Un, dos, tres: la trilogie d’Utrecht
Après le Giro et le Tour, Utrecht accueille le départ de la Vuelta cet été. C’est la première ville au monde à recevoir les trois grands tours.
Quand on entre à Utrecht par le nord-ouest, on est accueilli par les deux plus grands champions cyclistes que les Pays-Bas aient connu. Sur la façade d’un immeuble à appartement de la Thomas a Kempisplantsoen, on découvre les portraits de Jan Janssen et Joop Zoetemelk, une fresque peinte en 2015 à l’occasion du départ du Tour. Cette année, l’oeuvre de Daniel Roozendaal a été légèrement adaptée. Aux années des victoires au Tour des deux coureurs (1968 et 1980) et aux maillots jaunes, l’artiste a ajouté les années de leurs victoires à la Vuelta (1967 et 1979) et deux petits maillots rouges.
La Vuelta appartient à tout le monde, c’est pourquoi elle traversera presque tous les quartiers d’Utrecht. » SIMONE RICHARDSON, DIRECTRICE DE LA VUELTA HOLANDA
Avec la banderole « #VamosUtrecht » au-dessus de l’entrée de l’Instituto Cervantes, au coeur de la ville, ce sont les seules référence à la Vuelta, deux mois avant qu’elle ne parte d’Utrecht. « Mais ça va changer », dit alors Simone Richardson. « Des banderoles seront ajoutées aux grands bâtiments, les vitrines et les cafés vont se parer de rouge, des parterres de fleurs formeront le logo de l’épreuve, il y aura des petits drapeaux de la Vuelta et on pourra se photographier dans un coeur qui bat. »
Richardson est la directrice de La Vuelta Holanda, une équipe de 45 collaborateurs et 800 volontaires qui a pour mission principale de mener à bien le départ de l’épreuve aux Pays-Bas. « Unipublic (propriété de l’organisateur du Tour, ASO, ndlr) est responsable de la course, c’est-à-dire de tout ce qu’il se passe à l’intérieur. Pour notre part, nous assurons la sécurité sur les 400 km de la Vuelta en territoire néerlandais: fermeture des routes, rapports avec la police, mobilité, signaleurs, contacts avec les autorités locales afin de faire enlever les obstacles au trafic, etc. »
Hormis la sécurité, La Vuelta Holanda s’occupe aussi des festivités annexes organisées dans le cadre de la Gran Salida. « Le départ de la Vuelta suscite beaucoup d’enthousiasme », assure Richardson. « Deux cents événements auront lieu au cours des cent jours précédant le départ: villages vélo, cinéma espagnol, courses pour les jeunes en collaboration avec le Team Jumbo-Visma, spectacles de groupes espagnols… Le feu est sans cesse avivé, nous pouvons en être fiers. »
Deux cartons de bière
Même si, cette année, le Giro est parti de Budapest et le Tour, de Copenhague, il n’en demeure pas moins étonnant que la Gran Salida du troisième grand tour ait lieu à Utrecht. D’autant que, contrairement au Giro et au Tour, la Vuelta démarre rarement de l’étranger. Ce n’est arrivé que trois fois jusqu’ici: en 1997 (Lisbonne), en 2009 (Assen) et en 2017 (Nîmes). Le Giro, lui, a déjà démarré quatorze fois en dehors des frontières italiennes tandis que le Tour est parti 24 fois de l’étranger.
Le départ de la Vuelta à Utrecht est une conséquence directe de la venue du Tour en 2015 lorsque, sous la canicule, Rohan Dennis s’est emparé du maillot jaune à l’issue du prologue.
Ce Grand Départ était une idée du journaliste radio Jeroen Wielaert et de son compère Jan Fokkens. En 2002, il y a exactement vingt ans, c’est dans un café aujourd’hui fermé que les deux hommes avaient échafaudé leur plan pour faire venir le Tour à Utrecht. Ils avaient pris quelques notes sur deux cartons de bière qu’ils avaient ensuite encadrés et remis au patron du Tour, Christian Prudhomme. Les deux hommes s’étaient inspirés de Gironingen, le départ du Giro en 2002 à Groningen, une initiative de Dick Heuvelman, alors journaliste au Nieuwsblad van het Noorden.
