Emma Meesseman
© Bas Bogaerts

Emma Meesseman, porte-drapeau de la délégation belge aux JO: «J’ai senti que je ne pouvais plus rester silencieuse»

Leader des Belgian Cats aux JO de Paris, désignée porte-drapeau de la délégation belge, Emma Meesseman n’est pas seulement l’une des meilleures basketteuses du monde, elle est aussi une athlète engagée.

Dans une vidéo postée il y a trois ans sur la chaîne YouTube Basketball Belgium, Emma Meesseman s’exprime ouvertement en faveur de l’égalité et contre la discrimination. Depuis, ses opinions et son ouverture d’esprit, bien plus larges qu’un terrain de basket, n’ont pas changé. «Mes parent m’ont inculqué ces valeurs dès l’enfance, raconte-t-elle. Lorsque nous voyagions, nous nous immergions dans la culture locale, nous discutions avec les habitants. C’est ainsi que j’ai progressivement appris que tout le monde n’a pas la même couleur de peau, la même religion ou la même orientation, mais que les « autres » ne sont pas inférieurs pour autant. Au contraire. « Vivre et laisser vivre », tel est mon point de vue. Accepter chacun tel qu’il est, ce n’est pas si difficile.»

Vous êtes partie en 2013, à 20 ans, en WNBA aux Etats-Unis. Vous y avez joué sept saisons, pour les Washington Mystics et Chicago Sky. Quel impact cette période a-t-elle eu sur votre vision de la société?

En Belgique (NDLR: aux Blue Cats d’Ypres) et en France (NDLR: à Villeneuve-d’Ascq), je n’ai jamais été en contact direct avec le racisme ou la discrimination en tant que joueuse professionnelle. A Washington, le contraste était énorme. J’y ai vu comment mes coéquipières noires souffraient. Dès ma première saison, une autre nouvelle venue, Tierra Ruffin-Pratt, a perdu deux cousins. Abattus sans raison par la police. J’ai souvent entendu des remarques racistes. En tant que personne de couleur, lorsque vous vivez cela tous les jours, c’est difficile à supporter. C’était aussi une confrontation pour moi.

Comment avez-vous vécu, en tant que blanche et européenne, les manifestations du mouvement Black Lives Matter lorsque vous étiez aux Etats-Unis?

Je n’ai jamais pris les devants mais j’ai soutenu mes coéquipières autant que possible. En 2016, nous avons porté des tee-shirts avec l’inscription Black Lives Matter lors des échauffements d’avant-match en signe de protestation contre la brutalité policière. C’était osé, car la WNBA avait déjà infligé des amendes pour cela. Mais ça ne nous a pas arrêtées. En 2020, après la mort de George Floyd et la fusillade au cours de laquelle Jacob Blake a été grièvement blessé, nous sommes allées encore plus loin. Nous avons refusé de jouer un match. Cela a causé beaucoup de stress, car ce geste aurait pu avoir des conséquences financières. Nous avons malgré tout persévéré. C’était trop important. Nous avons été soutenues par la direction des Mystics et par notre entraîneur, Mike Thibault, qui a toujours mis l’accent sur les valeurs humaines. Sur le terrain, nous nous sommes toutes agenouillées et nous portions un tee-shirt blanc avec sept points noirs dans le dos pour symboliser les sept balles qui avaient atteint Jacob Blake dans le dos.

«En Belgique, même dire pour quel parti on a voté est tabou…»

Depuis, vous vous êtes également exprimée sur le racisme et les inégalités.

Après toutes ces manifestations et ces discussions avec mes coéquipières, j’ai senti que je ne pouvais pas rester silencieuse plus longtemps. L’une de mes coéquipières à Washington, Natasha Cloud, n’a pas joué pendant une saison pour se consacrer au mouvement Black Lives Matter. Le moins que je pouvais faire était d’utiliser ma voix pour dénoncer les discriminations.

Peu d’athlètes belges le font. Pourquoi?

Ce n’est pas dans notre caractère national, je pense. Ici, même dire pour quel parti on a voté est tabou… Peu de gens ont vécu ce que j’ai vécu aux Etats-Unis. Idem en Russie, où j’ai joué pendant neuf saisons (NDLR: jusqu’au début de la guerre en Ukraine) et où j’ai appris à connaître une autre culture. Sans ces expériences, je n’aurais peut-être pas franchi le pas.

Certains pensent que les athlètes de haut niveau n’ont pas à s’exprimer sur la politique ou la société. Un commentateur américain a même dit un jour à la star de la NBA LeBron James, «Tais-toi et dribble»…

C’est hallucinant de penser que nous devrions nous taire juste parce que certains ne tolèrent pas qu’on prenne position. Nous ne servons pas seulement de divertissement, nous avons aussi un rôle à jouer dans la société. Aussi petit soit-il.

Avant les législatives en France, le footballeur Kylian Mbappé a appelé, sur les réseaux sociaux, à ne pas voter pour les extrêmes. Avez-vous pensé à faire de même pour les élections belges?

J’ai trouvé cela très courageux de la part de Mbappé. J’y ai pensé, mais je ne publie plus de messages politiques sur les médias sociaux; je le faisais à l’époque des Mystics. J’étais trop confrontée à des commentaires haineux. C’est pourquoi je n’y consacre plus d’énergie. De plus, la plupart des gens qui me suivent ont le même état d’esprit que moi. Les autres, à l’opinion différente, je ne les atteindrais de toute façon pas ou ils sont tellement coincés dans leur vision du monde que je ne pourrais pas les faire changer d’avis. Je préfère diffuser mon message d’égalité dans le cadre d’interviews ou en mettant en place des projets avec les Belgian Cats. Ça fait partie de l’identité de l’équipe nationale. L’impact est plus grand, surtout lorsque nous nous adressons aux jeunes. On peut peut-être influencer leur vision des choses, de manière décontractée. En montrant que le monde, en particulier dans le basket, n’a pas à être aussi inégal. Même si leurs parents disent le contraire.

