
Pogacar contre Van der Poel: c’est sûr, c’était le plus grand duel de l’histoire des classiques
Mathieu van der Poel et Tadej Pogacar ont offert aux fans de cyclisme un duel de très haut vol sur Milan-Sanremo. Le meilleur de l’histoire des monuments?
L’histoire de cette édition 2025 de Milan-Sanremo tient en une scène, dans les coulisses de la course. A l’arrière-scène du podium, peu après l’arrivée, les deux rivaux sont assis côte à côte. Epuisés, mais souriants. Mathieu van der Poel regarde Tadej Pogacar et lui dit: «Je pensais pouvoir te faire craquer, mais non!» Un grand éclat de rire s’ensuit. Pogacar avoue: «Il s’en est fallu de peu, j’ai failli lâcher prise». Ce à quoi le Néerlandais, visiblement surpris, rétorque: «Ah oui? J’étais moi aussi à la limite».
Tout est là, dans ces quelques phrases: le respect mutuel, la différence infime entre la victoire et la défaite, et deux champions qui ont chacun repoussé leurs limites physiques et mentales.
Le plan d’attaque mis en œuvre: all-in sur la Cipressa
Que Mathieu van der Poel soit à la limite, c’est logique. Après tout, Tadej Pogacar et son équipe avaient mis en œuvre le plan dont le Slovène avait déjà parlé lors du stage d’entraînement de l’équipe en décembre: aller à fond sur la Cipressa et la gravir en moins de neuf minutes. Une montée qui fait rarement la différence, mais qui allait être la clé.
C’était prévu, c’est fait. Mais pas sans faille: Vegard Stake Laengen, Domen Novak et Nils Politt pédalent déjà à perdre haleine avant la Cipressa. Pogacar est trop loin lorsque la montée commence. Et son jeune coéquipier Isaac Del Toro disparaît même complètement, lessivé au pied de la Cipressa.
Tim Wellens, comme convenu, se met à plat ventre pour une accélération fulgurante de 2 minutes et 40 secondes. Il est suivi par Jhonatan Narváez, qui continue à étirer le peloton pendant une minute et demie.
Trois kilomètres avant le sommet, Pogacar s’élance. Avec sa première attaque, le Slovène fait sauter tout le monde sauf Van der Poel, Filippo Ganna et le Français Romain Grégoire.
Un kilomètre et demi plus tard, il récidive. Van der Poel mord à l’hameçon, Ganna le rejoint également juste avant le sommet, après avoir été lâché à plusieurs reprises. Temps au sommet de la Cipressa: 8 minutes et 55 secondes. L’ascension la plus rapide de tous les temps. Objectif atteint, mais Pogacar a un problème: Van der Poel est toujours dans sa roue.
Dans la dernière ascension, le Poggio, le champion du monde lance une nouvelle série d’attaques contre le Néerlandais: quatre au total, en utilisant toute la puissance de son corps. Le surhomme slovène boucle ainsi les 1.800 premiers mètres du Poggio en étant le plus rapide de tous les temps. Mais cela demande des efforts. On l’a rarement vu serrer autant la mâchoire.
Ganna doit lâcher prise, mais Van der Poel ne cède pas. Au contraire. Avec la bravade des plus grands, il contre-attaque. A 500 mètres du sommet. Une attaque venue de nulle part. Pogacar vacille, mais s’accroche. De justesse, avouera-t-il plus tard. Van der Poel assène au Slovène un coup de massue mental. Il sait que sa première arrivée se situe au sommet du Poggio. Après tout, à l’arrivée, il est le plus rapide. Même Ganna, qui peut revenir dans la descente, ne peut pas changer cette certitude.
Comment Pogacar a perdu le sprint avant même qu’il ne commence
Cela devient également une réalité sur la Via Roma, mais d’une manière inattendue. Van der Poel sait qu’en raison de sa plus grande explosivité, tout le monde s’attend à un sprint plus court. Après avoir regardé seize fois derrière lui, il surprend avec un sprint à 300 mètres de l’arrivée. Il s’est entraîné spécialement pour cela l’hiver dernier, ajoutant une nouvelle arme à son arsenal. De plus, Pogacar commet une erreur en laissant quelques mètres entre lui et Van der Poel. Il est déjà battu avant même le début du sprint. Ganna se tient lui aussi à deux ou trois mètres du Néerlandais.
Van der Poel se prend alors la tête, se tape les mains devant les yeux et réalise: c’est une de ses plus belles victoires. Une victoire de sang-froid. Celle d’un coureur au sommet de ses capacités physiques. Et qui, ayant déjà gagné tout ce qu’il voulait gagner, court plus que jamais avec un esprit libre et lucide.
Milan-Sanremo réécrit: un plan sur la Cipressa
Résultat: un combat titanesque entre deux champions qui n’ont pas peur de perdre, mais qui veulent gagner gros. Jouer au poker n’était pas possible, même si Pogacar aurait pu essayer dans les deux derniers kilomètres. Même Filippo Ganna, qui a donné du piment à ce duel, a roulé à fond. Cela lui a même valu la deuxième place au sprint, devant Pogacar.
