résultats qui avaient permis aux Verts de se stabiliser dans la colonne de gauche de Ligue 1 et même de remporter un titre, à savoir une Coupe de la Ligue en 2013. A l’époque le dernier titre du prestigieux club qui avait emballé la France dans les années 70 remontait au titre de champion de 1981. On ne mettra pas dans la même catégorie celui de vainqueur de la Ligue 2 en 2004. Quand on voit les résultats actuels de l’ASSE et ceux des dernières années en général, l’on se rend compte du vide qu’a pu y laisser Christophe Galtier.
Le minot de Marseille qui aimait bourlinguer
Formé à l’OM, il y effectue ses débuts chez les professionnels juste avant que Bernard Tapie ne débarque sur la Canebière pour en faire le géant européen qui soulèvera la Coupe aux grandes oreilles en 1993. C’est à Lille, déjà, que Galtier trouve refuge pendant trois ans avant de mettre cap sur le sud-ouest à Toulouse puis de passer par Angers et Nîmes avant de revenir dans la cité phocéenne en 1995. Le scandale OM-VA a mis à terre le club phare du football hexagonal qui est relégué administrativement en D2. Gerard Gili , qui a notamment fait venir l’Anderlechtois Michel De Wolf pour remonter le club parmi l’élite, rappelle quelques anciens minots parmi lesquels Christophe Galtier. L’OM réussit sa mission, mais le défenseur, lui, met le cap sur l’Italie et Monza. Loin d’être une Formule 1, même en Serie B, Galtier n’y joue pas assez et s’offre une dernière expérience exotique dans une Chine qui était encore loin d’attirer les grands noms du football mondial comme à une époque récente où les yuans ruisselaient à flots sur le marché des transferts. Il se souvient de cette expérience. « Après 17 heures de voyage, j’ai rejoint l’équipe en stage. Les structures sont plus que limites. L’entraîneur m’ausculte en me tâtant partout. J’appelle ma femmepour lui dire que je rentre. Je suis finalement resté neuf mois et je me suis régalé dans cette petite ville de trois millions d’habitants, Jinzhou, qui grouille 24 heures sur 24. J’ai une capacité d’adaptation supérieure à la moyenne. J’ai quand même eu du mal avec la nourriture : j’ai perdu sept kilos. » , expliquait-il en 2002 dans le JDD.
Après ce court chapitre chinois, le Marseillais range les crampons à la fin du XXe siècle, à seulement 32 ans.
Bernard Casoni, une ancienne légende de l’OM lui propose de devenir son assitant au stade Vélodrome. Il y restera jusqu’en avril 2001 ,assurant même un petit interim l’année précédente, mais c’est finalement la Grèce qui lui offre sa première expérience dans le rôle de T1 du côté de l’Aris Salonique.
Certes, elle ne fut pas plus longue qu’un semestre mais comme le souligne le principal intéressé, » toute expérience mérite d’être vécue » . Les résultats ne sont pas au rendez-vous et des problèmes financiers minent le club. » En Grèce, j’ai appris le mot grec « avrio » qui signifie demain.Demain, on te donne ton salaire. J’ai attendu six mois. Et je n’ai presque rien touché quand j’ai été viré ! » , se rappelle l’entraîneur de Nice, toujours dans le JDD.
Une rencontre avec Alain Perrin qui va tout changer
Après cette expérience, Galtier retourne en France pour une expérience insulaire en Corse, à Bastia, où l’attend Gérard Gili qu’il avait connu lorsqu’il était joueur à l’OM. Mais c’est surtout Alain Perrin, un autre entraîneur passé du côté du satde Vélodrome qui va façonner Galtier en le prenant dans son staff pour diverses expériences.