Pour Emma Meesseman, les sportifs ont aussi un rôle à jouer dans la société, aussi petit soit-il. © Bas Bogaerts

Le Vlaams Belang est arrivé en tête à Ypres, votre ville natale, lors des dernières élections. Quel a été votre sentiment?

J’ai été déçue. Outre son caractère discriminant envers les étrangers et les personnes de religion ou orientation sexuelle «différente», ce parti désormais à nouveau supprimer progressivement le droit à l’avortement. Je n’ose imaginer qu’on puisse en arriver là. D’un autre côté, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup plus de racistes à Ypres qu’avant. Les rares fois où je suis chez moi, je ne remarque rien de tout cela, même si les gens n’avouent pas facilement ce genre de chose. Je pense que beaucoup des votes pour le Vlaams Belang sont des votes antipolitiques. Ils s’opposent à la manière dont les partis traditionnels gouvernent. Avec des politiciens plus préoccupés par leur propre intérêt que par l’intérêt social. C’est triste.

«Le CIO ne traite pas tous les pays selon les mêmes critères, ça me dérange.»

Les JO de Paris seront politiquement marqués. Seules quelques athlètes russes (biélorusses) seront autorisés à participer sous «statut neutre», à condition de ne pas être membres de l’armée ou d’avoir soutenu activement la guerre en Ukraine… Qu’en pensez-vous?

D’un côté, je comprends le Comité international olympique (CIO), car Poutine pourrait abuser des médailles décrochées par la Russie sur le plan politique. Mais de l’autre, je pense que c’est regrettable pour les basketteuses russes, par exemple (NDLR: aucune équipe russe ne peut prendre part aux JO). Elles ne soutiennent pas la guerre, mais sont punies malgré tout. De plus, le CIO ne juge pas tous les pays selon les mêmes critères. A Gaza, un génocide est en cours. Pourtant, les athlètes israéliens sont autorisés à participer, sans restriction. Je ne dis pas qu’ils devraient être soumis à la même interdiction, mais la différence de traitement me dérange.

Lors des Jeux, le CIO interdit toute forme de protestation lors des cérémonies de remise des médailles ou dans le stade. Le comprenez-vous?

Je comprends que le CIO veuille éviter les messages à connotation politique qui tendent les relations géopolitiques. Il faut bien tracer une ligne quelque part. Mais pourquoi interdire les messages de paix et d’égalité ?

Lors des précédents JO, la question du bien-être mental a été mise sur la table, notamment par la championne américaine de gymnastique Simone Biles, qui a quitté la compétition. Avez-vous l’impression qu’on s’y intéresse davantage aujourd’hui?

Le monde du sport s’engage davantage dans la prévention, je le pense. A Paris, chaque délégation doit même être accompagnée d’un assistant en charge du bien-être mental. Le Comité olympique belge s’est lui aussi fortement engagé dans cette voie, en publiant notamment un podcast sur cette question. Je ne peux que m’en féliciter.

Vous avez vous-même traversé une période difficile après les Jeux de Tokyo, après l’élimination des Belgian Cats en quarts de finale. Dans un message sur Instagram, vous expliquiez votre difficulté à gérer vos sentiments.

J’ai vécu de près la «dépression post-olympique». Les deux premières semaines, j’étais chez moi, à Ypres. Habituellement, je donne un coup de main à la maison ou je vais à vélo faire les courses. Mais là, je n’avais pas envie de sortir. Heureusement, j’ai eu une pause d’un mois et demi et avec le soutien de mes amis, j’ai pu récupérer et retrouver le plaisir de jouer. D’autres n’ont pas eu cette chance.

Après les Jeux de Tokyo et la retraite de la capitaine Ann Wauters, vous avez pris la tête des Belgian Cats. Avez-vous dû sortir de votre zone de confort à ce moment-là?

En partie, oui. Lorsque Ann, une leader naturelle, était encore capitaine, je pouvais rester dans son ombre. Après Tokyo, il était logique que je reprenne son rôle, en tant que joueuse la plus âgée et la plus expérimentée au plus haut niveau. Diriger sur le terrain, en paroles et en actes, ne me posait aucun problème. Cela s’est fait naturellement. J’encourage les jeunes Cats à faire de même: «Ne vous cachez pas, faites-vous entendre s’il y a un problème». J’ai dû m’habituer aux discours d’encouragement dans le vestiaire avant un match ou à la mi-temps. Entre-temps, j’ai progressé dans ce domaine. Si j’y pense un peu avant, je sais toujours quoi dire.

Votre discours d’une minute et demie à la mi-temps de la finale de la Coupe d’Europe l’année dernière contre l’Espagne est même devenu viral.

Ce n’était pas préparé, ça venait du cœur. Nous avions joué une mauvaise première mi-temps, avec trop peu d’énergie. J’ai donc insisté sur le fait que nous aurions des regrets si nous perdions comme ça. Et ce regret est le pire des sentiments à vivre. Heureusement, ça nous a aidées (NDLR: Les Cats sont devenues championnes d’Europe pour la première fois).

Emma Meesseman

31 ans
Joue au Fenerbahçe SK depuis 2022.
A remporté six fois l’Euroleague Sky avec l’UMMC Ekaterinburg et Fenerbahçe.
A remporté l’or aux Championnats d’Europe en 2023 avec les Belgian Cats et le bronze lors des Championnats d’Europe de 2017 et 2021.
Participera à ses deuxièmes JO, à Paris.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire