Souvent présenté comme un «chasseur de dopage», Hans Cooman, 62 ans, trouve malgré tout le terme «trop péjoratif». «La majorité des athlètes était respectueuse et amicale lors de chaque contrôle», précise-t-il.
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Dopage: éviter les contrôles reste facile pour les sportifs, encore plus en Belgique

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Pendant plus de 20 ans, Hans Cooman a été contrôleur, puis coordinateur pour l’Agence flamande de lutte contre le dopage. Proche de la retraite, il pointe du doigt les failles d’un système encore trop facile à contourner.

On l’a souvent présenté comme un «chasseur de dopage». Pourtant, Hans Cooman, 62 ans, ne veut pas être résumé ainsi. «Je pense que le mot chasseur est trop péjoratif, car j’avais avant tout affaire à des personnes, des athlètes, dont la grande majorité était respectueuse et amicale lors de chaque contrôle. Même lorsque je sonnais à leur porte à 5 heures du matin, la plupart d’entre eux pensaient que cela faisait partie du travail. Parce que c’est le seul moyen d’éliminer les tricheurs. En tant que grand amateur de sport, cela a toujours été ma force motrice: mon aversion pour la tricherie. Je veux donner une chance aux athlètes honnêtes. Même si je devais entrer en scène à 4 heures du matin ou tard le soir pendant 20 ans pour le faire, ou me rendre à des compétitions sportives tous les week-ends.»

Cette période, au cours de laquelle Hans Cooman a coordonné une équipe de médecins contrôleurs et effectué lui-même des contrôles de dopage, se terminera le 1er juin. C’est à cette date qu’il prendra officiellement sa retraite. Avec un sentiment de satisfaction, mais aussi avec un message pas très rose, même s’il veut d’abord évoquer les points positifs. La lutte contre le dopage s’est intensifiée grâce à des contrôles plus nombreux et mieux réglementés. Avec des techniques de détection plus sophistiquées, capables de déceler des quantités beaucoup plus faibles. Avec des passeports sanguins et stéroïdes qui permettent de surveiller un éventuel dopage sur une plus longue période. Sans oublier une coopération plus étroite entre l’Agence mondiale antidopage (AMA) et les forces de police, qui a permis de démanteler de nombreux réseaux de dopage.

«Ma force motrice a été mon aversion pour la tricherie.»

«Le résultat de cette lutte accrue est une baisse globale du pourcentage de contrôles antidopage positifs, déclare Hans Cooman. Avant 2020, il était encore bien supérieur à 1%, en 2022, il n’était plus que de 0,77 % et même de 0,6% en Flandre. En outre, près de la moitié de ces contrôles positifs concernaient des sportifs ayant consommé des drogues festives, telles que le cannabis ou la cocaïne, ou des substances ayant un effet mineur ou non prouvé sur les performances. On pourrait en conclure que le nombre de dopés diminue, mais je crains qu’ils soient aussi nombreux qu’il y a 20 ans. En raison des lacunes encore importantes du système, un tricheur rusé peut parfaitement contourner tous les contrôles. Le pourcentage de gain dû au dopage est peut-être moindre aujourd’hui. L’époque où l’on s’injectait des litres d’EPO ou de stéroïdes anabolisants dans les veines est révolue. Mais au plus haut niveau, une différence d’un unique pour cent peut encore être décisive

Les failles de la lutte contre le dopage

Selon Hans Cooman, la lutte contre le dopage présente encore des failles indéniables. A commencer par la détection des échantillons de dopage. L’utilisation de la cortisone a été réduite, en partie grâce à une réglementation plus stricte des prescriptions médicales et à l’interdiction des injections, mais le Synacthen (ACT), qui stimule également la production de cortisol (hormone à l’effet anti-inflammatoire important), est encore indétectable ou très limité. Pourtant, il a été utilisé dans le cyclisme pendant de nombreuses décennies et l’est toujours.

«Un tricheur rusé peut parfaitement contourner tous les contrôles.»