En cinq ans, il découvre les Emirats arabes unis à Al Ain, l’Angleterre à Portsmouth avant de revenir dans l’Hexagone à Sochaux où les résultats de Perrin convainquent un grand nom du football français, Lyon, de lui confier les clés du camion lors de l’été 2007. Les Gones dominent la Ligue 1 sans partage mais peinent à convaincre sur la scène européenne. Perrin échouera dans cette mission, mais réussira le premier doublé championnat-coupe du club cher à Jean-Michel Aulas. Malgré ces résultats satisfaisants, des tensions entre Perrin et son groupe mettront fin à son contrat après seulement une saison. Le duo débarque alors dans le Forez, chez l’ennemi héréditaire de Lyon seulement quelques mois plus tard. Un mandat qui commence médiocrement avec des défaites contre Lille et Nice, les deux prochaines destinations (mais il ne le sait pas encore) de Christophe Galtier. Saint Etienne lutte pour éviter la relégation toute la saison et lors de l’exercice suivant, au mois de décembre, le board décide de rompre le contrat de Perrin et offre sa chance à Galtier dans le rôle de coach principal. Fidèle, ce dernier hésite à accepter la proposition, mais Alain Perrin pousse son ancien bras droit à saisir cette chance de s’affirmer dans un rôle plus ambiteux.
Malgré les succès, le Saint-Etienne de Galtier ne séduit pas les observateurs qui comme lui s’ennuient chaque fois qu’ils doivent regarder une rencontre de l’équipe. Après sa remise en question, le Marseillais décide de revoir ses fondamentaux. « Après Saint-Etienne, j’ai refait le plein et j’ai voulu revenir à un football plus moderne. Un football de transition, rythmé, offensif, dense, intense… « . C’est à Lille, le second club de sa carrière professionnelle comme joueur, qu’il va tester ses nouvelles idées. Il débarque au stade Pierre Mauroy après le règne trop court d’El Loco Marcelo Bielsa qui n’a pas réussi à imposer son style dans le championnat hexagonal. C’est donc un technicien plus au fait des pratiques de la Ligue 1 qui est donc choisi pour redresser un LOSC porté disparu du haut du tableau.
Un bloc compact et pas trop bas
Il y impose son 4-4-2 et met en place une équipe extrêmement bien organisée quand elle n’est pas en possession du ballon. Le système a été très bien assimilé par ses joueurs et les adversaires peinent à trouver des espaces contre les Dogues. Les trois lignes sont proches l’une de l’autre, ce qui permet de former un bloc solide, les couvertures à la ligne de pressing sont donc par conséquent bien bien assurées. Galtier met aussi l’accent sur les appuis des défenseurs. Son équipe presse et harcèle son adversaire en permanence. Le bloc n’est jamais bas par choix délibéré et la ligne défensive rarement beaucoup plus bas que le début du rond central. Le principal problème qu’a en revanche créé ce ce positionnement est une perte de qualité dans l’animation offensive. Plutôt bonne dans la construction lors du début de saison dernière, les Lillois ont commencé à être surtout efficaces sur des attaques directes et dans la profondeur. Mais dans l’ensemble, Christophe Galtier a surtout réussi à établir des certitudes sur lesquelles ses joueurs pouvaient s’appuyer à tout moment du match. Et c’est sans doute ce qui a permis au LOSC de tenir sur la durée et d’aller chercher ce titre de champion inattendu. Les Lillois ont aussi su s’adapter quand il le fallait sans renoncer pour autant à leurs principes de base.
Lors de la victoire à Paris, le T1 nordiste avait décalé Renato Sanches, habituellement axial sur le côté droit. Il avait aussi disposé le défenseur central Tiago Djalo au poste de latéral droit. Mais ce choix s’expliquait plus par l’absence du titulaire habituel Zeki Celik et de son remplaçant Jérémy Pied. L’intention de Galtier était en tout cas de donner le moins de profondeur et d’espaces à un Paris qui en raffole. « Le LOSC, c’est un gros collectif, un gros bloc, et quand on est tous concentrés et qu’on se bat les uns pour les autres, on est impassable. » , avait d’ailleurs estimé Benjamin André ce soir là. Lille avait mis le PSG en face de ses problèmes, tout en parvenant à exploiter ses faille à la récupération du cuir. « On sait quand on arrive au Parc des Princes qu’on va beaucoup courir », rappelait aussi André. « Mais l’avantage, c’est que quand tu as récupéré le ballon, ils n’ont pas le repli défensif que d’autres ont… « . Jonathan David, l’unique buteur de ce duel qui a changé le cours de la saison peut en témoigner avec l’unique but de la rencontre.
