De la ligne d’arrivée à la soirée, en coulisses avec Remco Evenepoel: “Il m’a dit qu’il allait s’amuser une dernière fois”
Remco Evenepoel est double champion olympique. Une histoire de porte-vélo de fortune, d’adversaire au bord des vomissements, de célébration à la Ben Shelton et de photo à la Michael Phelps.
La zone d’arrivée est installée au Trocadéro, sur le Pont d’Iéna qui chevauche la Seine pour relier la place à la Tour Eiffel. Les tribunes y laissent échapper une clameur quand, à quinze kilomètres de la ligne d’arrivée, Remco Evenepoel profite d’un passage difficile pour se défaire de son dernier adversaire, le Français Valentin Madouas. Les Belges exultent, les Français se calment, voyant s’envoler sur cette accélération de Remco leur espoir insoupçonné de médaille d’or. Il faut dire qu’il était mince, tant la supériorité du Belge saute aux yeux.
Les doutes reviennent à un peu moins de quatre kilomètres du but. Une crevaison, et des mains qui s’accrochent aux têtes dans les gradins. «Va-t-il tout perdre?», ajoute le speaker pour augmenter la dramaturgie du moment. La réponse est non. Tout ça grâce à un choix crucial posé par l’équipe belge, quelques jours avant la course. Sur les voitures mises à disposition des équipes par l’organisation, les techniciens constatent en effet qu’il faut énormément de temps pour faire descendre un vélo du toit. Le porte-vélo est donc remplacé par un autre, choisi et installé par la fédération. Les consignes d’un commissaire de course italien sciemment niées par Sven Vanthourenhout, le sélectionneur belge, font le reste. La voiture a pris place juste derrière Remco Evenepoel et lui a épargné de nombreuses secondes lors du changement de vélo. Le calme de Kurt Roose, l’expérimenté mécanicien de la Belgique, permet au champion olympique du chrono de repartir au plus vite vers un doublé d’exception.
Même avec cet incident, c’est avec une bonne minute d’avance que le Brabançon franchit la ligne d’arrivée. Il a le temps et le luxe d’une célébration: il descend de son vélo, lève les bras vers le ciel et mime un téléphone qu’on raccroche. Un geste qu’ont déjà vu ceux qui ont suivi sa victoire sur le GP Figueira Champions Classic, course de préparation gagnée le 10 février dernier au Portugal. Jusqu’à ce samedi parisien, c’était sa seule course d’un jour disputée cette saison. Avec un dénouement identique, et la répétition d’une célébration inspirée par le joueur de tennis Ben Shelton. En quarts de finale de l’US Open 2023, après être venu à bout de son compatriote Frances Tiafoe, l’Américain avait lancé ce geste qu’il appelle «Dialed In». Remco apprécie l’idée, comme il le racontera plus tard en conférence de presse: «Je pense que c’est quelque chose de frais, de nouveau. J’espère que vous avez apprécié.»
Remco et les Français
Une fois la ligne franchie, c’est l’heure des émotions et des accolades. Les premières sont pour David Geeroms, le fidèle soigneur d’Evenepoel, et son physiothérapeute Steven Vrancken. Les félicitations du comité olympique belge, rapidement incarné par le président Jean-Michel Saive et le CEO Cédric Van Branteghem, sont plus protocolaires. Des poignées de mains chaleureuses, pendant que le sélectionneur Sven Vanthourenhout peine à retenir ses larmes quand il retrouve David Geeroms.
Ce dernier est le seul à suivre Remco Evenepoel dans un espace où il peut se préparer pour la cérémonie de remise des médailles. Il faut une dizaine de minutes pour qu’il se rafraichisse, enfile son survêtement officiel et revienne aux côtés de Geeroms pour une photo avec lui, l’attaché de presse Guy Vermeiren et un bénévole. En bas des escaliers, Remco se prend la tête entre les mains. Il semble toujours ne pas y croire.
Les consignes pour la cérémonie sont distillées par un régisseur. En attendant, c’est sur une chaise en plastique que le nouveau double champion olympique voit débarquer trois hommes en uniforme, avec un drapeau belge et deux français. Leur attente commence seulement, parce que la cérémonie ne débutera pas de sitôt. Seul sur sa chaise, Remco a le regard dans le vide. Il paraît être ailleurs, comme s’il n’avait pas encore réalisé ce qu’il avait accompli ici. Le Français Julian Alaphilippe, son coéquipier chez Soudal – Quick Step, le sort de sa solitude pour des félicitations émues, tête contre tête, avec une poignée de mains musclée.
Ce sont deux autres français, les médaillées d’argent (Valentin Madouas) et de bronze (Christophe Laporte) qui débarquent ensuite et s’installent sur les deux chaises à côté d’Evenepoel. On entend Madouas raconter qu’il a failli vomir lors des dix dernières minutes passées dans la roue du Belge, tant il devait puiser loin dans ses ressources pour rester au contact. Le sélectionneur français, Thomas Voeckler, est légèrement surpris et complètement admiratif: «Je pensais que Remco aurait peut-être eu un peu de décompression après le contre-la-montre. Il était tout simplement le plus fort. C’était impressionnant.»
Evenepoel voulait encore s’amuser
Les trois médaillés sont prêts, mais apprennent à contre-cœur qu’ils doivent encore un peu patienter. Le président de l’Union cycliste internationale (UCI), le Français David Lappartient, en profite pour venir féliciter ses deux compatriotes. Les compagnes de Madouas et Laporte arrivent aussi, et replongent Evenepoel dans sa solitude. Les mains devant les yeux, l’émotion rejaillit. Il n’a pas encore pu voir sa femme Oumi, et n’y parvient toujours pas quand il jette un œil à l’entrée de sa salle d’attente pour tenter de l’apercevoir.