Ainsi, les trois ont réécrit le scénario d’une classique du cyclisme longtemps restée dans le même schéma. Soit un sprint massif, soit une attaque depuis le Poggio. Lancer une offensive depuis la Cipressa, la montée introduite en 1982, ne s’est produit que cinq fois dans le passé. La dernière fois, c’était en 1996, avec la victoire de Gabriele Colombo. Souvent, l’élément de surprise a joué un rôle, ou les mauvaises conditions météorologiques.
Aujourd’hui, tout le peloton s’attendait à une attaque sur la Cipressa. Seul un coureur de la trempe de Pogacar parvient à exécuter un tel plan sans faille, sans opposition, à l’exception de celles de Van der Poel et de Ganna.
Van der Poel et Pogacar: le duel qui marque l’histoire du cyclisme
Un tel duel est-il unique dans l’histoire du cyclisme? L’a-t-on déjà vu? Les chiffres sont un bon point de départ: avant le départ de Milan-Sanremo, Van der Poel et Pogacar avaient remporté 12 des 17 derniers monuments, soit 70 %.
En outre, chacun d’entre eux a également remporté l’un des deux derniers maillots arc-en-ciel, l’autre terminant à chaque fois à la troisième place. A cela s’ajoutent les trois victoires de Pogacar sur le Tour et une sur le Giro, ainsi que ses nombreux autres triomphes. Tout comme le gigantesque palmarès de cyclocross de «MvdP» ajoute un cachet supplémentaire à son statut.
Deux phénomènes aussi dominants dans les classiques en quelques années, s’affrontant mano a mano dans un monument du cyclisme, après des attaques réciproques jusqu’à l’arrivée? Avec en plus un palmarès où tous deux ont au moins six monuments et un titre mondial chacun? Cela ne s’est jamais produit auparavant.
Patrick Feyaerts, historien du cyclisme et auteur du magazine numérique Waaiers, ne peut citer, après mûre réflexion, que deux exemples de monuments qui s’en rapprochent. Lors de Paris-Roubaix en 1975, Roger De Vlaeminck a remporté le sprint devant Eddy Merckx, André Dierickx et Marc Demeyer. Merckx avait alors 17 monuments à son palmarès, était champion du monde en titre et avait déjà remporté cinq fois le Tour et le Giro. De Vlaeminck comptait alors cinq victoires dans des monuments, mais aucun titre mondial.
Ce n’était toutefois pas un vrai duel comme celui entre Van der Poel et Pogacar. «Merckx n’a vraiment attaqué qu’une seule fois –en vain– et De Vlaeminck n’a même pas attaqué. Il a attendu le sprint. D’ailleurs, ils étaient quatre». Même dans d’autres monuments, comme lors de ses sept victoires à Milan-Sanremo, Merckx n’a jamais eu à livrer une bataille acharnée contre un rival. «Soit Eddy était si bon qu’il arrivait seul, soit il n’était suivi que par un coureur en charge, comme une remorque. Si Eddy était moins bon, plus de concurrents le suivaient et il pouvait ou non être battu au sprint ».
Comment Van Steenbergen a battu Coppi
Feyaerts creuse un peu plus dans sa mémoire et tombe sur Paris-Roubaix 1952. Un duel direct entre le meilleur coureur de sa génération, Fausto Coppi, et le meilleur coureur classique de cette génération, Rik Van Steenbergen. «Coppi a attaqué à plusieurs reprises, mais n’a jamais pu lâcher Van Steenbergen. Ce dernier savait qu’il gagnerait le sprint et n’avait pas besoin d’attaquer lui-même. Il ne voulait pas non plus prendre le risque de s’exposer à un contre. C’est ce qu’a fait Van der Poel contre Pogacar».
De plus, les palmarès de Coppi et Van Steenbergen avant Paris-Roubaix 1952 n’étaient pas encore comparables à ceux de Pogacar et Van der Poel avant Milan-Sanremo 2025. Le Belge comptait un titre mondial et trois monuments, tandis que Coppi avait neuf monuments, une fois le Tour et trois fois le Giro à son actif.
Le meilleur duel de tous les temps
Conclusion: si l’on tient compte de leur palmarès et de leur statut, ainsi que de la manière dont Mathieu van der Poel et Tadej Pogacar se sont affrontés, on peut attribuer à leur duel de Milan-Sanremo 2025 le titre de combat le plus épique de l’histoire des classiques cyclistes.
Un duel entre deux champions à leur apogée, chacun avec un style unique: Pogacar l’attaquant inarrêtable et meilleur grimpeur, Van der Poel le maître du contre explosif. Un duel qui sera raconté aux générations à venir.
Et ce n’est peut-être qu’un prélude. Bientôt, le Tour des Flandres nous attend. Qui sait si –avec Wout van Aert comme troisième protagoniste?– nous écrirons le prochain chapitre d’une saga qui transcende déjà le cyclisme.
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