La même clarté à Nice, la diversité offensive en plus
Fort de ce titre de champion de France et d’un projet de jeu qui a enthousiasmé les joueurs qu’il a eu sous sa coupe, Christophe Galtier croule désormais sous les propositions alors qu’il sent bien qu’il a tiré tout le potentiel qu’il avait à sa disposition dans le Nord de la France. C’est finalement à l’ambitieux OGC Nice, dans un sud-est de la France qu’il connaît forcément bien, qu’il donne sa préférence à l’été 2021. La présence de son partenaire de padel et directeur du football chez les Aiglons ,Julien Fournier , a forcément dû peser dans la balance. Le coach est désormais devenu hype sur le marché des entraîneurs et il a forcément aussi compris ce que pouvait lui apporter Ineos, l’ambitieux sponsor du Gym, qui a notamment déjà fait ses preuves dans le cyclisme avec une équipe comprenant des coureurs stars comme Egan Bernal, Geraint Thomas, Adam Yates ou Filippo Ganna. Galtier n’aime pas la transition sauf sur un terrain de football. Il n’a pas de temps à perdre et sait qu’il disposera des fonds nécessaires pour renforcer son noyau en fonction des besoins de son modèle de jeu spécifique.
C’est à dire une animation en 4-4-2 qui a fait ses preuves du côté du stade Pierre Mauroy. Hicham Boudaoui expliquait d’ailleurs au début du mois d’août les changements apportés par le nouveau patron du banc niçois. « Les entraînements sont très différents. On travaille beaucoup le pressing, les retours, la manière de coulisser… Il y a énormément de tactique, le coach demande beaucoup d’agressivité et d’intensité. » Il n’en reste pas moins qu’ils n’étaient pas beaucoup à penser que la sauce prendrait aussi rapidement sur les bords de la Côte d’Azur. « Avant le match, il explique précisément à chaque joueur ce qu’il doit faire comme travail défensif, offensif, les coups de pied arrêtés. C’est un briefing par paires : les deux défenseurs centraux, les latéraux avec les ailiers, les deux milieux, les deux attaquants. On a les idées claires et quand on entre sur le terrain, on a la grinta. », explique Amine Gouiri, l’un des éléments offensifs cruciaux de cet OGC version Galtier puisqu’il a déjà marqué 10 buts cette saison et délivré 7 passes décisives. La clarté, un élément important souvent souligné les anciennes ouailles de l’entraîneur originaire de Marseille. C’est pour cette raison que ses demandes sont souvent bien interprétées, et rapidement de surcroît.
Dans les phases défensives, le système niçois est tenu par un carré axial souvent impénétrable. Le même principe qui avait permis au LOSC de terminer meilleure défense de l’exercice écoulé. Les Aiglons peuvent compter à ce niveau sur deux paires centrales efficaces, la première en défense avec Jean-Clair Todibo et Dante, la seconde animée par Mario Lemina et Pablo Rosario ou même parfois Morgan Schneiderlin dans l’entrejeu. Mais les mérites de ce quatuor seraient évidemment moins grands sans l’efficacité du bloc équipe très compact, une autre des demandes précises du T1 niçois. Il faut défendre en avançant et la première ligne doit maintenir la pression en permanence avec pour objectif de contrôler la profondeur et de couvrir les différents espaces sur le terrain.
Mais l’équipe ne se contente pas de récupérer le cuir le plus haut possible sur le terrain pour se projeter ensuite rapidement vers le but adverse. Contrairement à la fin de l’expérience lilloise où les Dogues avaient fini par surtout se montrer efficaces dans des reconversions directes, Nice varie ses offensives avec des déviations et une dose de finesse technique, ce qui lui permet aussi de changer plus rapidement de rythme.
L’échec du stade de France où l’OGC Nice était en quête de son premier titre depuis un quart de siècle ?
L’équipe est costaude, à l’image de son capitaine Dante, l’ancien défenseur de Charleroi et du Standard, toujours performant malgré ses 38 ans. Installés sur le podium de la Ligue 1, les Aiglons ont cependant du mal à digérer les exploits forgés en Coupe en milieu de semaine. Après avoir sorti tour à tour les deux premiers du classement, le PSG et Marseille, pour s’offrir le dernier carré, leGym est resté sur deux défaites décevantes en championnat contre Clermont et à Lyon.
