Pourquoi les strade Bianche sont la classique cycliste la plus intense de la saison ?
Malgré sa distance plus courte que celle d’autres classiques et son histoire récente, les Strade Bianche sont déjà considérées comme le sixième Monument, à tort ou à raison, par certains amoureux du cyclisme. Sur la base de cinq paramètres objectifs, ce parcours de 184 km mêlant asphalte et chemins de gravier toscans est sans doute le plus intense de toutes les classiques cyclistes.
Un dénivelé positif par kilomètre plus important qu’à Liège-Bastogne-Liège
Les coureurs du peloton peuvent en témoigner. Que ce soit sur les routes toscanes du sud en début d’épreuve ou en vue de l’arrivée à Sienne, cela monte ou descend en permanence. Difficile de trouver beaucoup de mètres de plat sur les 184 kilomètres du parcours des Strade Bianche.
Cela se reflète d’ailleurs dans le dénivelé positif de la course. Selon le compte Twitter Velofacts, la moyenne obtenue par tous les capteurs de ceux qui ont terminé l’épreuve en 2021 était de 3368 mètres D+ (ces chiffres peuvent différer légèrement en fonction des différentes marques de GPS et de leur précision). Ce dénivelé positif est inférieur aux 4260 mètres de Liège-Bastogne-Liège et aux 4519 mètres du Tour de Lombardie, mais la distance des Strade est aussi moindre. Puisque la Doyenne compte 75 kilomètres de plus et la classique italienne 55.
Cela veut dire que par kilomètre de course, l’on monte 18,3 mètres sur les Strade Bianche. C’est donc plus qu’à Liège (16,4 m) et un peu moins que lors de l’édition 2021 d’Il Lombardia (18,9). La classique d’automne offrait son plus gros dénivelé positif de ces dernières années. C’était même la première fois que par kilomètre, il était supérieur à celui proposé par la classique toscane.
Peu de gens le savent sans doute, mais c’est au GP de Montréal, une épreuve qui a un peu disparu de la circulation avec la crise sanitaire, qu’on a le plus grand nombre de mètres de dénivelé par kilomètre de course dans une épreuve World Tour. La classique canadienne propose 19,9 mètres d’ascension par kilomètre (sur les 195 km que proposent le parcours.)
La vitesse moyenne la moins élevée
Entre le départ et l’arrivée à Sienne, il y a onze sections de sterrati qui représentant 63 km sur une distance totale de 184 km, soit 34 % du parcours. En comparaison, le nombre de kilomètres de pavés présents sur le Paris-Roubaix l’année dernière était de 21 % (55 km sur 257,7 km).
La difficulté principale de ces portions de gravel est que les coureurs perdent beaucoup de vitesse dans les montées. Surtout dans une finale avec des pentes particulièrement raides comme celles du Colle Pinzuto (15%) et du Tolfe (18%). Il est aussi assez difficile de pouvoir refaire son retard dans les descentes car le gravier, qui est meuble, les rend particulièrement dangereuses, surtout dans les virages.
C’est pour cette raison que les Strade Bianche sont plus techniques que n’importe quelle autre course du WorldTour. C’est aussi une course extrêmement exigeante sur le plan mental car la concentration doit être permanente.
Tous ces facteurs expliquent aussi la vitesse moyenne étonnamment basse de la course, 37,75 kilomètres par heure lors des dix dernières éditions. A titre de comparaison, les moyennes atteintes sur Liège-Bastogne-Liège et sur le Tour de Lombardie étaient de 39,41 km/h et 39,60 km/h.
Il n’y a que lors de l’édition 2012 des Strade Bianche, remportées par Fabian Cancellara, que la moyenne a été supérieure à 40 km par heure. Mais les coureurs avaient aussi eu droit à six kilomètres de sterrati en moins.
L’édition ensoleillée de l’année dernière, remportée on s’en souvient par Mathieu van der Poel), avait aussi été particulièrement rapide. La vitesse moyenne y a été bien supérieure à la moyenne des dix éditions : 39,36 km/h. Le vainqueur a donc roulé trois kilomètres par heure plus rapidement que lors de l’édition remportée par Tiesj Benoot en 2018. Disputées dans des conditions pluvieuses et sur des chemins de gravier boueux, ces Strade Bianche avaient été accomplies à une vitesse de seulement 36,37 km par heure.
Une classique qui nécessite une puissance élevée
En l’absence d’un long parcours plat, comme c’est le cas dans la première partie du Tour des Flandres ou sur Paris-Roubaix, les Strade Bianche sont animées et difficiles dès le départ. Ainsi, dans les 50 premiers kilomètres, il y a déjà trois chemins de gravier, alors qu’il faut en attendre une centaine avant d’avoir les premiers pavés sur les deux classiques flandriennes.
