Tadej Pogacar a lancé sa saison européenne avec une victoire sur les exigeantes Strade Bianche. © BELGA PHOTO DIRK WAEM

Pogacar à Paris-Roubaix: son plan pour réussir un 10/10 que même Merckx n’a pas accompli

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Tadej Pogacar disputera Paris-Roubaix pour la première fois de sa carrière.  Une étape importante pour, d’ici à 2028, réussir un exploit inédit dans l’histoire du cyclisme.

Au cœur des années 2010, on parlait déjà d’un homme venu de l’est de l’Europe. Un citoyen d’un pays a priori bien éloigné des préoccupations vélocipédiques, mais dont le style hors norme était pourtant appelé à révolutionner un cyclisme aussi vieillissant que sa fanbase. En une décennie de flamboyante domination, Peter Sagan a garni son palmarès de sept maillots verts sur le Tour de France, trois tuniques arc-en-ciel de champion du monde et deux «monuments», ces courses d’un jour qui brillent plus que les autres dans le calendrier cycliste –le Tour des Flandres en 2016, puis Paris-Roubaix deux ans plus tard. Pas de Milan-Sanremo, donc.

En jetant un œil sur le profil de celle qu’on surnomme «la Primavera», le Slovaque avait pourtant toutes les cartes en main pour lever les bras dans le nord-ouest de l’Italie. Une pointe de vitesse capable d’égaler les meilleurs sprinters du peloton, couplée à une aisance dans les pourcentages qui rendait impossible la mission de se débarrasser de lui dans la Cipressa ou le Poggio, les deux difficultés majeures de la fin de parcours. Le profil d’un multiple vainqueur en puissance. Entre 2012 et 2021, Sagan a d’ailleurs conclu neuf des dix éditions de la course italienne dans le Top 10, finissant même sept fois parmi les quatre premiers. Jamais, pourtant, il ne sera parvenu à épingler le premier monument de la saison à son palmarès, le tracé long mais «facile» de l’épreuve laissant trop de place à une fin de course incontrôlable et donc à un vainqueur inattendu.

Tadej Pogacar vient de l’Est, comme Peter Sagan. Il rebat les cartes du cyclisme, comme lui. Bien plus fort, même. Parce que le Slovène, dont la mèche dépasse du casque, a déjà dévoré une bonne partie des courses majeures du calendrier. L’an dernier, il a ajouté le Tour d’Italie et les Championnats du monde à un palmarès qui comptait déjà un grand tour (celui de France, remporté à trois reprises) et trois des cinq monuments –le Tour des Flandres, Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie. Particulièrement soucieux de l’histoire de son sport, le glouton du peloton compte désormais s’attaquer, à court ou moyen terme, aux quatre épreuves majeures encore absentes de son palmarès. S’il devra attendre 2028 pour un éventuel sacre olympique, après avoir brillé par son absence à Paris l’été dernier, qu’il ménage le suspense quant à une première participation à Paris-Roubaix ou à un retour sur la Vuelta après sa révélation au monde du vélo en 2019 (il avait remporté trois étapes et fini sur le podium), Milan-Sanremo était sa première grande proie de l’année 2025.

«Tadej veut gagner Milan-Sanremo à tout prix; nous ferons tout pour le mettre dans les conditions idéales.»

L’obsession Sanremo

«J’ai déjà été proche de la remporter à plusieurs occasions, mais c’est l’une des plus difficiles à gagner pour moi», avouait le Slovène au micro de RMC Sport, dans l’émission Bartoli Time. Cinquième en 2022, quatrième l’année suivante et troisième en 2024 et 2025, Pogacar se rapproche, mais souffre pour faire la différence sur une fin de parcours pas suffisamment ardue pour que la victoire se joue à la pédale dans les dénivelés du Poggio. Il faut une bonne pointe de vitesse, et le meilleur coureur du monde n’est pas le moins doté en la matière, mais aussi un brin de chance. Il a ainsi à la fois tout pour jouer la gagne et pas assez de capacités d’attaque ni de watts dans les jambes pour distancer les plus rapides du peloton. Le profil d’un homme toujours placé mais jamais gagnant que Pogacar, en compagnie de sa puissante équipe UAE Emirates, veut tenter de contredire un jour. Cela n’est pas passé loin lors de l’édition 2025, quand seuls Filippo Ganna et surtout Mathieu van der Poel ont accroché sa roue sur les pourcentages de la Cipressa.

La classique italienne est la plus facile, mais peut-être aussi celle qui pourrait résister le plus longtemps au Slovène sur sa route vers la conquête des cinq monuments. Tadej Pogacar en avait déjà pris le départ à trois reprises, contrairement à un Paris-Roubaix qu’il n’a jamais couru. En début d’année, une vidéo postée sur ses réseaux sociaux et filmée par son lieutenant Tim Wellens a lancé la rumeur d’une apparition inattendue sur les pavés. On y voit la star de l’équipe UAE pédaler, plein d’aisance, sur le mythique secteur de la trouée d’Arenberg, l’un des secteurs les plus difficiles de «l’Enfer du Nord».

«J’ai fait une reconnaissance, et je dois dire que ça a attiré mon attention», admet le champion du monde, créant une vague de frayeur dans les rangs de son équipe, tant les risques de chute sont sans doute plus élevés que les chances de victoire pour leur figure de proue. Le manager Mauro Gianetti tente de le dissuader de mettre la course à son agenda dès cette année, mais Pogacar est du genre persuasif: ce mercredi 26 mars, l’annonce de sa première participation à l’Enfer du Nord tombe. Forcément, le nouveau cannibale ne se présentera pas sans ambitions. Là aussi, son profil est sur papier moins adapté que ceux de Mathieu van der Poel ou Wout van Aert pour triompher sur le vélodrome de Roubaix, mais la trajectoire d’un Philippe Gilbert, passé au fil des ans de vainqueur de Liège-Bastogne-Liège à lauréat de «l’Enfer du Nord», inspire forcément le Slovène.

La chasse aux records pourrait donc prendre une nouvelle dimension dès cette année, puisque la Vuelta pourrait être au programme de la fin de saison du champion du monde. Si le Tour de France se passe sans accroc (et avec une quatrième victoire finale?), les probabilités de voir Tadej Pogacar à Turin au départ –italien– de la Vuelta sont importantes. Et avec dix arrivées au sommet au menu, difficile de ne pas voir le troisième de l’édition 2019 comme immense favori pour ramener la tunique rouge de leader à Madrid au soir du 14 septembre.

La chasse au Cannibale

Un sacre sur la Vuelta lui permettrait d’intégrer le cercle restreint de ceux qui ont remporté les trois grands tours. Une caste de sept champions, dont trois au cours des 20 dernières années (Alberto Contador, Vincenzo Nibali et Christopher Froome), pas aussi sélective que ceux qui sont parvenus à inscrire les cinq monuments du calendrier à leur palmarès. Ils ne sont que trois, tous Belges: Rik Van Looy, Roger De Vlaeminck et, évidemment, Eddy Merckx –le «Cannibale» présentant aussi la particularité de faire partie de ceux qui ont gagné les trois grands tours.

Triple champion du monde, Merckx a donc remporté les neuf courses les plus importantes du calendrier cycliste annuel. Tadej Pogacar est encore à trois longueurs, et rêve de moins en moins secrètement de résorber son retard. D’ici à trois ans, il pourrait même faire mieux. Il faudrait pour cela encore être au sommet de sa forme à l’été 2028, au moment des JO de Los Angeles. Disputée une fois tous les quatre ans, la course aux anneaux n’a jamais été remportée par Eddy Merckx, car réservée aux amateurs à l’époque. En 1964, juste avant de passer professionnel, le champion belge avait toutefois participé aux Jeux de Tokyo et manqué le titre en raison de crampes qui l’avaient frappé à quelques kilomètres de l’arrivée.

C’est donc là qu’il reste à Pogacar la place pour faire mieux. La voie du 10/10 commençait à Milan-Sanremo, là où Merckx s’est imposé à sept reprises. Le Slovène s’y est encore cassé les dents contre un Mathieu van der Poel qui pourrait une nouvelle fois le priver d’une avancée sur la route de son grand « 10 », tant il sera favori sur les routes pavées du nord de la France. Pogacar y fera ses premiers pas, et sera forcément scruté de près.

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