Le siège du CIO, à Lausanne, accueillera bientôt un nouveau président. © BELGA

Election tendue au comité olympique (CIO): une présidente, un héritier contesté ou un ennemi de la Russie?

L’élection présidentielle du Comité international olympique est un condensé de politique sportive, entre lobbys en coulisses et débats à venir avec les hommes les plus puissants de la planète.

En coulisses, là où se décide trop souvent l’avenir du Comité international olympique, on murmurait que Thomas Bach n’en resterait pas là. Que l’Allemand, 71 ans depuis la fin de l’année dernière, dont douze passés à la tête du CIO, se présenterait pour empiler un troisième mandat. Les temps troublés l’auraient justifié, disait-on, car les tensions géopolitiques sont à leur paroxysme et l’heure n’est pas propice à un chamboulement supplémentaire.

Avant les derniers Jeux olympiques, un été parisien salué de toutes parts comme une réussite majeure, Thomas Bach a toutefois éteint les rumeurs. Il a annoncé qu’il n’était «plus le meilleur dirigeant pour le Mouvement olympique». Il quittera donc ses fonctions le 23 juin, un peu plus de trois mois après la désignation de son successeur. Le 20 mars, dans le Péloponnèse, et plus précisément à Costa Navarino, une centaine de membres du CIO se réuniront pour choisir lors d’un vote à bulletin secret le dixième président du Comité international olympique parmi les sept candidats en lice.

Loué pour l’accent mis sur la durabilité des Jeux, les économies faites dans la procédure d’appel d’offres pour l’organisation des événements olympiques ou son abnégation pour faire en sorte que les JO se déroulent en 2021 puis en 2022 (pour les Jeux d’hiver) malgré la pandémie, Thomas Bach laisse derrière lui une organisation financièrement saine, une programmation des premiers JO des e-sports en 2027 et une sanction pour les athlètes russes suite au programme de dopage parrainé par l’Etat. A l’inverse, ses détracteurs l’ont souvent dépeint comme un dirigeant assoiffé de pouvoir, parfois à la limite du dictateur, tant il a mis entre ses mains et celles de son entourage le poids de la majorité des décisions importantes. La lecture des programmes de ses sept successeurs potentiels laisse d’ailleurs apercevoir une volonté presque unanime de donner plus de poids aux membres du CIO dans la prise de décision. Un discours de campagne, sans doute, mais un indice que ce n’est probablement pas assez le cas sous la présidence actuelle.

Qui qu’il soit, le successeur de Thomas Bach aura un agenda chargé sous les yeux.

Le poids de Bach

Qui qu’il soit, le successeur de Thomas Bach aura un agenda chargé sous les yeux. La politisation croissante du sport et les tensions géopolitiques qui en résultent seront forcément au menu, entre la question d’une Russie qui souhaite ardemment faire son retour aux Jeux olympiques et la position des Etats-Unis de Donald Trump, dont le fils soutient les «Enhanced Games», cette version des JO où les athlètes seraient autorisés à faire usage de produits dopants pour améliorer leurs performances. Dans les programmes des candidats du CIO, l’éthique sportive est d’ailleurs souvent au programme, au même titre que le défi écologique de l’organisation des Olympiades, l’usage de l’intelligence artificielle au service du sport, l’intérêt des jeunes générations pour les compétitions sportives ou la question du genre pour garantir l’équité des épreuves féminines.

Tous se positionnent sur ces débats, rarement de manière originale si on excepte la volonté du Japonais Morinari Watanabe, président de la Fédération internationale de gymnastique, d’organiser les Jeux olympiques d’été dans cinq villes réparties sur cinq continents différents et en simultané. La différence ne risque pas de se faire sur les grandes lignes de ces programmes de campagne, mais bien sur le lobbying fait en coulisses pour soutenir ou plomber l’un ou l’autre candidat.

A ce petit jeu, Thomas Bach risque bien de peser de tout son poids. Sa favorite est la benjamine des sept, l’ancienne nageuse Kirsty Coventry. Sept fois médaillée olympique entre 2000 et 2016, membre de la commission des athlètes depuis 2013 et du CIO depuis 2021, la Zimbabwéenne pourrait devenir la première femme et la première représentante du continent africain à accéder à la fonction suprême de la politique sportive. Son manque d’expérience devrait toutefois la pénaliser, car la situation actuelle exige que la prochaine figure de proue du CIO soit un ou une politicienne aguerrie et le conservatisme des électeurs devrait orienter le vote vers un choix plus traditionnel et genré. Là, on évoque bien plus volontiers l’actuel vice-président Juan Antonio Samaranch junior, fils de l’ancien président du CIO (entre 1980 et 2001) et fort d’une expérience de onze années au cœur de la commission exécutive du Comité. L’Espagnol a le soutien de Bach, au même titre que le Français David Lappartient, président depuis 2017 de l’Union cycliste internationale (UCI) qu’on décrit comme politiquement très habile, au point d’être parvenu à se glisser dans les petits papiers de Thomas Bach.