«La détection de l’EPO, de l’hormone de croissance ou de la testostérone pose des problèmes plus importants, explique Hans Cooman. Il s’agit de produits dont il est difficile de prouver à 100 % qu’ils sont étrangers à l’organisme et la durée pendant laquelle ils peuvent être détectés dans le sang ou l’urine est encore limitée. Surtout lorsque les athlètes utilisent des microdoses. Le temps de détection du dopage à l’EPO ou du dopage sanguin (NDLR: le fait de prélever son propre sang et de le réinjecter ensuite) est tout au plus de quelques heures, alors que ces produits améliorent les performances pendant beaucoup plus longtemps. En ce qui concerne la testostérone, il existe également sur le marché des préparations dont la méthode de test actuelle ne permet pas de déterminer si elles sont étrangères ou endogènes. Les chiffres de l’AMA concernant le pourcentage de tests positifs pour l’EPO et ses variantes et pour l’hormone de croissance en 2022 sont donc éloquents: 0,13 et 0,02%. Pratiquement rien. Le nombre d’athlètes sanctionnés pour d’importantes fluctuations de valeurs dans leur sang ou leur passeport stéroïdien est également infime. En Flandre, je ne me souviens même pas de cas récents. La raison est identique: avec des doses plus faibles, on peut parvenir à rester dans les clous.»

Les utilisateurs de produits dopants peuvent également contourner les délais de détection limités grâce aux lacunes du système de localisation. Les athlètes doivent spécifier pour chaque jour un lieu et une heure entre 5h et 23h où ils sont tenus d’être immédiatement disponibles pour un contrôle. Ils doivent remplir ces créneaux horaires par trimestre, mais ils sont autorisés à les modifier jusqu’à la dernière minute. Un athlète qui n’est pas présent à l’endroit qu’il a déclaré, ou qui ne remplit pas cette plage horaire ou la remplit de manière incorrecte (ce que l’on appelle l’omission de déclaration), voit son nom suivi d’un tiret. Ce n’est qu’après trois de ces tirets en une année qu’un dossier disciplinaire est ouvert et qu’une sanction peut suivre.

«Quand on sait que la plupart des athlètes d’élite ne sont contrôlés que trois fois par an (le minimum imposé par l’AMA), un athlète peut donc délibérément manquer deux fois un contrôle si un médecin contrôleur sonne à un moment malencontreux. Bien que la plupart des athlètes soient assez intelligents pour se doper au bon moment, avec un temps de détection suffisant par la suite. Mais même si un athlète respecte les règles, il peut toujours créer une fenêtre de 24 heures ou plus sans aucune chance d’être contrôlé. Il lui suffit de changer de plage horaire d’un jour à l’autre: tôt le matin un jour, tard le soir le lendemain. En dehors de l’heure choisie, un contrôle peut également avoir lieu, mais le sportif peut alors toujours fournir une excuse valable pour son absence

Ce n’est pas l’unique faille que relève Cooman: «L’athlète peut partir pour un stage à l’étranger et le déclarer à la dernière minute, alors que le stage est déjà planifié depuis longtemps. Il est alors très difficile pour une agence de dopage d’organiser un contrôle par l’intermédiaire d’une agence étrangère en quelques jours. Pendant cette période, l’athlète peut donc avoir recours au dopage avec un temps de détection limité. Pour les athlètes belges, les chances d’être contrôlés à l’étranger sont de toute façon faibles. Surtout dans un pays ou un continent lointain, comme les Etats-Unis ou l’Afrique, où le contrôle est encore plus cher qu’ici. Avec un budget qui, compte tenu de l’inflation et des coûts encore plus élevés, a à peine augmenté au cours des 20 dernières années, l’organisme flamand de lutte contre le dopage n’a pas assez d’argent pour cela (NDLR: 1,13 million d’euros en 2024). Nos athlètes de classe mondiale sont contrôlés à l’étranger par leur fédération sportive, mais les coureurs locaux, à l’exception des cyclistes, ne sont contrôlés que par des contrôleurs belges. Les dopés ont donc plus de possibilités de tricher à l’étranger.»