Le départ du Tour 2015 avait été précédé de nombreuses années de lobbying parsemée d’espoirs, de déceptions, de joie et de peines. « En 2008, on avait créé le Business Peloton Utrecht (BPU) », raconte Simone Richardson. « C’est ce même BPU qui, plus tard, a lancé l’idée d’accueillir le départ de la Vuelta à Utrecht. »
Le BPU est une organisation de réseautage qui soutient les grands événements cyclistes, qu’il s’agisse de sport d’élite ou de sport de masse. Son objectif est de rapprocher les gens et de faire bouger les choses. « On y retrouve de grandes entreprises comme la compagnie d’assurance ASR ou l’entreprise de consultance PwC, mais aussi des PME et des patrons de café », dit Richardson. « Tous ont en commun leur passion pour le cyclisme et leur amour pour Utrecht. »
Le BPU s’était également montré très actif lors de la venue du Giro en 2010. Utrecht venait de rater Le Grand Départ – qui avait été attribué à Rotterdam – et avait profité de la Grande Partenza à Amsterdam. C’est ainsi que le 9 mai 2010, l’Américain Tyler Farrar avait remporté, au sprint, la première étape en ligne du Giro, sur la Croeselaan.
En mars 2015, à cent jours du départ du Tour de France, Cor Jansen, alors président du BPU, avait prudemment émis l’idée d’une trilogie des grands tours: le Giro 2010 et le Tour 2015 avaient ouvert l’appétit des gens d’Utrecht. Et si la ville devenait la première au monde à accueillir les trois grands tours?
Dès l’année suivante, en août 2016, une délégation du BPU s’était rendue en Espagne afin de discuter avec les dirigeants de la Vuelta. Les premiers signaux étaient encourageants: chez Unipublic, on ne doutait pas de la capacité de la ville à accueillir un tel événement puisqu’elle avait déjà fait ses preuves avec le Giro et le Tour. Le « seul » problème, c’était le financement (voir encadré).
Un cauchemar
Alors qu’il avait fallu patienter treize ans pour accueillir le Tour, tout est allé beaucoup plus vite pour la Gran Salida. Dès le 12 décembre 2018, la bonne nouvelle était annoncée à l’occasion d’une conférence de presse sur la Domplein: Utrecht allait accueillir le départ de la Vuelta 2020.
« La première soirée de bienvenue, avec les volontaires et les villes traversées, était programmée pour la mi-mars 2020, à cinq mois du départ de la Vuelta », raconte Richardson. « Mais ce premier événement est tombé à l’eau car, ce soir-là, le confinement a été décrété pour les raisons que l’on connaît. Ce fut un cauchemar: soudain, tout s’arrêtait. »
Peu après le début de la pandémie, le directeur de la Vuelta, Javier Guillén, déclarait dans la presse espagnole que l’épreuve aurait lieu aux dates prévues quoi qu’il arrive mais, très vite, d’autres rumeurs surgissaient. Fin avril 2020, les Pays-Bas décrochaient. « Pour les autorités, le fait que les fêtes avec du public étaient interdites fut déterminant », dit Richardson. « Si les objectifs ne pouvaient être atteints, il n’était pas raisonnable d’investir de l’argent public. » La Vuelta 2020 allait finalement avoir lieu du 20 octobre au 8 novembre: 18 étapes au départ d’Irún, au Pays Basque.
Entre-temps, le mandat de La Vuelta Holanda et les contrats du personnel étaient caduques, tout comme les accords de partenariat avec les autorités, les entreprises et les autres organisations. De plus, il n’était pas du tout certain qu’en cas de reprise, on pourrait rassembler un tel bataillon de volontaires. « On n’a jamais formellement évoqué le fait qu’il n’y aurait pas de départ de la Vuelta à Utrecht, mais c’était évidemment une possibilité », dit Richardson.