David Geeroms, lui, est toujours là. Il raconte la réaction de Remco: «Il n’a d’abord rien dit. Il était sans voix. C’est seulement une fois qu’il s’est retrouvé dans la cabine qu’il a parlé. Qu’est-ce que j’ai encore fait ici? Il ne pouvait pas encore le croire et pour être honnête, moi non plus. Je vais seulement réaliser dans les prochains jours ce qu’il a réussi cette semaine. Hier, pendant le massage, il m’a dit qu’il se sentait super bien, et qu’il allait encore une fois s’amuser. Apparemment, il s’est effectivement bien amusé.»
Dans la foulée de son titre olympique sur le contre-la-montre, Remco Evenepoel avait fait ses recherches. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour découvrir que personne, dans l’histoire du cyclisme olympique masculin, n’avait réussi le doublé chrono et course en ligne. «Faire quelque chose que personne n’a encore faire, ça donne un kick supplémentaire à un champion comme lui», poursuit Geeroms, qui voit ce titre comme l’apothéose d’une longue période sur les routes. «Depuis le début du mois de juin, on a rarement été à la maison. Il y a eu le Dauphiné, puis le stage en altitude, ensuite le Tour et enfin les Jeux, sans même parler de la période de revalidation qui a suivi sa chute au Tour du Pays Basque. Il y a eu beaucoup de beaux moments, mais aussi des difficiles. Les gens l’oublient souvent, mais le fait que Remco ait la force mentale de se relever de tels coups durs, c’est une caractéristique qu’on ne trouve que chez les très grands.»
La photo de groupe
Au bout d’une petite demi-heure d’attente, c’est enfin l’heure du podium. Tous les ingrédients habituels sont au rendez-vous: la remise des médailles, l’hymne national chanté par un Evenepoel ému, la main sur le cœur, puis le selfie avec Laporte et Madouas.
Après la cérémonie, le sélectionneur Sven Vanthourenhout insiste pour une autre photo. Tous les membres de l’équipe belge sont conviés, y compris les soigneurs et les mécaniciens. Le président de la fédération Tom Van Damme, ainsi que Jean-Michel Saive et Cédric Van Branteghem sont là aussi. Vanthourenhout veut une photo de groupe avec vue sur la Tour Eiffel. La même qu’une semaine plus tôt suite au contre-la-montre, alors prise sur le Pont Alexandre III. Un symbole à graver dans les têtes de l’esprit d’équipe qui doit toujours régner dans le camp belge.
«Quand il y a eu la crevaison, mon cœur s’est arrêté», rembobine Vanthourenhout alors que le champion olympique peut enfin retrouver Oumi et la serrer dans ses bras. «Nous avons heureusement su rester calmes. Remco était stressé parce qu’il pensait que son avance s’était considérablement réduite, mais nous avons rapidement pu le rassurer depuis la voiture. Immédiatement, la confiance est revenue dans son regard. Après l’arrivée, il m’a remercié pour le travail des derniers jours. Par moments, c’était un peu le chaos dans le village olympique. Rien que pour avoir les matelas des coureurs dans leur chambre, c’était compliqué.»
Visiblement bien installées sur son lit olympique, les jambes d’Evenepoel ont répondu présent pour un plan récité à la perfection. «Nous avions deux scénarios sous les yeux, explique le sélectionneur. Wout (NDLR: van Aert) devait suivre les premières attaques, surtout de Mathieu van der Poel, sur la butte de Montmartre. Remco, lui, devait accélérer dans une autre difficulté, une fois que tout se serait calmé. Nous nous sommes strictement tenus au plan. Surtout quand Wout est venu à la voiture avant la finale et nous a dit: Je pense que Remco est très bien. Tout le monde a alors joué son rôle à la perfection, y compris Wout qui a parfaitement gelé la poursuite.
Remco, deux médailles et une photo
Passé en zone mixte, Evenepoel enchaine les interviews face aux caméras. Même la BBC ou les Américains de NBC veulent la réaction du double champion olympique. Entre deux passages en télévision, il prend la pose avec ses deux médailles d’or autour du cou. La première, celle du chrono, a été amenée par Oumi, pour que Remco puisse éventuellement les porter ensemble face aux photographes. On appelle ça la prévoyance. La confiance, aussi.
Les émotions passées, le Brabançon apparait très calme face à la presse et aux fans. On dirait qu’il vient de gagner la kermesse de Gullegem. Monté dans une voiturette de golf avec le médecin de la fédération Kris van der Mieren et l’attaché de presse Guy Vermeiren, il est désormais en route pour la conférence de presse réservée à la presse écrite.
Remco s’installe, demande aux journalistes rassemblés dans la salle s’ils n’ont pas quelque chose à manger, et reçoit des chocolats récoltés en salle de presse avant de raconter sa célébration, sa crevaison qui donne un «extra spice to the victory», le plus beau mois de sa carrière et le trajet d’Oumi avec la médaille qui lui permet d’imiter son idole de jeunesse, le nageur Michael Phelps, qui avait posé avec ses huit médailles d’or après les Jeux de Pékin.
Il reste encore le contrôle antidopage, qu’Evenepoel rejoint sans oublier de crier à son sélectionneur, à l’interview avec la presse flamande, d’être «là à temps pour la fête», puis le retour au village olympique pour la soirée de fête animée par Average Rob. Avant quelques dernières interviews. «Même CNN a demandé s’ils pouvaient interroger Remco sur le toit de la Belgian House», confie l’attaché de presse Guy Vermeiren. Evenepoel, lui, sait déjà que ses interviews seront plus nombreuses que ses heures de sommeil. C’est le prix à payer pour conclure une journée en or.
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