Nicky Hayen (à g.) face à David Hubert (à dr.): les sous-fifres d’hier sont les patrons d’aujourd’hui. © BELGAIMAGE

Deux intérimaires pour un «Topper»: comment les clubs belges choisissent leur coach?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Nicky Hayen face à David Hubert, c’est un duel de coachs inattendu pour le match entre les clubs les plus titrés du pays. L’histoire d’une Belgique des bancs de touche aux choix parfois étonnants.

La frappe semble désespérée. Sans doute parce que du bout du pied droit, Anders Dreyer est loin de maîtriser aussi parfaitement la géométrie footballistique qu’avec cette patte gauche aux airs de compas. Parce que la chance a visiblement choisi le côté mauve de l’histoire de ce «Topper», le tir raté devient passe décisive. Nilson Angulo inscrit son premier but de la saison à l’orée des arrêts de jeu, et offre à Anderlecht une victoire sur le terrain brugeois de Ronny Deila.

Les souvenirs sont encore frais. C’était il y a huit mois, à peine. Pourtant, deux tiers d’année plus tard, les bancs ont bien changé depuis la dernière visite mauve au stade Jan Breydel pour un match de phase classique. En play-offs, le dug-out local avait déjà accueilli l’imposante carcasse de Nicky Hayen, coach intérimaire alors sur le point de devenir champion de Belgique. Désormais, la banquette mauve est orpheline de Brian Riemer et drivée par David Hubert. L’ancien milieu de terrain, Diable Rouge éphémère, a transformé son dépannage en contrat à la suite de victoires marquantes face à la Real Sociedad puis au Standard. Huit mois plus tôt, à la veille du «Topper» décidé par Angulo, le futur coach des Mauves était encore dans l’ombre de Marink Reedijk, entraîneur principal du RSCA Futures (les U23 d’Anderlecht). Son week-end se résumait à un samedi après-midi victorieux contre Dender, dans un stade Roi Baudouin seulement garni de 332 spectateurs. Nicky Hayen, lui, passait la soirée à la Côte, dégustant une victoire 1-4 contre les locaux à la tête de Club NXT (les U23 de Bruges).

Les sous-fifres d’hier sont les patrons d’aujourd’hui, par la grâce d’un intérim réussi. Du côté de Bruges, si tous n’étaient pas unanimes en interne sur l’importance du rôle de Hayen dans la quête du titre de champion obtenu au printemps dernier, on a préféré ne pas scruter le marché à la recherche d’un successeur, les nominations récentes de l’Anglais Scott Parker puis du Norvégien Ronny Deila n’ayant pas été couronnées de succès. Dans la capitale, les supporters ont donné de la voix en faveur de Hubert, encore plus en lisant le nom du peu expérimenté Ryan Mason, tout de même adjoint des très réputés Antonio Conte et Ange Postecoglou en Premier League. Ne valait-il pas mieux faire confiance à quelqu’un qui, selon l’expression consacrée, «connaît le groupe et le championnat»? Tant pis si le dernier podium du titre honorifique d’Entraîneur de l’année était composé des Allemands Alexander Blessin et Thorsten Fink, ainsi que de l’Autrichien Miron Muslic. Trois hommes qui ont marqué le championnat sans le connaître plus que cela lors de leur première intronisation à la tête d’un club belge. Le président Wouter Vandenhaute a tranché en faveur de Hubert. Preuve que sur les prés de Jupiler Pro League, choisir un coach reste un exercice à géométrie variable.

«A l’étranger, il faut passer et réussir une batterie de tests avant de prétendre au job.»

Le coach et les réseaux

«L’époque à laquelle un président choisissait seul son coach appartient au passé», rembobine Vincent Goemaere, intégré au processus de décision finale à plusieurs reprises lors d’années mouvementées à la présidence du Cercle Bruges. «Tout se faisait en concertation avec notre directeur technique.»

C’est donc un échelon plus bas, à la tête de la cellule sportive, que se décident aujourd’hui la plupart des mandats d’entraîneur. Avec des méthodes parfois pas si éloignées de celles suivies par les présidents d’autrefois. Directeur de l’école fédérale des entraîneurs de la Fédération belge de football, Kris Van Der Haegen s’était ainsi étonné d’être contacté par le directeur sportif de DC United, club américain basé à Washington, pour récolter des informations sur Hernán Losada, passé par le cursus belge afin d’obtenir ses diplômes. L’anecdote est pourtant loin de surprendre Yannick Ferrera, aujourd’hui à la tête du RWDM après plusieurs mois à enchaîner les entretiens d’embauche: «En Belgique, de nombreux dirigeants sont convaincus si quelqu’un leur dit de prendre tel ou tel coach. A l’étranger, je connais des clubs où tu dois passer et réussir une batterie de tests avant de prétendre à un job.» C’est notamment le cas sur le sol anglais, où de plus en plus de clubs de Championship –la deuxième division nationale– sont confiés à de jeunes entraîneurs venus de France, d’Espagne, d’Allemagne ou du Danemark, qui brillent par leur méthode plus que par leur CV. Loin des réalités du sol belge, où certains choix de clubs plus modestes sont encore posés en concertant l’un ou l’autre journaliste considéré comme influent.