Début 2021, dès que la pandémie fut sous contrôle, c’est avec la même persévérance que pour la candidature du Tour que La Vuelta Holanda a repris contact avec les Espagnols. Au terme de réunions parfois houleuses – le surcoût provoqué par le report s’élevait à 2,1 million d’euros (dont 250.000 euros pour la ville d’Utrecht) – les autorités ont décidé de repartir de l’avant et, le 26 mai 2021, il était confirmé que la Vuelta 2022 partirait des Pays-Bas. Avec une nouvelle directrice de projet, Simone Richardson.
Passé espagnol
Richardson nous raconte tout ça à un endroit d’Utrecht qu’elle a choisi pour le symbole. Le Kitchen Bar Danel, au sein de la fameuse salle de concert TivoliVredenburg, fera office de village VIP lors du départ de la Vuelta. « Il est possible que vous soyez assis à l’endroit auquel Monsieur Guillén prendra place lors de la présentation des équipes », sourit-elle.
« Les coureurs passeront à vélo dans le centre commercial Hoog Catharijne et seront présentés au public sur la Vredenburgplein. Ils laisseront ensuite leur vélo ici et monteront dans un bateau », dit Richardson. « Ils navigueront ensuite sur le Singel, ce qui donnera des images féeriques. La Vredenburgplein peut accueillir 4.000 spectateurs et ils seront 12.000 le long du canal. Ceux qui pensent qu’accueillir la Vuelta après le Tour ne représente plus rien se trompent: ce sera une grande fiesta. »
C’est le lendemain, le vendredi 19 août, que le signal du départ retentira. Comme lors du prologue du Tour 2015, le départ et l’arrivée auront lieu près la Jaarbeurs. « Mais, cette fois, il s’agira d’un contre-la-montre par équipes, un événement typique de la Vuelta et du jamais vu à Utrecht. Le parcours sera différent également, il n’aurait pas été très original de faire un copier-coller. Le parcours traversera tous les quartiers car la Vuelta appartient à tout le monde, pas seulement aux habitants des soi-disant beaux quartiers. »
En ce qui concerne l’organisation des étapes néerlandaises, Unipublic a laissé carte blanche à La Vuelta Holanda, qui avait déjà l’expérience du Giro et du Tour. « La deuxième étape arrivera à l’Utrecht Science Park, qui abrite l’université et les hautes écoles », dit Richardson. « L’année académique y sera lancée une semaine plus tôt et le week-end de la Vuelta coïncide avec la fin des vacances d’été à Utrecht. Ce sera donc une grande fête. »
L’étape, qui débutera à ‘s-Hertogenbosch, doit également permettre de faire découvrir les alentours vallonnés d’Utrecht. Les premiers points du classement de la montagne seront attribués au sommet de l’Amerongse Berg (69 mètres) où, au printemps dernier, un panneau sur lequel on peut lire « Point culminant de La Vuelta Holanda 2022 » a été dévoilé en présence de Joop Zoetemelk.
La troisième journée, enfin, aura entièrement lieu sur le territoire de la province de Brabant-Septentrional, folle de cyclisme. Elle démarrera et prendra fin à Breda, qui a un passé espagnol avec la Guerre de 80 ans (1568-1648). « La toile de Diego VélasquezLa Reddition de Breda(également appelée Las lanzas, ndlr) est exposé au Prado à Madrid et est aussi connue que La Ronde de Nuit de Rembrandt aux Pays-Bas », dit Richardson.
C’est la première fois dans l’histoire qu’un maillot de leader sera spécialement conçu pour le pays-hôte. » SHARON DIJKSMA, BOURGMESTRE D’UTRECHT
Caravane verte
Le coup d’envoi du programme d’activités a été donné le 12 mai, à exactement cent jours du départ de la Vuelta. Un peloton a roulé de Breda à Utrecht en passant par ‘s-Hertogenbosch. À Utrecht, Joop Zoetemelk a remis un maillot de cycliste à la bourgmestre, Sharon Dijksma (PvdA, parti travailliste). « Le maillot rouge que le leader du classement de la Vuelta portera sur le territoire néerlandais sera frappé du logo des villes et provinces concernées. C’est la première fois dans l’histoire qu’un maillot est conçu spécialement pour un pays », précise Dijksma.
