Mathieu van der Poel, l’éternel attaquant devenu patient (analyse)
Pour conquérir l’arc-en-ciel à Glasgow, Mathieu van der Poel a appliqué ses nouvelles recettes: se préparer calmement et attendre le bon moment.
Septembre 2013. Une blessure à la jambe entame la confiance du jeune Mathieu van der Poel alors que le Mondial des juniors s’annonce à Florence. Son anonyme cinquantième place sur le contre-la-montre, à deux bonnes minutes d’Igor Decraene, n’arrange pas les choses. Gagner la course en ligne semble alors être une mission impossible. Jusqu’à une conversation avec son père Adrie, qui glisse des encouragements en même temps qu’un conseil : « Tu peux même gagner cette course sur une jambe. Mais pour une fois, attends. Mets tout sur ton attaque dans la dernière ascension. » Sur la Via Salvati, Mathieu exécute le plan à la perfection. Il conserve trois secondes d’avance sur un peloton lancé à toute vitesse vers la ligne d’arrivée à Florence.
Longtemps, Mathieu van der Poel oublie pourtant la patience. Il explique à HUMO que la vie de coureur sur route le rebute, et qu’il préfère le charme des labourés : « Naturellement, je veux un jour rouler le Tour, et les classiques sont des courses qui doivent me convenir. Je préfère quand même cent fois rouler des cross. Même si une course sur route ne fait que 120 kilomètres, je m’ennuie. C’est aussi lié à la façon dont je cours : j’adore attaquer dès le départ. »
La suite est connue : en 2015, à vingt ans, Van der Poel devient le plus jeune champion du monde de cyclocross de l’histoire. Il emmène progressivement sur la route son tempérament de coureur sismique : tout faire trembler, très loin de l’arrivée. Gagner ne suffit pas, il faut le faire avec panache. L’Amstel Gold Race 2019 et son comeback miraculeux dans la finale est l’incarnation de sa philosophie.
La nouvelle formule de Van der Poel
Les confirmations se multiplient : un premier monument en 2020 avec le Tour des Flandres, une attaque qui semble sortie d’un lance-missile sur la Via Santa Catarina pour s’adjuger les Strade Bianche l’année suivante, également marquée par une victoire d’étape et un maillot jaune sur le Tour de France, puis un nouveau Ronde en 2022.
Bien sûr, il y a aussi des coups durs : son dos lui joue de mauvais tours, ses rêves olympiques s’envolent, comme lui, sur une planche du circuit de VTT, et l’exigeant Giro 2022 l’oblige à traverser le Tour comme un fantôme, jusqu’à l’abandon. L’année se conclut par un incident avec deux adolescentes devant sa chambre d’hôtel australienne, qui l’oblige à reporter son rêve d’arc-en-ciel.
Tout cela fait constater à Mathieu van der Poel qu’il vieillit. Que ses chances d’écrire l’histoire s’amenuisent. Le Néerlandais constate que le vélo ne peut plus être un jeu, multiplie les exercices préventifs pour soulager son dos et cible méticuleusement les moments où sa forme doit être à son pic pour atteindre ses plus grands objectifs. Il remplace alors en partie son cannibalisme des courses et des victoires par le plaisir de l’entraînement et de la préparation. Les rêves sont fixés : les championnats du monde dans les labourés, puis les monuments et le maillot arc-en-ciel sur route.
La formule fait des miracles : l’or aux Mondiaux de cyclocross, puis des victoires à Milan – Sanremo et Paris – Roubaix. Pourtant, son hiver timide dans la boue, sa forme inquiétante sur les Strade Bianche et son Tirreno bouclé sans succès d’étape avaient suscité des doutes chez les suiveurs. Pas chez Van der Poel, complètement concentré sur la montée en puissance en vue de ses grands objectifs.
