Pourquoi les marques s’arrachent Mathieu van der Poel
Mathieu van der Poel est champion du monde de cyclisme dans trois disciplines, a un charisme particulier et une personnalité attachante. Un mélange idéal pour les spécialistes du marketing.
Le 21 avril 2019. Mathieu van der Poel vient miraculeusement de remporter l’Amstel Gold Race. Twitter explose. Les fans de cyclisme et les analystes en font un nouveau dieu du vélo. Lance Armstrong déclare même à ses plus de trois millions de followers que c’est la plus belle course qu’il ait jamais vue. Il fait également l’éloge de van der Poel dans son podcast: «van der Poel sera le plus grand héros sportif des Pays-Bas.»
Le graphique de Google Trends des cinq dernières années montre clairement à quel point cette course a boosté la notoriété du coureur. Au cours de la semaine de la Gold Race 2019, la courbe a dépassé de loin les valeurs mesurées au cours de toutes les années précédentes, malgré ses multiples titres mondiaux en cyclo-cross. Le champion l’a également remarqué au cours des semaines suivantes: «Avant, j’étais beaucoup moins reconnu aux Pays-Bas qu’en Flandre. Ça a complètement changé.»
Depuis cette fameuse Amstel Gold Race, le graphique a encore évolué trois fois, pour atteindre son sommet au départ du Tour de France 2021. Mathieu van der Poel y a remporté une étape au Mûr-de-Bretagne et s’est emparé du maillot jaune. Un privilège que son célèbre grand-père, le Français Raymond Poulidor, n’a jamais pu connaître. La campagne de marketing particulièrement réussie de son équipe, qui avait commandé de nouveaux maillots semblables aux maillots Mercier de Poulidor, n’était évidemment pas étrangère à cet emballement médiatique, déjà décuplé par l’effet de la plus grande course du monde.
Les deux autres pics autour de la notoriété du champion batave étaient teintés d’arc-en-ciel. Un premier souvenir douloureux, quand une nuit animée dans un hôtel de Wollongong, en Australie, en 2022, s’est terminée au cachot. Un deuxième bien plus agréable, lors d’une attaque foudroyante à Glasgow, en Ecosse, conclue par un titre de champion du monde sur route.
van der Poel, ses compatriotes et ses congénères
Son étoile a également brillé de plus en plus fort à l’échelon national. Fin 2019, van der Poel avait déjà été élu sportif néerlandais de l’année. Il n’était alors pas le sportif de haut niveau le plus populaire et le plus connu des Pays-Bas: des célébrités du football telles que Memphis Depay, Frenkie de Jong, Virgil van Dijk, ainsi que le pilote de F1 Max Verstappen et l’icône du patinage de vitesse Sven Kramer le devançaient.
L’écart de notoriété entre le pédaleur fou et ses compatriotes est bien plus important et largement en sa défaveur à l’international. Une conséquence de la taille plus modeste du marché cycliste en comparaison avec le football ou la F1. Cela se reflète, entre autres, dans le nombre de followers sur les réseaux sociaux, aujourd’hui devenu l’étalon pour déterminer la popularité d’un athlète et sa valeur commerciale sur le marché. Sur Instagram, la plateforme la plus populaire, Verstappen séduit 11,5 millions de followers, Frenkie de Jong 12,8 millions, Virgil van Dijk 15,5 millions et Memphis Depay 16,9 millions. Mathieu van der Poel doit se contenter de 1,15 million de fans. Ce chiffre a toutefois plus que doublé depuis octobre 2020, date à laquelle il a remporté son premier Tour des Flandres.
«Avant, j’étais beaucoup moins reconnu aux Pays-Bas qu’en Flandre. Ça a complètement changé.»
Le Néerlandais est désormais le sixième coureur le plus suivi sur Instagram, après Peter Sagan (1,9 million), Nairo Quintana (1,4 million), Tadej Pogacar (1,4 million), Rigoberto Urán (2,4 millions) et Egan Bernal (1,3 million). Tous ces coureurs, à l’exception de Sagan et Pogacar, sont originaires de pays dont la population, et donc la base de supporters, est beaucoup plus nombreuse qu’aux Pays-Bas. En outre, il s’agit de coureurs de premier plan qui ont brillé à de nombreuses reprises dans le Tour de France, la vitrine mondiale du cyclisme, alors que van der Poel n’a remporté, jusqu’à présent, qu’une étape de la Grande Boucle, en 2021. Ce qui a donné un coup de fouet à sa notoriété et à sa popularité, surtout en France.