En 2015, lorsque le Tour est parti d’Utrecht, Dijksma n’était pas encore bourgmestre. « Mais c’est bien de voir que nous avons retenu les leçons de l’époque », dit-elle. « Nous n’avons rien changé à la façon dont cet événement avait été organisé, financé et activé. Nous avons fait appel à de nombreux partenaires privés et sociaux, ainsi qu’à nos concitoyens. Nous avons cependant cette fois choisi d’impliquer davantage de provinces et de communes afin de diminuer la charge de travail, les risques et les coûts. » En 2015, LeGrand Départ avait engendré une perte de près de 600.000 euros.
Dijksma insiste sur le fait qu’outre la fête et l’occasion de mettre en valeur une ville qui fête ses 900 ans cette année, le départ de la Vuelta doit aussi avoir un impact à long terme. « Nous organisons cet événement avec de nombreux partenaires en ville ainsi qu’avec les provinces d’Utrecht et de Brabant-Septentrional, les villes de Breda et de ‘s-Hertogenbosch. Le programme d’activités donne l’occasion aux habitants, aux entreprises et aux associations de se retrouver dans l’événement. C’est ainsi que nous créons un réseau en ville mais aussi avec nos partenaires du Brabant. Ça nous aidera lors des futures événements et j’espère que ça inspirera d’autres organisateurs d’événements néerlandais. »
Enfin, Dijksma espère que le départ de la Vuelta inspirera d’autres organisateurs de courses cyclistes, notamment sur le plan de l’écologie. Cette escapade à l’étranger engendre certes des kilomètres en avion supplémentaires, mais la bourgmestre préfère mettre l’accent sur une nouveauté au sein de la caravane publicitaire. « La Vuelta Holanda sera la première course cycliste au monde dotée d’une caravane 100% écologique. Tous les véhicules seront zéro émission (électrique ou hydrogène) et les gadgets distribués seront tous recyclables. »
En tant que ville hôte de grands tours cyclistes, Utrecht aura accompli une trilogie. S’arrêtera-t-elle là ou y a-t-il d’autres plans? « Je pense que nous devons d’abord savourer la Vuelta et le fait d’avoir accueilli les trois grands tours », dit Dijksma. « Nous n’avons pas encore de plans concrets pour de nouveaux événements cyclistes, mais il ne faut jamais dire jamais! »
12.500 places de parking pour vélos
Avec ce deuxième départ de la Vuelta (après Assen en 2009), les Pays-Bas détiennent le record du nombre de Gran Salidas hors Espagne. C’est aussi le pays étranger qui a accueilli le plus de départs du Tour et du Giro. Dans le Spécial Tour 2015 de Sport/Foot Magazine, Jeroen Wielaert, qui avait eu l’initiative du Grand Départ à Utrecht, avait expliqué pourquoi: « Je pense que les Néerlandais vont droit au but, sont de fins négociateurs et qu’ils ne lâchent rien. Ils savent convaincre. »
Pour la bourgmestre Sharon Dijksma, c’est aussi une question de culture du cyclisme. « Le vélo fait partie de notre ADN et Utrecht est une ville de vélo. Chaque jour, 125.000 personnes passent par le centre à vélo pour aller à l’école, au travail, à l’université, à la gare ou au magasin. Ça s’explique en partie par notre histoire: Utrecht a toujours été une ville estudiantine et c’est ainsi que le vélo s’y est implanté. »
Utrecht est généralement très bien classée au Copenhagenize Index, un classement biennal des villes les plus accueillantes pour les vélos. « En 1885, la Maliebaan fut la première piste cyclable des Pays-Bas. Aujourd’hui, c’est nous qui avons le plus de places de parking pour vélos au monde: 12.500 », dit Dijksma. « À l’avenir, nous allons encore renforcer la place des vélos dans la ville, notamment en aménageant des tunnels et des ponts, mais aussi en augmentant encore le nombre de places de parking près des gares et des vieux quartiers. »
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