Il faut aussi savoir qu’en Belgique, les règles de localisation des athlètes de sports collectifs sont beaucoup moins strictes. «Ils appartiennent à la catégorie B, explique Hans Cooman. Leur délégué ne doit transmettre que les entraînements programmés. S’ils ont un jour sans entraînement, ils peuvent même créer une fenêtre de 48 heures sans risque de contrôle antidopage. Cela peut être utile si vous jouez trois matches par semaine et que vous voulez récupérer illégalement. Je ne dis pas que cela arrive, mais la possibilité existe. En outre, ces sportifs ne sont sanctionnés qu’après cinq contrôles manqués. Ce n’est qu’après deux absences injustifiées qu’ils sont transférés dans la catégorie A des athlètes individuels. Et il faut alors encore trois contrôles manqués dans l’année pour qu’ils soient sanctionnés.»

Le dopage et la communautarisation à la belge

L’expert voit plusieurs solutions à ces défauts. «L’AMA devrait modifier son règlement. Tout d’abord, en exigeant que les athlètes soient joignables par téléphone pendant la fenêtre d’une heure qu’ils ont déclarée. Grâce à un système de géolocalisation, un athlète devrait également être obligé d’indiquer où il se trouve à ce moment-là. De nombreux athlètes m’ont déjà dit que, malgré toutes les règles relatives à la protection de la vie privée, cela ne leur poserait aucun problème, car ils savent que nous traitons ces informations avec discrétion. Deuxième solution: introduire deux plages horaires obligatoires par jour, avec neuf heures entre les deux, de manière à réduire la plage horaire sans contrôle. Et troisièmement: étendre la période des trois tirets d’un an à au moins un an et demi, comme c’était le cas auparavant, et de préférence à deux ans.»

Selon lui, les contrôles doivent également être beaucoup plus ciblés. Aujourd’hui, trop de contrôles ont lieu à des moments aléatoires pour respecter les minima annuels de l’AMA. Avec les contrôles ciblés, on analyse chaque athlète au moment où il serait le plus utile pour lui de se doper. Dans la période précédant immédiatement un grand tournoi, par exemple. «Vous contrôlez ensuite ces jours-là, voire plusieurs jours d’affilée si nécessaire. En outre, il faudrait donner l’argent qui va aujourd’hui à ces contrôles aléatoires à la recherche scientifique pour perfectionner les techniques d’analyse et les passeports sanguins et stéroïdiens. Enfin, les prix des contrôles antidopage doivent être les mêmes partout dans le monde. Aujourd’hui, ils varient trop: de plus de 1.000 dollars aux Etats-Unis à quelques centaines d’euros chez nous.»

«Des situations belges absurdes conduisent à de possibles abus.»

En Belgique, en plus de tout cela, il y a une autre faille majeure dans la politique antidopage, relevée par Hans Cooman. «Le sport étant une compétence communautaire, nous avons plusieurs organisations nationales antidopage (Onad): en Flandre, en Wallonie, à Bruxelles et en communauté germanophone. Nous sommes uniques à cet égard, car tous les autres pays n’ont qu’une seule Onad. Résultat: une fragmentation des budgets, du savoir-faire, des ressources et du personnel. Et donc pas de fonctionnement efficace. Cela conduit à des situations belges absurdes et à de possibles abus. Par exemple, l’Onad Flandre ne peut contrôler les athlètes flamands que sur le territoire flamand. Donc pas dans son propre siège, car celui-ci se trouve à Bruxelles. Un athlète flamand résidant à Grand-Bigard peut également changer de domicile à Berchem-Sainte-Agathe à la dernière minute et éviter ainsi presque à coup sûr un contrôle. En effet, en raison de la paperasserie administrative, l’Onad Bruxelles a beaucoup de mal à trouver à temps un médecin contrôleur. Autre exemple: l’Onad Wallonie ne peut contrôler que les athlètes affiliés à une fédération sportive wallonne. Or, certains athlètes wallons ont un contrat avec Sport Vlaanderen (NDLR: comme les frères Borlée, entre autres) et vivent en Wallonie. Ni l’Onad Flandre, ni l’Onad Wallonie ne peuvent donc les contrôler, car aucune n’est compétente. Elles doivent donc demander à la fédération internationale si elles peuvent envoyer des inspecteurs. La solution est simple: une agence antidopage nationale belge, totalement indépendante de la politique. Tant que le sport ne redeviendra pas une compétence fédérale, un tel organisme national de lutte contre le dopage n’est malheureusement qu’une chimère.»

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