Au final, c’est un sans-faute. Libéré de ses douleurs dorsales, Mathieu s’est surtout transformé en tueur de sang-froid, passant maître dans l’art d’attendre le moment parfait. À Hoogerheide, il surprend Wout van Aert dans les derniers hectomètres. Vers Sanremo, il attend le Poggio où il place l’attaque parfaite, tout comme il le fera quelques semaines plus tard dans le Carrefour de l’Arbre pour remporter son premier Paris-Roubaix.
Le Tour en guise de préparation
Le printemps conclu avec deux monuments dans les poches, son esprit se tourne déjà vers la fin de l’été. Le plan dure quatre mois, jusqu’à ce Mondial de Glasgow qu’il attend de pied ferme. Dès les interviews qui précèdent le Tour de France, on comprend d’ailleurs que la Grande Boucle ne sera qu’un tremplin. Pas de victoire d’étape, un rôle d’équipier et un refroidissement ? Rien de grave. Sans tomber dans la surenchère physique comme il l’avait fait sur le Giro l’an dernier, Mathieu van der Poel fait du Tour un gigantesque camp d’entrainement. Les quatre bouquets de Jasper Philipsen lui permettent de savourer des succès collectifs, tout en attendant son moment. Son Glasgow.
La suite se prépare en Espagne, où il a acquis une maison sur la Costa Blanca l’hiver dernier. Il y travaille sa longue accélération, cette explosion de vingt à trente secondes qui doit faire du Mondial une course d’usure. Une concentration de tous les instants couplée à un calme permanent. Celui de l’homme qui profite de la neutralisation de la course en début de journée pour aller faire sa grosse commission dans une ferme voisine, quitte à être à l’arrière et devoir être ramené par ses équipiers dans la course reprend.
Le plan de Glasgow
Dans la finale, Mathieu van der Poel redevient un prédateur. Là où le jeune MVDP aurait multiplié les attaques à chaque tour de ce parcours, l’actuel reste calme. Deux courtes accélérations, à 92 puis 73 kilomètres de l’arrivée, et c’est tout. L’intensité de la course ne l’empêche pas de s’alimenter et de s’hydrater. Les souvenirs de sa fringale à Harrogate, quatre ans plus tôt, sont encore vivaces. Préparé à merveille, Mathieu a choisi son heure : à 22 kilomètres de l’arrivée, les 325 mètres de la Great George Street et leur pic à 11% sont le lieu et l’instant idéaux pour fondre sur sa proie.
L’explosion est spectaculaire. Une attaque qui donne des ailes, jusqu’à glisser dans un virage. Là, il reste très calme, malgré une chaussure partiellement cassée et un coude ensanglanté. Ses yeux crachent du feu et ses jambes charbonnent. L’écart ne fait que se creuser avec Wout van Aert, Tadej Pogacar et Mads Pedersen.
Van der Poel et l’histoire
Sur la ligne d’arrivée, le nouveau champion du monde ne cesse de se prendre la tête entre les mains. Comme s’il avait du mal à y croire. Après quatre mois de patience et de travail, Van der Poel est ponctuel pour son rendez-vous avec l’histoire. Celui que Raymond Poulidor, son grand-père, aimait appeler « mon petit phénomène » est devenu très grand. Il a puisé dans la besace de Wout van Aert, son rival de toujours, des ingrédients pour parfaire sa recette du succès : l’art de se préparer méticuleusement et de se concentrer. Le résultat a le goût de la victoire : deux monuments et un titre de champion du monde la même année, seuls Tom Boonen, Eddy Merckx et Rik Van Looy y étaient parvenus. Remporter l’arc-en-ciel sur route et dans les labourés la même année est carrément inédit.
Selon ses propres mots après l’arrivée, la carrière de Mathieu van der Poel est désormais « presque complète ». La chance de le voir continuer à se constituer un palmarès digne des plus grands chasseurs de classiques de l’histoire est néanmoins réelle. Voire conséquente. Pour le voir s’inviter au sommet, il suffit de faire comme lui : être patient.
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