«En Belgique, les gens qu’on connaît sont plus importants que les choses qu’on connaît.»

«J’ai le sentiment qu’en Belgique, les gens qu’on connaît sont plus importants que les choses qu’on connaît», résume Tom Saintfiet, coach belge à succès sur le sol africain qui n’a jamais reçu sa chance dans les divisions professionnelles de son propre pays. Une expérience sur les pelouses nationales semble effectivement être un passage presque obligé, au vu des noms placés à la tête des seize écuries de l’élite belge. Excepté Miron Muslic (déjà adjoint avant sa nomination), Freyr Alexandersson et les renommés Oscar García (ancien joueur du FC Barcelone) et Dirk Kuyt (ex-Liverpool et finaliste de Coupe du monde), les douze autres coachs présents sur les bancs de D1 ont un passé de joueur ou d’entraîneur au sein d’un autre club national. Lors du grand carrousel de l’été dernier, Genk est ainsi aller chercher le coach de Saint-Trond pour remplacer le sien, Wouter Vrancken, parti vers La Gantoise.

Le recours aux datas

Comme pour le recrutement de joueurs, les méthodes des décideurs désespèrent parfois –voire souvent– les cellules de scouting, chargées de scruter le marché dans les moindres détails ou de passer des profils au peigne fin pour un verdict souvent différent de celui qu’elles avaient suggéré. C’est que le choix d’un coach se baserait sur des choses plus abstraites que celui d’un joueur. «Il faut trouver un profil qui, en quelque sorte, permette une fusion entre la culture du club, celle du vestiaire et celle du coach», embraie Kris Van Der Haegen pour résumer la difficulté de l’équation.

Quand il avait nommé Philippe Montanier à la tête de Sclessin, le Standard avait ainsi mobilisé une batterie de chiffres pour «savoir si j’étais compatible avec le club, commentait alors le coach français. C’était comme dans les grandes entreprises. Un processus inhabituel dans le monde du foot, mais qui m’a plu.» Piloté par Benjamin Nicaise et son homme de confiance Christian Schaekels, créateur de la base de données Vision du jeu, le recrutement avait tourné au licenciement quelques mois plus tard, dans une saison marquée par les stades vidés à cause de la crise sanitaire accentuant le côté soporifique du jeu prôné par Montanier. Les chiffres ne savent pas toujours tout prévoir…

Chez les décideurs anglo-saxons guidés par la statistique, on se repose toutefois souvent sur des métriques pour faire des choix. Le logiciel Statsbomb, de plus en plus utilisé par les clubs professionnels, permet ainsi de mesurer l’évolution de la différence entre les expected goals créés et concédés (une évaluation de chaque tir au but en fonction de sa probabilité de finir au fond des filets) suite à un changement d’entraîneur, une donnée jugée essentielle par la plupart des analystes pour évaluer l’impact d’un coach sur son équipe. En Belgique, de telles méthodes restent toutefois marginales, même si certains détails statistiques sont de plus en plus souvent pris en compte, notamment pour évaluer la compatibilité des tactiques passées d’un entraîneur avec le style de jeu qu’un club souhaite imprimer à son équipe.

A Saint-Trond, on a fait le grand écart. L’inexpérimenté Christian Lattanzio a été remplacé par Felice Mazzù et son CV garni de 350 matchs de D1. © BELGAIMAGE

Des risques et des Mazzù

Pourtant récompensée à plusieurs reprises par le passé, notamment quand Courtrai échoue avec «l’ancien» Glen De Boeck avant de réussir un miracle sous les ordres d’un Alexandersson qui ne connaît pas le championnat, la stratégie consistant à trouver la perle rare à l’étranger est bien moins répandue pour les entraîneurs que pour les joueurs. «J’ai déjà remarqué que beaucoup de clubs avaient peur de prendre des risques», diagnostique Kris Van Der Haegen.

En début de saison, probablement enthousiasmé par la réussite de son année passée avec l’inattendu Thorsten Fink sur son banc, le club de Saint-Trond s’est jeté dans l’inconnu avec la nomination de l’Italien Christian Lattanzio. Un début de saison raté plus tard, en grande partie expliqué par le départ des cinq meilleurs joueurs de l’équipe de la saison écoulée, les Canaris ont fait machine arrière. Sur leur banc, on trouve désormais Felice Mazzù et son CV garni de 350 matchs de D1. Une certaine idée du grand écart.

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