Pourquoi la victoire d’étape de Thomas De Gendt au Giro était la plus importante de sa carrière ?
La délivrance après les doutes. En s’imposant à Naples ce samedi, Thomas De Gendt n’est pas seulement redevenu le roi de l’échappée que tout le monde connaissait. Sa dernière victoire d’étape dans le Giro est, à plusieurs niveaux, peut-être la plus importante de toute sa carrière. Comment, à 35 ans, Thomas De Gendt a vu Naples et est redevenu vivant. Analyse.
Lorsque Thomas De Gendt a été conduit vers la tente à l’arrivée après sa victoire d’étape ce samedi, il ne désirait qu’une chose : une chaise. Pour récupérer de l’effort physique intense qu’il venait de produire, mais surtout pour se remettre de ses émotions. Les mains devant les yeux et dans les cheveux, il a avalé la boule qui traînait dans sa gorge. Après avoir franchi la ligne d’arrivée en vainqueur, il avait crié si fort qu’on pouvait quasiment l’entendre du sommet du Vésuve qui surplombe Naples.
Cette attitude est totalement compréhensible, après les périodes difficiles et de doute que De Gendt a connues l’année dernière. Il avait beaucoup pris sur lui en essayant de masquer au maximum ses frustrations au monde extérieur. Ces dernières années, il a connu des problèmes de dépression et de couple (on se rappelle qu’à l’époque, il avait renoncé à un Tour de France pour ne pas déplacer la date de son mariage). Malgré cela, le bufle de Sint-Niklaas-Waes a réussi à retrouver le chemin du succès. Il a pu se débarrasser de ses problèmes mentaux en faisant exploser tout le monde dans une échappée au long cours. Comme il l’a récemment expliqué au magazine flamand Humo : « J’ai toujours attaqué parce que je voulais m’enfuir. Away’. »
Le point de rupture a sans doute été atteint lors de la saison 2020 écourtée par la crise sanitaire. Lors de celle-ci, De Gendt a disputé pas moins de 54 jours de course en seulement trois mois, dont l’enchaînement du Tour et du Giro. Ce faisant, il a poussé son corps vieillissant bien au-delà de ses limites.
Il a dépassé ses limites
En 2021, malgré une belle victoire d’étape sur le Tour de Catalogne, le roi des échappées atteint ses limites. Surtout lors du Tour de France où il n’était plus capable d’atteindre la puissance maximale pour prendre une échappée, et encore moins pour gagner s’il avait réussi à accrocher le bon wagon.
Début septembre, le coureur de Lotto-Soudal a mis fin à sa saison et a appuyé sur le bouton de réinitialisation. En espérant qu’avec suffisamment de repos, il pourrait se projeter vers 2022 en n’étant plus qu’un simple figurant.
Mais les derniers mois ne se sont pas non plus très bien passés. Il a eu le covid puis une bronchite juste avant son grand objectif du printemps, le Tour de Catalogne. Après cela, ce fut une intoxication alimentaire au Tour de Turquie. De Gendt ne s’est donc pas présenté au départ du Giro avec une énorme confiance dans les soquettes.
Malgré un stage d’entraînement dans les Vosges, il affirmait qu’il n’arrivait pas au départ en Hongrie dans sa meilleure condition. Même s’il ajoutait aussi que s’il était à 95% de ses possibilités, il aurait une chance de décrocher un bon résultat. Pendant la première semaine, il a principalement dû travailler pour son sprinteur Caleb Ewan.
Prouver qu’il n’était pas fini
Par « un beau résultat », le Flandrien-occidental ne sous-entendait pas vraiment une victoire d’étape, comme il l’a avoué après l’arrivée à Naples samedi. Tout comme il avait répondu « non » avant le début de l’étape à la question de savoir si ce serait une « journée pour Thomas De Gendt ».
Les doutes dans sa tête étaient trop importants. Pourrait-il à nouveau briller un jour et gagner une belle course ? Cette question du monde extérieur hantait beaucoup son esprit.
Jusqu’à ce qu’il prouve que les sceptiques, y compris surtout lui-même, avaient tort, comme il l’expliquait encore dans un tweet après la course. Le coureur de la Lotto-Soudal a triomphé à la De Gendt en combinant une » très bonne journée » avec de la ruse et un coup tactique sur un circuit vallonné dans et autour de Naples qui lui allait comme un gant, avec des pentes pas trop raides.
Ce n’est pas un hasard s’il a ensuite établi une comparaison avec la traditionnelle étape finale du Tour de Catalogne, dans et autour de Montjuïc, à Barcelon. Une course qu’il a déjà remportée à deux reprises et où il avait même battu Matej Mohoric l’année dernière.
Profiter du marquage sur Mathieu van der Poel
Malgré ses bonnes jambes, Thomas De Gendt n’était probablement pas le plus fort ce samedi. Mathieu van der Poel et Biniam Girmay, présents dans l’échappée, avaient montré dans les bosses, tout comme Mauro Schmid, qu’ils étaient probablement les plus costauds. Mais « le vieil homme » avait encore quelques tours dans son sac, comme De Gendt l’a tweeté par la suite, avec la malice qu’on lui connaît.