Cette intensité élevée dès le départ se reflète également dans la moyenne des watts des coureurs à l’arrivée. Le compte Twitter Velofacts a calculé ce chiffre en reprenant toutes les données postées par les coureurs sur Strava. Mais évidemment, il manque quelques données de coureurs issus du top 10, car à l’exception notamment d’un Wout Van Aert, tous ne communiquent pas leurs données de puissance sur le réseau social préféré des sportifs.
La moyenne réelle est donc probablement encore plus élevée que les 315 watts moyens enregistrés sur la dernière édition. C’est deux watts de plus qu’en 2018 et dans aucune autre course d’un jour du WorldTour, les coureurs ne doivent mettre autant de puissance dans leurs coups de pédale.
Une des explications aussi avancée pour expliquer ces chiffres élevées est le plateau relevé et hétéroclite de la classique. On y retrouve un mélange de spécialistes des classiques flamandes et ardennaises ainsi que des cadors des grands tours, comme Egan Bernal (3e) et Tadej Pogacar (7e) l’an passé.
Un peloton décimé
La succession de sterrati pentus aussi bien en montée qu’en descente ainsi de routes à l’asphalte ondulée décime généralement le peloton très tôt. Et ne parlons même pas de la finale avec cette dernière montée très raide vers la Piazza del Campo.
Dans aucune autre course classique, les coureurs sont aussi éparpillés qu’à l’arrivée à Sienne. En moyenne, seuls 4 coureurs sont regroupés en 30 secondes d’écart, 7 en une minute et 12 en deux minutes. Même après les 250 km de Paris-Roubaix, les écarts ne sont pas aussi conséquents et surtout les coureurs arrivent en groupes plus compacts. En moyenne, ils sont 7 à avoir franchi la ligne finale après 30 secondes, 13 après une minute et 17 après deux minutes.
Depuis la première édition des Strade Bianche en 2007, un seul groupe de plus de trois coureurs a franchi la ligne d’arrivée dans le même temps. C’était en 2011, lorsque 18 coureurs ont franchi la ligne dans le sillage du vainqueur Philippe Gilbert. Dans les autres cas, le lauréat est arrivé, soit en solitaire (Van Aert, Benoot, Kwiatkowski, Cancellara), soit en remportant le sprint en petit comité sur la montée de la Via Santa Caterina en direction de la Piazza del Campo (comme Van der Poel l’année dernière).
Lors de l’édition extrêmement chaude du début du mois d’août 2020, le dixième coureur classé est même arrivé à 7’45 » de Wout van Aert. On avait plus vu un écart aussi important entre le premier et le dixième dans les cinq Monuments cyclistes depuis… 1995. C’était à Liège-Bastogne-Liège, en pleine période EPO.
Le plus grand nombre d’abandons et de coureurs hors délais
Une autre des caractéristiques qui marque au fer rouge les Strade Bianche, c’est son nombre de coureurs arrivant hors-délai. Malgré que la classique italienne ne soit longue que de 184 kilomètres, une moyenne de 16,5 coureurs n’a pas été capable d’arriver dans les temps lors des quatre dernières éditions. Même à Paris-Roubaix, la moyenne est un peu plus faible avec « seulement » 12,5 coureurs au-dessus du temps imparti.
Le chiffre des abandons est aussi très élevé quand on regarde les 10 dernières Strade. Depuis 2012, seuls 53 % des coureurs ont été capables de rallier Sienne et ce chiffre tombe même à 48% sur les cinq dernières années.
Dans les quatre autres Monuments du printemps (Milan – San Remo, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix et Liège-Bastogne-Liège), le nombre d’arrivants est beaucoup plus élevé. Ils sont 85% à terminer la Primavera, 61 à boucler le Ronde, 58 à voir le vélodrome de Roubaix et 69 à couper la ligne au Boulevard d’Avroy à Liège.
Seul le Tour de Lombardie provoque plus de dégâts parmi les effectifs au départ avec seulement 46 % de coureurs à terminer la course. Mais ce chiffre s’explique aussi par « l’Octoberitis », c’est-à-dire le fait que l’on soit en fin de saison et que certains coureurs sont plus enclins à baisser pavillon une fois qu’ils ne sont plus dans le coup sur cette course. Le parcours très difficile de la classique facilite aussi la décision.
En conclusion et sur base de tous ces chiffres et données récoltées, l’on peut affirmer que les Strade Bianche sont probablement la classique la plus intense du cyclisme. Elle mériterait, et pas seulement pour le magnifique cadre télégénique proposé par la Toscane et l’arrivée à Sienne, le titre de sixième Monument du cyclisme.
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