En Belgique, le travail était déjà fait. Sans doute parce que le cycliste est né sur le sol belge et y vit depuis toujours. Chez ses parents, à Kapellen d’abord, puis avec sa petite amie Roxanne Bertels à ‘s-Gravenwezel, dans la banlieue anversoise. Même l’incident survenu l’hiver dernier au cyclo-cross de Hulst, lorsqu’il a craché sur un spectateur qui le huait, n’a pas endommagé son image au nord du pays, là où le moindre de ses faits et gestes est relayé par la presse et encensé par ses deux groupes de supporters officiels recensés chez nous.
Le style van der Poel
Il faut dire que Mathieu van der Poel a du flow. Même sa coupe mulet, fièrement arborée jusqu’il y a quelques semaines, semble dicter une nouvelle tendance. Il suffit de le voir pour comprendre. Sur le vélo, il mêle l’instinct de tueur qui fait gagner de grandes courses au sens du spectacle d’un champion capable de dynamiter l’épreuve à 70 kilomètres de la ligne d’arrivée. Ce n’est pas toujours réfléchi, mais ça fait le show. Une question de passion, parce que le Batave ne veut pas seulement gagner, mais aussi s’amuser. Le tout en étant capable de se mettre au service de ses coéquipiers, comme il l’a fait avec le sprinter belge Jasper Philipsen lors du dernier Tour de France ou à Milan-Sanremo.
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Une fois descendu de sa monture, «Matje» conserve son style flamboyant sans jamais donner l’impression de se prendre pour une star. Contrairement à un Peter Sagan qui avait créé une véritable machine marketing pour soigner son image, il gère lui-même ses réseaux sociaux. Il publie peu sur X, à l’exception de retweets de son équipe ou de son sponsor, tandis qu’il est beaucoup plus actif sur Instagram, avec des photos et des vidéos de ses courses et de ses séances d’entraînement. Il l’est d’ailleurs encore plus qu’il y a quelques années. C’est l’une des raisons pour lesquelles son nombre de followers a tant augmenté.
Sans jamais défrayer la chronique routière par des excès de vitesse ou des histoires de conduite sous influence, comme avait pu le faire Tom Boonen par le passé, Mathieu van der Poel se fait toutefois remarquer sur la route. Il débarque parfois sur les courses au volant d’une Lamborghini dont il possède un modèle Urus S. La marque italienne est devenue l’un de ses sponsors, notamment par l’intermédiaire de sa petite amie Roxanne qui a travaillé par le passé pour Erik Michiels, le directeur de Lamborghini Antwerp. Un accord similaire à celui qu’il a conclu avec le fabricant de vélos allemand Canyon. Sa polyvalence, qui lui permet d’exceller dans trois disciplines cyclistes, a incité ce dernier à s’engager auprès de l’équipe Corendon-Circus de van der Poel au début de l’année 2018. En juillet 2019, cet engagement a été prolongé par un contrat personnel de quatre ans pour le Néerlandais puis, récemment, de dix ans: cinq ans, au moins, en tant que coureur (ou peut-être plus s’il souhaite s’aligner plus longtemps), et cinq ans en tant qu’ambassadeur. Un accord sans précédent dans le monde du cyclisme.
Le retour sur investissement est garanti, pas seulement à court terme.
Avec van der Poel, Canyon pourra commercialiser plusieurs types de deux-roues: les vélos de route, de cyclocross, les VTT et les vélos de gravel, qui ont connu une forte augmentation auprès du grand public ces dernières années. En prime, van der Poel apporte une contribution précieuse au développement des modèles. Ce n’est donc pas un hasard si le Néerlandais est descendu de son vélo à l’arrivée des Mondiaux de cyclo-cross 2020 à Dübendorf et de leur édition de cet hiver, à Tábor, pour le saluer.
Autre avantage de ces disciplines tout-terrain: le public des courses sur route a en moyenne plus de 50 ans, tandis qu’en VTT, cyclo-cross et gravel, le groupe cible est beaucoup plus jeune, grâce, notamment, aux réseaux sociaux. Christoph et Philip Roodhooft, respectivement chef d’équipe et manager de l’équipe Alpecin de van der Poel, s’engagent pleinement dans cette voie, plusieurs coureurs combinant désormais deux ou trois disciplines. Idem pour l’équipe féminine Fenix-Deceuninck, avec les athlètes Ceylin del Carmen Alvarado et Puck Pieterse.