Il avait compris que l’attention de ses compagnons d’échappée se porterait au maximum sur le Néerlandais et l’Erythréen et non plus, comme ce fut souvent le cas dans les échappées par le passé, sur lui. L’héritage d’une carrière de « roi de l’échappée » lui avait souvent joué des tours il y a quelques années.
Le « Scorpion de Semmerzake » a choisi le moment parfait pour poignarder ses rivaux. Après l’attaque fulgurante de van der Poel à 46,3 kilomètres de l’arrivée.
Il a été brièvement lâché lors de cette dernière, mais ensuite tout s’est ensuite regroupé, et il a profité d’un moment d’hésitation pour se faire la belle avec son coéquipier Harm Vanhoucke et trois autres fuyards. Après quoi, il a commencé à tirer le groupe comme un bufle pour creuser et garder l’écart. Tout le monde voyait cependant encore van der Poel ou Girmay revenir de l’arrière pour se disputer la victoire. Il n’en sera rien puisque le marquage sur le duo a empêché une véritable poursuite de s’organiser.
Perdre n’était pas une option
De Gendt a dit qu’il déroulerait le tapis rouge pour Vanhoucke en se donnant corps et âme dans les relais. Mais lorsque ce dernier a dit que ses jambes commençaient à devenir lourdes, le natif de Sint-Niklaas-Waes a changé d’objectif et s’est concentré sur le sprint final, sachant qu’il dispose d’une petite pointe de vitesse, une qualité souvent sous-estimée chez lui, à cause de sa faculté à souvent s’imposer en solitaire. Lors de sa victoire d’étape dans la Vuelta 2017, il avait pourtant déjà pris le meilleur sur une poignée d’hommes. Contre deux coureurs qui n’avaient jamais gagné une course auparavant, De Gendt était même sûr de sa victoire : » Je ne pouvais pas échouer, perdre n’était pas une option. « Cette confiance retrouvée a également donné à Vanhoucke l’énergie nécessaire pour prendre quelques relais importants dans les derniers kilomètres et emmener le sprint dans les meilleures conditions.
De Gendt l’a conclu avec brio, inscrivant à son palmarès sa dix-septième victoire , dont pas moins de quinze sur le WorldTour. Grâce à une tactique magistrale et à une « très bonne journée », les 344 watts (normalisés) qu’il a pédalés en 3 heures et 38 minutes sont équivalents à ceux qu’il avait poussés lors de sa victoire d’étape épique à Saint-Étienne sur le Tour 2019. Mais ce jour-là, il avait dû parcourir 50 kilomètres de plus.
Valeur d’exemple
En termes de performance physique pure, il avait été encore plus impressionnant, en résistant, après 200 kilomètres d’échappée, au retour de Thibaut Pinot et Julian Alaphilippe déchaînés, qui avaient faussé compagnie au peloton des favoris. Et sa victoire sur les pentes du légendaire Stelvio en 2012 reste certainement son succès plus emblématique, étant donné le lieu de l’arrivée et le contexte d’un classement général.
Pourtant, le triomphe de samedi est sans doute le plus important de l’héritage que De Gendt laissera en tant que coureur.
Parce qu’à 35 ans, dix ans après sa victoire sur le Stelvio, il a prouvé qu’avec un professionnalisme et une passion soutenus, avec de l’expérience, de la persévérance et du travail d’équipe, on peut encore s’illustrer au plus haut niveau, même lorsque vous avez été enterré par les autres, y compris par vous-même.
De cette façon, il reste, (au moins pour les prochains mois) un modèle inestimable pour les jeunes pousses de Lotto-Soudal. La directrice de l’équipe, Cherie Pridham, a affirmé après la course que De Gendt avait guidé ses coéquipiers et compagnons d’échappée Harm Vanhoucke et Sylvain Moniquet pendant la journée et leur avait donné beaucoup de confiance.
La victoire de De Gendt pourrait donc servir de déclic à Vanhoucke, un talent qui a déjà traversé des périodes mentales difficiles.
La résurrection inattendue de Thomas De Gendt lui offre également la perspective d’un avenir et d’un nouveau contrat, que ce soit avec Lotto-Soudal ou dans une autre équipe. Jusqu’à il y a peu, il doutait également qu’il puisse rester dans le peloton professionnel en 2023.
De Gendt reste un coureur apprécié « qui met d’accord tous les fans de cyclisme », comme l’a expliqué la présentatrice d’Eurosport Orla Chennaoui. Son sens de l’humour sur les réseaux sociaux explique aussi la sympathie dont il bénéficie.
Sur son profil, il se présente comme « le cycliste autrefois connu comme le roi de l’échappée ». Mais après que le roi déchu ait vu Naples et soit redevenu vivant, il peut désormais supprimer cet « autrefois ».
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