Jonas Creteur

Pourquoi la domination d’Annemiek van Vleuten dans le Tour de Femmes pourrait être une bonne chose pour le cyclisme féminin

Dans sa quête ininterrompue de la perfection, Annemiek van Vleuten, même à 39 ans, ne cesse de s’améliorer. Le fait qu’elle ait surclassé tout le monde dans les ascensions sur le Tour de France Femmes est surtout révélateur de la grande marge de progression du cyclisme féminin. Cela n’est pas nécessairement une chose négative. Au contraire.

Samedi, il aura fallu attendre 56 minutes et 42 secondes pour que la dernière coureuse franchisse la ligne d’arrivée après la gagnante, Annemiek van Vleuten. Après une étape de montagne difficile de 127 km, comprenant trois cols vosgiens et près de 3000 mètres de dénivelé positif. L’écart entre les coureuses du top 10 était aussi interpellant. Une seule, Demi Vollering avait terminé à moins de 5 minutes de Van Vleuten,- et 8 autres pointaient à moins de 10 minutes. Seulement 17 coureuses avaient rallié l’arrivée à moins de 15 minutes de la maillot jaune.

Pourtant, toutes sont allées jusqu’au bout de l’effort. Parfois bien au-delà de leurs limites. Jusqu’à ce qu’elles s’écroulent sur l’asphalte en sanglotant et en haletant. Même Demi Vollering, émue, a balbutié après coup qu’« une journée n’aurait jamais pu durer plus longtemps », en évoquant sa vaine tentative de suivre le train d’enfer imprimé par Annemiek van Vleuten.

Des commentaires négatifs

Pendant ce temps, la nouvelle porteuse du maillot jaune semblait fraîche et dispo pour répondre aux questions de la presse internationale. Elle venait de réaliser un solo de 62 km en atteignant des puissances (jusqu’à 5,3 watts par kg) qui avaient rarement, voire jamais, été vues dans le cyclisme féminin. Sauf par Van Vleuten elle-même, ou à des époques plus obscures.

Comme attendu, des commentaires négatifs ont donc inondé les réseaux sociaux. Comment la domination écrasante d’Annemiek van Vleuten a montré que cette compétition n’avait pas un vrai niveau.

Même un fervent défenseur du cyclisme féminin a tweeté le lendemain matin qu’il  » serait bon qu’Annemiek ne secoue plus la course dès la première montée « .La Néerlandaise ne l’a pas fait dimanche, en partie à cause de ses nombreux changements de vélo, et parce que le maillot jaune était déjà quasiment assuré. Une accélération au pied de la Super Planche des Belles Filles s’est avérée plus que suffisante pour s’offrir une deuxième victoire d’étape. Cette fois-ci, les écarts derrière la Néerlandaise étaient également plus limités » avec 17 coureuses ont fini moins de 5 minutes derrière la porteuse du maillot jaune. Demi Vollering, une nouvelle fois première dauphine, n’a concédé qu’une trentaine de secondes.

Une machine

La conclusion reste néanmoins la même : personne n’a fait le poids face à la coureuse de la formation Movistar. Pourtant, la Néerlandaise avait presque été terrassée par une infection à l’estomac en début de semaine.

Son directeur sportif, Sebastián Unzué, connaissait la situation de sa coureuse.  » Même à 95 % de ses capacités, Annemiek reste toujours la meilleure. Une personne normale ne se remettrait pas d’une telle maladie. Mais elle n’est pas normale, c’est une machine », affirmait l’Espagnol.

C’est l’une des principales raisons de la domination sans partage de Van Vleuten en haute montagne : son grand talent. Lorsqu’elle a quitté son emploi en 2010, à l’âge de 27 ans, pour devenir coureuse à plein temps, elle a immédiatement remporté la Route de France cette saison-là. C’était à l’époque la course par étapes la plus importante pour les femmes après le Giro. Un an plus tard, elle s’offrait le Tour des Flandres.