Les Niçois accusent alors cinq unités de retard sur les Phocéens, deuxièmes de Ligue 1 et deux sur le duo Rennes et Monaco. Ils ne parviendront jamais à refaire leur retard et ne décrocheront pas leur billet pour la piste aux étoiles, la Ligue des Champions. Une déception pour le board azuréen qui attendait mieux en embrigadant le technicien qui avait mené Lille au titre suprême, avec moins de moyens à sa disposition.
Cet échec aurait pu être atténué par un premier trophée attendu depuis 25 ans et symbolisé par une victoire en Coupe de France. Une finale des oiseaux entre Aiglons et Canaris qui devait sourire aux premiers sur le papier. Les Nantais avaient pourtant été battus à deux reprises en Ligue 1 par Nice, mais la vérité d’une finale de Coupe de France s’est, comme souvent, avéré toute autre. Ludovic Blas, sur pénalty, offrait la victoire à la Maison Jaune, au grand dam de Niçois qui se voyaient déjà soulever le trophée dans la tribune d’honneur du stade de France.
Si plus personne ne s’est ennuyé dans les travées de l’Allianz Arena comme c’était le cas jadis dans les tribunes de Geoffroy-Guichard, Christophe Galtier n’a pas réussi à concrétiser ses nouvelles intentions dans un club aux ambitions de nouveau riche. L’homme qui avait été amené à Lille par Luis Campos devra donc prouver chez un autre fortuné qu’il a les épaules assez larges pour enfin le aux sommets européens.
Ce sera la première fois que le technicien marseillais sera confronté à un tel panel de stars dans un vestiaire. Saura-t-il gérer ces égos surdimensionnés ? L’arrivée de Campos doit normalement permettre d’apporter plus de sérieux et moins de paillettes dans le très exigeant club parisien. Il s’agit cependant d’un fameux changement de cap et de mentalité. Paris en est-il capable de l’assumer totalement ? Galtier aura-t-il les mains suffisamment libres pour opérer les changements qu’il estime nécessaires ? Toutes ces interrogations marqueront sans doute son début de mandat.
Il peut cependant se réjouir que le choix de Campos de le désigner au détriment d’un nom ronflant comme Zinédine Zidane (qui aurait notamment plu au président français Emmanuel Macron), montre la réelle volonté de changement du board qatari du PSG.
Désormais, il faudra renforcer le milieu de terrain avec d’autres profils capables de réaliser les mêmes tâches, mais à un niveau plus élevé que les Benjamin André, Renato Sanchez, Mario Lemina ou Pablo Rosario. L’arrivée de Vitinha du FC Porto s’inscrit-elle dans ce sens ? On se demande aussi comment Galtier parviendra à organiser le trio magique Lionel Messi, Neymar et Kylian Mbappé. Pour autant que le Brésilien, qui a prolongé jusqu’en 2027, soit encore de la partie au début du mois de septembre.
Pour « être jamais les premiers » et brandir la Coupe aux grandes oreilles du côté de Munich, Marseille avait, en 1993, composé un effectif rassemblant à la fois des stars (Rudi Völler, Alen Boksic) et des jeunes prometteurs (Fabien Barthez, Didier Deschamps, Abedi Pelé, etc). C’est cependant un sage mage belge de 72 ans, Raymond Goethals, qui avait dirigé l’orchestre olympien vers le Graal.
Galtier, n’est pas encore un guide au crépuscule de sa carrière, mais un simple minot, biberonné par les exploits d’un club formateur dans lequel il n’évoluait plus lors de cette nuit magique en Bavière.
Si l’OM restera à jamais le premier dans l’histoire du football hexagonal, Galtier peut prendre sa « revanche » marseillaise en offrant la première C1 à l’éternel rival de l’équipe de sa ville. Cela ferait sans doute mal à certains du côté de la Canebière, mais ce serait un beau symbole d’une France réconcilée autour d’un club, loin de faire l’unanimité au-delà du Parc des Princes, depuis qu’il a été repris par les Qataris.
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