Lucien D’Onofrio
Selon Mogi Bayat (à dr.), Lucien D’Onofrio (à g.) a négocié le transfert d’Axel Witsel à Dortmund à l’été 2018 et a été rémunéré. © photo news / belga image

Enquête : Lucien D’Onofrio, l’agent « secret » d’Axel Witsel, malgré sa condamnation

David Leloup Journaliste

Lucien D’Onofrio apparaît dans des écoutes téléphoniques du «Footbelgate». Elles suggèrent qu’il n’a jamais cessé de réaliser des transferts de joueurs en tant qu’agent rémunéré pendant qu’il était directeur sportif à l’Antwerp, deux rôles a priori incompatibles.

Octobre 2018: perquisitions en rafale dans plusieurs clubs de l’élite et aux domiciles de nombreuses personnalités du football belge. Corruption, matchs truqués, blanchiment d’argent: le «Footbelgate» éclate au grand jour. Janvier 2022: l’enquête judiciaire est bouclée, grâce, notamment, aux aveux de l’ex-agent Dejan Veljkovic, premier «repenti» de la justice belge. Sur les 73 suspects initiaux, le parquet fédéral demande le renvoi de 57 d’entre eux devant le tribunal correctionnel. Tous sont liés aux pratiques de Veljkovic et d’un autre agent influent du foot belge: Mogi Bayat.

Beaucoup d’observateurs furent surpris de ne pas voir apparaître dans ce dossier un nom emblématique: Lucien D’Onofrio, ancien homme fort du Standard de Liège (1998-2011), qui fut également l’un des plus grands agents de joueurs de la planète foot. Un métier qu’il n’a jamais abandonné malgré sa condamnation définitive, fin 2008 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, à deux ans de prison (dont six mois ferme), 200 000 euros d’amende et deux ans d’interdiction d’exercer des activités liées au football en France. Interdiction qu’il ne respectera pas: huit mois plus tard, il opérera un transfert du FC Porto vers un club français, l’Olympique de Lyon, en se cachant derrière une société-écran et des prête-noms.

Un million d’euros dépensés pour 76 joueurs: qui dit mieux?

Cette condamnation outre-Quiévrain lui a pourtant fermé les portes du métier dans le monde entier, selon les règles de la Fifa. Mais il a continué ce business lucratif, masqué. Une enquête de Sport/Foot Magazine avait révélé, il y a quelques années, qu’entre 2009 et 2016, trois sociétés-écrans utilisées par Lucien D’Onofrio ont amassé plus de dix millions d’euros en réalisant une douzaine de transferts.

57 joueurs vendus en quatre ans par Lucien D’Onofrio

Mais revenons au Footbelgate. Si l’ex-agent de Zidane n’est pas concerné, c’est notamment parce qu’il avait délaissé le football belge depuis son éviction du Standard en juin 2011 par le nouveau propriétaire, Roland Duchâtelet. Son «grand retour», il ne l’a effectué qu’en juin 2017, à l’Antwerp. En quatre saisons comme directeur sportif (2017-2021), D’Onofrio a battu des records de transferts. Selon la Gazet van Antwerpen, il a réalisé 76 transferts entrants et 57 sortants, ce qui est inégalé durant une telle période. La plupart des joueurs qu’il a attirés étaient contractuellement libres et n’ont donc rien coûté: un million d’euros dépensés pour 76 joueurs, qui dit mieux? Par contre, les 57 ventes ont rapporté seize millions au club anversois.

Lucien D’Onofrio a-t-il perçu des commissions sur certains de ces transferts – une pratique interdite par le règlement de l’Union belge de football? Des écoutes téléphoniques, réalisées dans le cadre du Footbelgate, ne permettent pas de l’affirmer. Mais elles suggèrent que Lucien D’Onofrio est resté actif comme intermédiaire rémunéré dans plusieurs transferts internationaux, dont ceux d’Axel Witsel et Sérgio Conceição. C’est l’agent Mogi Bayat, mis sur écoute, qui vend la mèche. Bayat relate, par exemple, à un collègue, à l’été 2018, une discussion qu’il vient d’avoir avec Sam Di Giovanni, proche de D’Onofrio et fondateur de Protection Unit, la société de gardiennage qui assure notamment la sécurité de l’Antwerp.

