Belgian Remco Evenepoel pictured with his golden medal after a press conference after the men elite time trial race at the 2024 UCI Road and Para-Cycling Road World Championships, Sunday 22 September 2024, in Zurich, Switzerland. The Worlds are taking place from 21 to 29 September. BELGA PHOTO JASPER JACOBS © BELGA PHOTO JASPER JACOBS

Remco Evenepoel champion du monde: peut-il devenir le meilleur rouleur de tous les temps?

Une chaîne qui a lâché juste avant le départ et un capteur de fréquence qui ne fonctionnait pas ont fait de ce contre-la-montre « le plus difficile de sa vie ». Néanmoins, Remco Evenepoel (24 ans) est devenu champion du monde pour la deuxième fois consécutive ce 22 septembre. Et il y a fort à parier qu’il ne s’arrêtera pas là.

Il avait convenu avec son compagnon d’entraînement Mathieu van der Poel qu’il mettrait les mains en l’air à l’arrivée à Zurich – du moins s’il était sûr de gagner. Aussitôt dit, aussitôt fait, même si cela n’a duré que quelques secondes, car le guidon d’Evenepoel s’est mis à vaciller. Quoi qu’il en soit, un tel geste de victoire est inhabituel dans un contre-la-montre. Surtout quand, comme dimanche, l’écart est inférieur à 10 secondes.

Ce n’est pas unique, puisque Fabian Cancellara l’avait déjà fait avant Evenepoel devant les siens à Mendrisio, en 2009. Il s’était même laissé rouler des dizaines de mètres avant l’arrivée. Son avance était alors bien plus importante : près d’une minute et demie. Cancellara remporte alors le troisième de ses quatre titres mondiaux, qu’il gagne tous les quatre avec plus de 52 secondes d’avance. Il est également devenu champion olympique à deux reprises, en 2008 à Pékin et en 2016 à Rio.

Avec quatre titres mondiaux, seul Tony Martin se rapproche d’un palmarès aussi impressionnant contre le chronomètre. C’est pourquoi un poster est toujours accroché dans le bureau de Cancellara : « Beste Zeitfahrer aller Zeiten » – « Meilleur contre-la-montre de tous les temps ». Ce n’est pas tout à fait injustifié, même si l’expression « de tous les temps » est arbitraire puisque les championnats du monde de contre-la-montre n’ont été organisés pour la première fois qu’en 1994 et que le premier contre-la-montre olympique n’a eu lieu que deux ans plus tard.

L’unique doublé d’or de Remco Evenepoel, à Paris et à Zurich, témoigne d’une force de caractère extraordinaire et d’une soif de réussite inextinguible.

Le meilleur des temps (relativement) récents, en effet. C’est donc Cancellara qui a distribué les fleurs lors de la cérémonie du podium à Zurich dimanche. Entre autres, à un Belge qui a réalisé ce que le Suisse n’avait jamais pu faire : devenir champion olympique et champion du monde du contre-la-montre dans la même saison.

Cancellara n’a même pas essayé, en 2008 et en 2016. Après Pékin, il dit avoir sombré dans une semi-dépression parce qu’il était cité dans une affaire de dopage. En 2016, le contre-la-montre olympique de Rio est même devenu la toute dernière course de sa carrière professionnelle. Le couronnement de sa carrière, mais mentalement, il s’était épuisé à 35 ans.

La faim insatiable de Remco Evenepoel

Evenepoel a dû se passer d’un capteur de fréquence pendant le contre-la-montre. © PRESSE SPORTS

Fait marquant, mais aussi pas fortuit : les quatre autres champions olympiques du contre-la-montre (Miguel Indurain, Viatcheslav Ekimov à deux reprises, Bradley Wiggins et Primoz Roglic) n’ont pas participé aux championnats du monde contre la montre par la suite, à l’automne. La décompression était à chaque fois trop forte. Pour cette seule raison, l’unique doublé d’or de Remco Evenepoel, à Paris et à Zurich, témoigne d’une force de caractère extraordinaire et d’une soif de réussite inextinguible.