Leurs noms sont ceux qui reviennent le plus souvent dans la liste des favoris, en compagnie de celui de Sebastian Coe. Doyen des candidats (il est né en 1956, et donc de 27 ans plus âgé que Coventry), le Britannique s’est fait une réputation dans le milieu de la politique sportive grâce à son long bail à la présidence de World Athletics, la fédération internationale d’athlétisme. Il était également le président du comité organisateur des Jeux olympiques de Londres en 2012, unanimement salués comme un immense succès. De quoi avoir l’envergure pour s’asseoir à la table des grands dirigeants mondiaux et se tailler un carnet d’adresses XXL, où Thomas Bach ne figure pas vraiment en bonne place. L’an dernier, c’est par exemple sans consulter le président du CIO que Coe a décidé d’attribuer des récompenses financières aux champions olympiques d’athlétisme. L’Allemand aurait très mal vécu l’affront, et il ne serait pas surprenant qu’il décide de savonner la planche du patron des athlètes lors de l’élection. D’autant plus que la position très ferme de Sebastian Coe sur la question russe n’est pas à classer au rang de ses atouts dans les débats très politiques qui s’annoncent.

La réintégration de la Russie sera forcément au centre des débats.

La question russe

La réintégration de la Russie sera forcément au centre des débats. Vladimir Poutine a déjà fait un pas dans cette direction en plaçant à la présidence du Comité national olympique un certain Mikhaïl Degtyarev, par ailleurs ministre des Sports. Dans ses discours, la Russie est également plus tempérée à l’égard du CIO et du monde sportif occidental, le tout dans le but de réintégrer le plus rapidement possible les compétitions majeures, Jeux olympiques en tête. Sebastian Coe est le plus opposé à cette idée, tandis que David Lappartient parle d’un CIO qui doit «réaffirmer son autonomie et sa neutralité politique», ou que Kirsty Coventry veut «rester neutre et ne pas être exploitée à des fins politiques». Pour Juan Antonio Samaranch junior, qui met en avant sa volonté de dialogue avec les dirigeants mondiaux, la réconciliation avec les Russes est même en haut de la pile de dossiers qui pourrait atterrir sur son bureau présidentiel en cas de verdict positif le 20 mars.

La position des trois autres candidats sur la question russe est bien moins médiatisée. Leur candidature aussi, à tel point que voir le patron des gymnastes Morinari Watanabe, le président de la Fédération internationale de ski Johan Eliasch ou le prince jordanien Feisal Al Hussein devenir le dixième président du Comité international olympique semble aujourd’hui impossible. La certitude, c’est que celui ou celle qui succédera à Thomas Bach le fera avec un bail de huit ans, potentiellement renouvelable pour quatre ans, même si une bonne partie des candidats auront dépassé l’âge limite de 70 ans pour occuper le poste en cours de mandat. Un inconvénient que les statuts olympiques permettent toutefois de modifier, et qui pourrait permettre à un troisième président de suite de faire un dodécennat, comme l’auront fait le Belge Jacques Rogge et Thomas Bach avant lui. Au vu des épineux dossiers présents sur la table, les prochaines années de présidence risquent toutefois de sembler particulièrement longues.

Les sept candidats à la présidence

Sebastian Coe

Britannique, né en 1956 et membre du CIO depuis 2020.

Président de World Athletics, la fédération internationale d’athlétisme (troisième mandat).

Président du Comité organisateur des Jeux olympiques de Londres en 2012.

Kirsty Coventry

Zimbabwéenne, née en 1983 et membre du CIO depuis 2021.

Membre de la commission des athlètes depuis 2013.

Johan Eliasch

Britannico-Suédois, né en 1962 et membre du CIO depuis 2024.

Président de la Fédération internationale de ski (FIS).

Prince Feisal Al Hussein

Jordanien, né en 1963 et membre du CIO depuis 2010.

Membre de la commission exécutive du CIO depuis 2019.

David Lappartient

Français, né en 1973 et membre du CIO depuis 2022.

Président de l’Union cycliste internationale (UCI) depuis 2017, deuxième mandat en cours.

Juan Antonio Samaranch

Espagnol, né en 1959 et membre du CIO depuis 2001.

Membre de la commission exécutive du CIO, vice-président.

Morinari Watanabe

Japonais, né en 1959 et membre du CIO depuis 2018.

Président de la Fédération internationale de gymnastique (FIG).

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