Plus tard, elle ajoutera encore un maillot arc-en-ciel sur route, deux titres mondiaux et un titre olympique en contre-la-montre, trois victoires finales dans le Giro Donne, deux fois Liège-Bastogne-Liège, et un autre succès dans la Vlaanderens Mooiste. Un palmarès varié (hormis les titres de contre-la-montre) dont seul un Eddy Merckx peut se vanter.

La quête constante de perfection

Outre une concurrence plus limitée et son extraordinaire talent, Van Vleuten doit ses succès à l’explication qu’elle a donnée ce samedi après sa victoire d’étape. Elle s’astreint un régime d’entraînement sans équivalent chez les femmes. Parce qu’aucune ne peut se le permettre et personne ne peut simplement le faire.

Elle passe jusqu’à quatre-vingt-dix jours par an en haute altitude, faisant constamment la navette entre Andorre, Livigno, le volcan Teide à Tenerife, et même la Colombie. Outre la paix mentale que la Néerlandaise y trouve, elle a surtout renforcé ces dernières années ses fondations physiques, qui sont désormais en béton armé.

Van Vleuten peut tellement se faire mal, que même à 39 ans, elle peut continuer à s’améliorer encore un peu. Même son entraîneur Louis Delahije a été surpris de constater qu’au cours du dernier Giro, elle a pédalé à des valeurs encore plus élevées que la saison dernière, lorsqu’elle était devenue championne olympique du contre-la-montre.Plus encore que les victoires, c’est la quête d’une perfection encore plus parfaite qui est le principal moteur de van Vleuten.

Gagner est donc la conséquence (presque) logique de ce processus. Un processus sur lequel van Vleuten a fait un commentaire important samedi. Elle a atteint un niveau qui est (pour l’instant) inaccessible aux jeunes coureuses, grâce à toutes ses heures et ses années d’entraînement. Son régime ne peut pas non plus être une norme pour elles, car elles s’entraîneraient probablement jusqu’à la mort et seraient vidées une fois en compétition.

Plutôt que de souligner que Van Vleuten est trop dominante et qu’elle enlève tout suspense dans les courses,on pourrait peut-être d’abord souligner son approche hyper-professionnelle (avec « cinq pour cent de relaxation » comme elle l’a expliqué dans l’émission « Vive le Vélo »), ainsi que son charisme en dehors du vélo. Cela peut servir d’exemple à court, moyen et long terme à d’autres jeunes femmes.

Elle encouragera aussi sa dauphine Demi Vollering, qui n’a jamais que 25 ans, et bien d’autres à devenir elles-mêmes encore meilleures, en fonction, bien évidemment, de leurs qualités intrinsèques.

Héritage

Le fait que Van Vleuten et Marianne Vos, elle aussi âgée de 35 ans (avec deux victoires d’étape et le maillot vert sans oublier le port du maillot jaune), aient été les deux principales actrices de ce premier Tour de France féminin officiel est donc la meilleure chose qui pouvait arriver au cyclisme féminin.

La bataille pour le maillot jaune lors du dernier week-end n’a pas été passionnante, mais qu’importe. Ce Tour a été une étape cruciale dans le développement du cyclisme féminin. Il a dépassé les attentes en termes de chiffres d’audience, de spectateurs présents sur le bord de la route et d’attention dans les médias.

À long terme, lorsque Van Vleuten aura rangé son vélo au clou au terme de la saison 2023, et Vos dans x années, cela ne fera qu’élever le niveau du cyclisme féminin. De nombreuses autres coureuses atteindront ou approcheront aussi le niveau actuel de Van Vleuten en haute montagne.

Ainsi, les organisateurs d’ASO ne devront plus hésiter avant de programmer des étapes dans les Alpes ou les Pyrénées, de peur que l’écart avec 90 % du peloton ne devienne trop important.

En plus de son palmarès impressionnant, ce sera l’héritage d’Annemiek van Vleuten. Et plus que sa détermination, c’est aussi cela que nous retiendrons dans dix ou vingt ans.

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