À Dortmund «pour négocier»

Cette conversation entre Bayat et Di Giovanni a eu lieu juste avant que le Diable Rouge Axel Witsel, protégé de D’Onofrio, quitte le club chinois de Tianjin Quanjian pour signer au Borussia Dortmund, début août 2018. Voici les propos tenus par Bayat: «Je dis à Sam: “Avec votre société de sécurité, vous facturez à la fin du mois. Vous ne travaillez pas gratuitement, n’est-ce pas?” Il me dit: “Oui”. Je dis: “Comme Lucien, il travaille à l’Antwerp, mais hier il est allé à Dortmund pour négocier, pour Witsel. Eh bien, si le transfert se fait, il va gagner de l’argent, n’est-ce pas?” Il répond: “Oui”. Je dis: “Il ne le fait pas gratuitement, n’est-ce pas?” Il me dit: “Oui” […]» Conclusion? Le véritable agent de Witsel serait Lucien D’Onofrio, et non pas Paul Stefani.

Autre discussion interpellante: lors d’un appel en mars 2018 avec Herman Van Holsbeeck, le directeur général d’Anderlecht lui aussi mis sur écoute, Lucien D’Onofrio évoque l’une de ses… factures. Les enquêteurs résument la conversation ainsi: «Lucien a encore des questions sur la facture qu’il veut présenter et demande s’il doit passer par le service juridique. Herman veut en parler lundi, car c’est trop compliqué au téléphone.» Quels services rémunérés le directeur sportif de l’Antwerp aurait-il donc bien pu fournir à Anderlecht, club rival, ou à son directeur général?

Un avocat-agent portugais

Une autre écoute, réalisée en juillet 2018, révèle comment Lucien D’Onofrio aurait touché des commissions par le Portugal. Lors d’une conversation avec le dirigeant d’un club français, Mogi Bayat dévoile une combine pour se faire payer en toute discrétion. Voici l’échange, en substance:

– Mogi: «Salut Franck, est-ce que tu connais R.C.? C’est un avocat-agent, il est dans le business. R.C. est aussi l’avocat de Lucien D’Onofrio. C’est lui qui a fait le contrat de Conceiçao à Porto avec Lucien (NDLR: Sérgio Conceição, autre protégé de Lucien D’Onofrio, a signé au FC Porto comme entraîneur en juillet 2017 – un transfert arrangé par D’Onofrio, selon Bayat)

– Franck: «Non, connais pas. Mais comment un mec aussi jeune est l’avocat de D’Onofrio?»

– Mogi: «R.C. fonctionne avec un compte d’avocat au Portugal, via lequel il prend 10%, mais aussi à partir duquel ressort tout l’argent pour les agents de joueurs.»

– Franck: «Il doit se faire plein de copains comme cela…»

– Mogi: «Oui, comme A.R. en France. Tu vois qui c’est?»

– Franck: «Oui.»

– Mogi: «Moyennant une commission de 10%, A.R. aussi envoie de l’argent où on veut. Lui aussi travaille avec plein d’agents de joueurs. Les comptes d’avocats, ce sont des comptes protégés. Personne ne peut aller dessus. R.C. et A.R. se servent tous deux de leurs comptes tiers d’avocats, qui sont protégés, pour rendre ce genre de service à des agents de joueurs.»

Ainsi, après avoir utilisé des sociétés-écrans, Lucien D’Onofrio aurait recours à un nouveau tour de passe-passe pour rester sous les radars. Selon cette écoute, il utiliserait désormais les services d’un agent portugais également avocat pour réaliser des transferts et toucher discrètement des commissions. Le Vif a sollicité l’homme d’affaires Paul Gheysens, patron de l’Antwerp, qui n’a pas souhaité réagir. Pas plus que Lucien D’Onofrio.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire