
Peter Sagan a-t-il toujours envie d’avoir envie?
Il a déjà été champion du monde à trois reprises, et cette fois encore, le parcours dans le Yorkshire est taillé sur mesure pour lui. Pourtant, certains sont sceptiques à propos de Peter Sagan. Ces doutes n’ont pas cessé depuis le début de l’année.
Le décor, depuis les crètes, est spectaculaire. Des deux côtés, un lac brille sous les rayons du soleil. Tout autour, on découvre de vertes collines, parsemées de conifères. A Park City, l’un des sites qui ont accueilli les Jeux Olympiques d’hiver de Salt Lake City en 2002, le Yorkshire semble bien loin, même si nous sommes déjà le 10 septembre.
Peter Sagan redescend la montagne sur son VTT, en empruntant ces chemins bosselés. Il semble s’amuser. Peter l’Acrobate, Peter l’Amuseur, Peter l’Insouciant : l’ancien champion du monde est tel qu’on le connaît depuis des années. Ou plutôt : tel qu’on pense le connaître. Car, depuis un an, l’image que l’on se fait de lui a changé.
Le populaire Slovaque a été disséqué de manière presque psychoanalytique dans la presse. La conclusion est sans appel : s’il fallait en croire les médias, Sagan n’aimerait plus son métier, il ne serait plus capable de se surpasser, donnerait des signes de burn-out.
On a essayé, en vain, d’expliquer ce qui n’allait pas avec Sagan. Car, que Sagan n’était plus Sagan, cela sautait aux yeux, non ? Le Slovaque a bouclé la saison des classiques printanières avec une seule victoire à son tableau de chasse : une étape du Tour Down Under, le 17 janvier.
Une moisson aussi pauvre, cela ne lui était arrivé qu’une seule fois depuis le début de sa carrière professionnelle, en 2010 : c’était en 2015, lorsqu’il s’était adjugé une victoire d’étape dans Tirreno-Adriatico.
Ce printemps 2015 l’avait incité à changer radicalement son fusil d’épaule. Sur les conseils de son manager Giovanni Lombardi, Sagan avait mis un terme à sa collaboration avec l’entraîneur américain Bobby Julich pour travailler sous la direction de Francisco ‘Patxi’ Vila.
Sous l’impulsion du Basque, le Slovaque a inclus des stages d’altitude dans son programme de préparation. Une nouvelle approche qui a porté ses fruits. Fin 2015, après un stage aux Etats-Unis, il a remporté à Richmond le premier de ses trois titres mondiaux consécutifs. Et, au printemps suivant, il a inscrit son nom au palmarès d’une première classique monumentale : le Tour des Flandres.
Compteur bloqué
Depuis lors, Sagan a remporté chaque année au moins une classique printanière flandrienne et est devenu une référence en la matière, plus encore que Greg Van Avermaet. Jusqu’à cette année, donc, lorsque le compteur est resté bloqué. Le trône de Sagan, devenu vacant, a été rapidement pris d’assaut par le nouveau phénomène Mathieu van der Poel, le Sagan des Pays Plats.
Sur les sept courses d’un jour dont Sagan a pris le départ au printemps de cette année, il n’en a terminé aucune sur le podium. Cela lui était déjà arrivé en 2015, lorsqu’il avait disputé les classiques » comme une serpillière « , selon sa propre expression. Un chemin de croix qui s’est poursuivi dans les classiques ardennaises, où il n’avait pas atteint l’arrivée pour deux d’entre elles et où il avait déclaré forfait pour la troisième.
» Bien sûr, nous espérions une plus belle moisson au printemps, mais il faut regarder plus loin que les résultats « , affirme le directeur sportif et sélectionneur de l’équipe nationale slovaque, Jan Valach. » A Milan-Sanremo, Peter était passé au sommet du Poggio en deuxième position, derrière Julien Alaphilippe, et il s’était classé quatrième au sprint. Il a donc lutté pour la victoire.
A l’E3, il faisait partie du groupe des favoris derrière Bob Jungels lorsqu’il a dû lâcher pour une problème technique dans la dernière côte. Que pouvait-il encore faire à 20 kilomètres de l’arrivée ? A Gand-Wevelgem, il s’est porté à l’offensive toute la journée, mais le vent contraire dans la dernière ascension du Mont Kemmel a ôté toute chance à l’échappée de cinq coureurs ( Kristoff s’est imposé au sprint, ndlr).
Au Tour des Flandres, il faisait partie du groupe des favoris dont Alberto Bettiol s’est échappé. Et dans Paris-Roubaix également, il a montré qu’il était costaud et a lutté pour la victoire jusqu’au dernier tronçon pavé. Il était confronté à une situation difficile dans un groupe qui comprenait deux coureurs Quick-Step ( Gilbert et Lampaert, ndlr). »
Trop, c’est trop ?
Même un champion ne peut pas toujours apporter une réponse claire et nette lorsqu’un contretemps servient au plus mauvais moment, dit Valach. » Peter était en pleine forme et prêt à briller au printemprs lorsque, juste avant Tirreno-Adriatico ( à la mi-mars, ndlr), il est tombé malade durant le stage d’altitude. A cause de ce virus à l’estomac, il n’a pas enfourché son vélo pendant sept jours.
Une période cruciale pour la construction des bases, ce qui explique que dans les premières classiques, il faiblissait après 240 kilomètres, dans les moments décisifs. Peter a essayé de redresser la barre, mais sur une période aussi courte, ce n’était plus possible. Finalement, il a fait l’impasse sur Liège-Bastogne-Liège afin de s’accorder un peu de repos. »
Ce break, qu’il s’est accordé après les classiques, allait faire le plus grand bien à Sagan. Lorsqu’il a repris la compétition, il a renoué avec la victoire : une étape du Tour de Californie, une étape et le maillot de leader aux points au Tour de Suisse, et surtout une étape du Tour de France avec de surcroît une septième victoire record au classement par points.
Le fait que, pendant l’ascension du Tourmalet, il ait pris le temps de signer son livre sur son vélo, était pour beaucoup la preuve que le plaisir n’avait pas disparu chez lui. Sagan a donné l’impression d’être redevenu Sagan, et pourtant, tous les doutes n’ont pas disparu. Ses maigres résultats ne plaident pas pour lui.
Dimanche, au départ de son dixième Championnat du Monde chez les élites, Sagan n’affichera que quatre victoires à son compteur, cette saison. Jamais encore, le chemin vers la victoire n’était apparu aussi ardu que cette année.
Il a apporté de l’eau au moulin de ses détracteurs en déclarant, l’hiver dernier : » Parfois, c’est trop. Heureusement que ma carrière ne durera plus que quelques années. Je ne pourrais plus continuer 15 ans dans le monde du cyclisme professionnel. »
Un agenda surchargé
Jusqu’à nouvel ordre, Sagan, âgé de 29 ans, restera encore dans le peloton au moins jusque fin 2021, puisque tel est l’accord qu’il a signé l’an passé avec Bora-Hansgrohe, à la veille du Championnat du monde à Innsbruck.
Un Mondial que Sagan terminera sur le podium pour la quatrième année d’affilée. Pas avec le maillot arc-en-ciel sur les épaules, cette fois, mais il a tout de même pris le soin de féliciter son successeur, Alejandro Valverde.
Sagan avait pris le départ du Championnat du monde avec l’intention de faire honneur à son maillot, tout en sachant que le parcours vallonné d’Innsbruck n’était pas fait pour lui.
Sur la ligne d’arrivée, il est apparu soulagé. » J’ai mal à l’épaule « , lâcha-t-il. Finalement, il avait l’impression qu’il s’agissait d’un signal lui disant d’arrêter, un signal qui retentit de plus en plus tôt au fil des ans et qui, en 2018, avait même eu raison de son mariage.
Avant même de devenir une première fois champion du monde, Sagan avait confié à Sport/Foot Magazine à quel point les obligations envers les sponsors et les médias commençaient à lui peser. Pendant le stage d’entraînement en Toscane, à la fin 2013, il avait expliqué : » Parfois, j’ai l’impression que dans mon agenda, il n’y a aucune page qui ne soit pas réservée au cyclisme. J’aimerais pouvoir passer plus de temps avec la famille et les amis. Me rendre dans un endroit où je pourrais passer incognito. Tout est allé très vite pour moi. Je ne m’y attendais pas du tout. Je n’avais même jamais envisagé une carrière professionnelle. »
Même s’il s’est souvent comporté de manière laconique et désintéressée lors des conférences de presse et des interviews, les sollicitations n’ont jamais cessé. Pour essayer de tout gérer, une équipe de management été bâtie autour de lui, mais son statut d'(ex-)champion du monde l’a toujours empêché de retrouver totalement sa respiration. En outre, la machine marketing doit continuer à tourner. Car PS est devenu une marque.
Programme light
Lorsqu’on gagne des millions, on doit faire face à des obligations. Comme : pendant une journée de repos au Tour de France, rouler d’abord quelques heures avec les sponsors avant d’encore s’entretenir avec eux jusqu’à six heures du soir, alors que le maillot jaune Julian Alaphilippe essaie de rester au lit le plus longtemps possible.
» Ce sont les sponsors qui nous permettent de pratiquer notre métier, on est donc obligé de leur ouvrir des portes. Mais, depuis deux ans, Peter commence à être fatigué par toutes ces obligations et ne trouve plus cela drôle « , affirme-t-on chez Bora-Hansgrohe, selon le magazine italien BiciSport. » Il attend avec impatience le départ de la course, afin de ne plus être importuné. »
Comme il a le don de bien pédaler, Peter Sagan est devenu ce à quoi il n’aspirait pas du tout : une célébrité. » La gloire ne m’a jamais intéressé. Elle est arrivée avec l’argent. L’argent est important, mais ne représente pas tout. Il vous offre plus de possibilités, vous laisse le choix de mener la vie que vous aimez. Mais je pense que je pourrais même être heureux sur une île déserte, sans un euro, si je suis entouré par les gens que j’aime et que j’ai suffisamment à manger. »
Depuis le Tour de France, Sagan a plus ou moins réussi à ce qu’on ne parle plus de lui. Alors que Mathieu van der Poel a démontré sur les routes britanniques qu’il était le principal favori au titre de champion du monde, le Slovaque s’est fait très discret.
Depuis le Tour de France, il n’a participé qu’à cinq épreuves, et aucune course par étapes : une préparation au Championnat du monde qu’il n’avait tentée qu’en 2012 et qui s’était concrétisée par une 14e place à Valkenburg. » Peter était fatigué après le Tour « , justifie Valach. » Il avait besoin de repos. »
Du plaisir, vraiment ?
La question qui se pose, c’est de savoir si Sagan a eu suffisamment de temps pour recharger ses batteries. Une semaine à peine après la dernière étape sur les Champs-Elysées, il se trouvait déjà au… Panama. En tant que ‘ special guest‘, il a pu/dû accompagner un groupe de clients et d’architectes latino-américains de Hansgrohe lors d’une randonnée entre l’Océan Pacifique et l’Océan Atlantique…
Sagan est-il mentalement prêt à passer l’hiver dans la peau d’un quadruple champion du monde ? Prend-il réellement du » plaisir « , comme il le prétend sur les réseaux sociaux ? Ou les images de ses aventures en VTT à Park City sont-elles uniquement destinées à faire croire qu’il est autre chose que l’esclave des sponsors ?
Par Benedict Vanclooster
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