Le mariage des outsiders
Très vite, c’est donc sous la houlette des frères Roodhooft que Mathieu van der Poel s’est retrouvé en selle. Le Batave a commencé la saison 2009-2010 avec Isorex, une équipe d’entraînement de Gavere, en Flandre-Orientale. Il y a effectué ses deux années de débutant, avant de rejoindre les Roodhooft chez les juniors. Christoph, alors directeur de l’équipe de Niels Albert, était une connaissance du père de van de Poel, Adrie, et avait déjà fourni des vélos à Mathieu et à son autre fils, David. Au cours des années suivantes, Mathieu a roulé pour Boxx-Veldrit Academie, IKO enertherm, BKCP-Powerplus, Beobank-Corendon, Corendon-Circus, Alpecin-Fenix et, depuis 2022, Alpecin-Deceuninck.
Pour Alpecin – marque de shampoing du groupe de cosmétiques Dr Wolff –, ce n’était pas un saut dans l’inconnu. Elle a commencé à sponsoriser le cyclisme en 1949, dans la caravane publicitaire du Tour d’Allemagne puis comme sponsor privé des pistiers lors des Six jours de Munich. Vingt ans plus tard, elle est devenue cosponsor de Batavus et, dans un passé plus récent, Alpecin fut partenaire de Giant pendant deux ans (2015-2016) et de Katusha pendant trois ans (2017-2019). Durant les saisons 2018 et 2019, elle avait misé sur Marcel Kittel, sprinteur de haut niveau, Allemand à la chevelure abondante et travaillée, idéale pour une marque de shampoing. Malheureusement, les résultats n’ont plus suivi, Kittel n’ayant remporté que trois victoires avant de prendre une retraite anticipée.
Alpecin s’est alors mise en quête d’un nouveau partenaire. Compte tenu de son lien avec le fabricant de vélos Canyon (associé à Katusha pendant huit ans), les frères Roodhooft y ont débarqué en juillet 2019. Le directeur du marketing, Eduard Dörrenberg, avait pourtant les dossiers de quatre équipes WorldTour sur son bureau, mais une conversation avec Christoph et Philip Roodhooft, ainsi qu’avec Mathieu van der Poel lui-même, l’a convaincu. Une rencontre entre challengers. D’un côté, une équipe encore continentale (la deuxième division cycliste) mais ambitieuse, dotée d’une vision distincte, claire et multidisciplinaire, en concurrence avec les plus grandes équipes du WorldTour. De l’autre, une marque dont le chiffre d’affaires n’était «que» de 313 millions d’euros à l’époque, en concurrence avec des entreprises milliardaires comme Unilever et L’Oréal. Raison pour laquelle Alpecin n’hésite pas à se présenter comme «l’Astérix des marques de shampoing».
Le Gaulois néerlandais van der Poel s’est avéré être l’ambassadeur idéal d’Alpecin pour renforcer sa position sur le marché au Benelux et en France. Lorsqu’on surfe sur le site Web de la marque, on peut ainsi voir un Van der Poel aux cheveux bien peignés, un flacon de shampooing à la main et invitant le visiteur à se battre pour ses cheveux: «Fight for your hair», dit le slogan.
Mathieu le fidèle
Le retour sur investissement est garanti, pas seulement à court terme. Depuis que le Néerlandais est passé pro chez BKCP-Powerplus le 1er janvier 2014, il a déjà renouvelé plusieurs fois son contrat avec Ciclismo Mundial, l’entreprise des frères Roodhooft. Ceux-ci ont fièrement annoncé il y a peu la poursuite du contrat avec leur poulain jusqu’en 2028. Au terme, van der Poel aura grandi avec l’équipe pendant pas moins de 18 ans. Il y est passé d’un talent à suivre à l’une des plus grandes vedettes de l’histoire de son sport.
Nul ne sait combien lui rapportera ce nouveau contrat de cinq ans. Plusieurs médias avancent un salaire qui serait passé de deux à quatre millions d’euros après son titre mondial à Glasgow. Exagéré? Lors d’une interview accordée à Sporza, Philip Roodhooft, lui, esquive, se contentant d’un vague «à court terme, Mathieu pourrait gagner plus ailleurs, mais le plan à long terme esquissé avec lui, y compris le contrat de dix ans avec Canyon, compense cela.»
L’histoire ne dit pas encore si Mathieu van der Poel soulèvera à nouveau le pavé le plus convoité du cyclisme au cœur du vélodrome de Roubaix, le 7 avril. S’il devait l’emporter, Alpecin et Canyon seraient gagnants à tous les coups. Reste à savoir si la piste roubaisienne est adaptée aux Lamborghini.
«Mathieu pourrait gagner plus ailleurs, mais le plan à long terme esquissé avec lui compense cela.»
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