D’autant plus qu’il a dû surmonter une baisse de régime physique et mentale compréhensible après les Jeux – sans compter qu’il s’était auparavant épuisé pendant trois semaines dans le Tour, qu’il a terminé à la troisième place. Sans compter qu’il a dû se remettre d’une préparation loin d’être idéale et mentalement éprouvante après sa chute au Tour du Pays basque. Miguel Indurain et Jan Ullrich avaient déjà réussi ce doublé (podium du Tour, médaille d’or du contre-la-montre des Championnats du monde, respectivement en 1995 et 2001), mais ils n’avaient pas remporté l’or deux fois aux Jeux olympiques entre-temps. Ils avaient également commencé la saison très discrètement, alors que cette année, Remco Evenepoel a déjà remporté la Figueira Champions Classic le 10 février et le contre-la-montre du Tour d’Algarve une semaine plus tard.

La qualité qui a permis à Evenepoel de devenir champion du monde pour la deuxième fois consécutive est la même que lors de ses précédents succès

Sans capteur de fréquence

Plus de sept mois plus tard, le voilà qui remporte dimanche son deuxième titre mondial contre la montre chez les pros. Pourtant, il a connu quelques minutes angoissantes juste avant le départ à cause d’une chaîne qui avait déraillé, et Evenepoel a dû se passer d’un capteur de fréquence pendant le contre-la-montre. Plus encore que le premier incident, le second a constitué un handicap majeur. Surtout à notre époque, où la bonne stratégie d’allure est cruciale. Imaginez que vous deviez parcourir 46 kilomètres en voiture, le plus vite possible, sans pouvoir regarder le compteur de vitesse et avec un réservoir de carburant limité. Vous savez que si vous appuyez trop fort sur l’accélérateur, vous risquez de tomber en panne sèche à la fin du parcours. C’est aussi difficile que cela.

Le réservoir vide a failli devenir une réalité pour Evenepoel, qui a dû concéder 12,5 secondes à Filippo Ganna dans les 10 derniers kilomètres – « le contre-la-montre n’aurait pas dû être plus long de cinq kilomètres », a admis le champion du monde après coup. Heureusement, il avait parcouru les 36 premiers kilomètres 19 secondes plus vite que l’Italien. Fait marquant, il a dévalé la pente 9,8 secondes plus vite dans la partie technique, principalement en descente. Plus de temps que lui, pourtant beaucoup plus léger, n’en a pris dans la montée par rapport à Ganna (2,5 secondes). En partie parce qu’Evenepoel, sans capteur de fréquence, avait encore plus de mal à estimer son effort à ce moment-là.

Dans cette descente, il a également été le plus rapide de tous les concurrents. Cependant, l’ancien spécialiste du contre-la-montre Tom Dumoulin avait commenté les qualités de pilotage et de virage du Belge avant les Championnats du monde. Il a réagi (trop) vivement, mais a prouvé le contraire à Zurich. Entre autres, en pédalant le plus longtemps possible dans les virages et les descentes, il a gagné en vitesse « libre ».

Poids plume

La qualité qui a permis à Evenepoel de devenir champion du monde pour la deuxième fois consécutive est la même que lors de ses précédents succès : son gros moteur, associé à une aérodynamique inégalée (exprimée en CdA), ce qui signifie que personne (comparativement) ne peut vaincre la résistance de l’air de manière aussi compacte et aussi rapide avec si peu de puissance. Cela s’est vérifié une fois de plus à Zurich. Malgré la pente au milieu de la course et plus de 400 altimètres, c’était un contre-la-montre pour les coureurs les plus grands et les plus lourds. Cela s’explique en partie par les nombreuses sections en ligne droite où la puissance pure comptait, et par la faible pente des sections en montée.

Qu’il soit plat, comme aux Jeux de Paris, ou un peu plus vallonné, comme à Zurich, Evenepoel n’y voit aucune différence. Sur ses six contre-la-montre de l’année, il n’a perdu que le dernier au Tour de France. © AFP

Il est significatif qu’après le petit et léger Evenepoel (1,71 m et 63 kg), neuf des dix coureurs suivants dans les résultats du Mondial mesurent tous plus de 1,83 m. Dans les six premiers, quatre coureurs dépassent même 1,90 mètre, avec un surplus de 15 kilos ou plus par rapport à Evenepoel. Pourtant, ce n’est que dans le dernier tronçon plat, en partie à cause du problème de capteur de fréquence, qu’il a été plus lent que trois d’entre eux.

Qu’il soit plat, comme aux Jeux de Paris, ou un peu plus vallonné, comme à Zurich, Evenepoel n’y voit aucune différence. Sur ses six contre-la-montre de l’année, il n’a perdu que le dernier au Tour de France, mais il s’agissait d’un contre-la-montre en demi-escalade, après trois semaines de course contre un Tadej Pogacar supérieur à lui. A titre de comparaison, trois médailles d’or mondiales, c’est autant que ce que tous les coureurs ont accumulé depuis la première édition de la Coupe du monde en 1994, avant l’âge de 25 ans. Michael Rogers a été champion du monde deux fois avant cette limite d’âge, Filippo Ganna une fois.

Pour battre Evenepoel à plusieurs reprises dans sa spécialité, il faudra qu’ils soient de très bonne souche.

Un bilan inégalé à 24 ans

Avec six médailles en contre-la-montre aux championnats du monde et aux Jeux olympiques, personne ne s’en approche non plus à 24 ans : Rogers en compte trois, Ganna deux. Cancellara en compte même une seule, avant de remporter son premier titre mondial en 2006, à 25 ans. L’autre quadruple champion du monde, Tony Martin, ne l’a fait qu’avec un an d’avance. Evenepoel a donc de nombreuses années devant lui pour les surpasser et détrôner Cancellara en tant que meilleur rouleur des « temps modernes ». Joshua Tarling, 20 ans (quatrième à Zurich), pourrait être un sérieux concurrent sur des parcours plats et plus courts. Ganna, lui aussi, n’a que 28 ans. Et le Belge Alec Segaert, 21 ans, continuera à progresser.

Sur les parcours plus vallonnés, les montées doivent être vraiment difficiles avant que Tadej Pogacar puisse représenter une réelle menace, comme dans le Tour. Reste à savoir quand et comment les très jeunes spécialistes du contre-la-montre, comme le Danois Albert Withen Philipsen (18 ans) et l’Américain Ashlin Barry (16 ans), atteindront la maturité.

Pour battre Evenepoel à plusieurs reprises dans sa spécialité, il faudra qu’ils soient de très bonne souche. Ou alors, il devra mettre le contre-la-montre lui-même à un niveau beaucoup plus bas, pour s’améliorer en tant que grimpeur, en vue du Tour. Mais même après le Tour de France, il reste encore deux mois pour se concentrer sur les championnats du monde de contre-la-montre.

Anquetil presque imbattable

L’honorable Evenepoel ne se reposera peut-être pas avant d’avoir égalé ou dépassé Fabian Cancellara en termes de nombre total de médailles d’or aux championnats du monde. En termes de pourcentage de victoires contre la montre, il fait déjà mieux que le Suisse (45 % contre 39 %).

La question de savoir si Evenepoel pourra également se considérer comme le meilleur rouleur contre-la-montre de tous les temps est sujette à débat, compte tenu de la tradition limitée des championnats du monde et du contre-la-montre olympique. Dans les décennies précédant les années 1990, le GP des Nations (la Coupe des Nations) était le championnat du monde officieux. Jacques Anquetil l’a remporté pas moins de neuf fois, quatre fois plus que Bernard Hinault, huit fois plus qu’Eddy Merckx. Plus fort encore : Monsieur Chrono a été le meilleur lors de toutes ses participations, la première ayant eu lieu à l’âge de 19 ans.

De plus, face à des coureurs aussi forts que Koblet, Bouvet, Baldini, Poulidor, Altig, Kübler, Fornara, Moser, Saint, Brankart, Rivière ou Graf », précise l’historien du cyclisme Patrick Feyaerts. Certes, pas tous en même temps et parfois le Landenprijs était moins occupé, mais c’est parce que certains coureurs de haut niveau préféraient ne pas être humiliés une nouvelle fois par Anquetil. Il a également remporté sept fois le GP de Lugano – qui était considéré comme la reprise de la Coupe des Nations – et était, également dans le Tour (où le Français a remporté 11 contre-la-montre, nvdr), presque imbattable à moins qu’il n’y ait des cols plus longs sur le parcours.

Pour moi, Anquetil est le plus grand coureur de contre-la-montre de tous les temps, avant Cancellara », déclare Feyaerts. Quant à Evenepoel, il reste à voir si son palmarès contre la montre, en dehors de ses autres victoires, sera jamais riche. Mais même dans ce cas, les époques restent difficilement comparables.

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