Les secrets d’entraînement de Wout van Aert
Quatre mois et demi après le Tour des Flandres, Wout van Aert (26 ans) entame une nouvelle saison sur route, samedi, aux Strade Bianche. Plongée dans ses données Strava et TrainingPeaks en compagnie de son coach, Marc Lamberts.
1. REPOS APRÈS LE RONDE ET REPRISE
18 octobre 2020, Wout van Aert est deuxième du Tour des Flandres. Neuf jours plus tard, il remonte à vélo pour une brève sortie avec un copain. Suivent quatre jours de course à pied et une première séance de cross, le 2 novembre. Le vrai travail débute le lendemain, avec deux séances de cross plus longues et des sorties sur route de trois à quatre heures. Du 15 au 25 novembre, Van Aert loue un appartement à Gérone, en Espagne. Il y effectue deux séances de gravel riding, dont une de près de six heures, tout en continuant la course à pied – jusqu’à 18 kilomètres, à cause d’une déviation inattendue.
Aux championnats de Belgique, il était sur les rotules au bout d’une demi-heure. Il est rarement allé autant dans le rouge. »
Marc Lamberts
MARC LAMBERTS: La deuxième place de Wout au Tour des Flandres est son plus beau succès de l’année, à mes yeux. Parce qu’il n’a échoué qu’à quelques millimètres de la victoire, alors qu’il avait déjà passé son pic de forme de 1 à 2%. Pourtant, il avait des réserves après le Paterberg et regrettait de ne pas avoir pédalé à fond, comme Mathieu van der Poel sans doute.
Ce qui m’étonne, c’est qu’il a conservé son niveau des Strade Bianche le 1er août jusqu’au 18 octobre, malgré trois semaines de Tour, alors que grimper tous ces cols à un rythme égal avait entamé son explosivité. Par contre, le Tour lui a permis de relever son taux d’acidification et donc de mieux aborder le final du pénible Mondial d’Imola et du Ronde. Mais il avait perdu l’explosivité qu’il avait aux Strade et à Milan-Sanremo.
Il avait besoin de repos après le Tour des Flandres. Deux semaines, pas davantage pour ne pas perdre trop de condition physique, pas plus de 10%. Wout ne s’est pas complètement reposé: il a fait du jogging avec sa femme Sarah et il a même repris assez vite de courtes séances de course. Ensuite, il a repris les séances sur route pour retravailler son endurance de base et reformer ses mitochondries, les usines à énergie de nos cellules. Des séances calmes qui comportaient toutefois des intervalles, ce qu’on ne faisait pas il y a vingt ans, afin de stimuler ses fibres musculaires lentes et rapides. L’objectif était de stimuler la formation des vaisseaux sanguins autour des muscles, la fameuse capillarisation, pour transporter plus d’oxygène et de sucres. C’est la seule façon de récupérer sa VO2max. Je le préconiserais même si Wout ne roulait plus que sur route.
Ces séances plus intenses de VO2max ne représentaient qu’une petite part de la durée totale de l’entraînement: trois fois cinq minutes, par exemple. Je lui ai demandé de développer vingt watts de moins pour ne pas forcer. Ses séances de cross, généralement dans le bois de Lichtaart, se prêtaient parfaitement à ces séances de même qu’aux entraînements plus costauds, à intensité élevée: grimper une petite côte ou pédaler une demi-minute à fond, courir quinze secondes, repartir à fond les gaz…
Wout a toujours incorporé des séances de course à son entraînement, même en pleine saison sur route, généralement le matin, à jeun. À une vitesse de 4’30 » par kilomètre et pas plus de trente à 45 minutes, pour ne pas se blesser. Je déconseille la course à ceux qui n’en ont pas l’habitude, mais ça ne pose pas de problème à Wout. Pendant les stages de l’équipe, il s’y adonne avec Primoz Roglic, qui est un bon coureur à pied. C’est idéal pour renforcer la densité osseuse et donc lutter contre l’ostéoporose, qui constitue un problème pour de nombreux cyclistes. Et ça active le corps le matin. Ça ne stimule pas la carburation de graisse, par contre, car ses séances sont trop courtes et trop peu fréquentes.
2. LE DÉBUT DE LA SAISON DE CROSS
Wout van Aert entame sa saison de cyclo-cross le 28 novembre à Courtrai. Il est troisième, comme le lendemain à Tabor. Une semaine, deux entraînements de cross et quatre sur route plus tard, il est quatrième à Boom, le 6 décembre. Il séjourne à Gérone du 9 au 15 décembre. En Espagne, Van Aert augmente son volume d’entraînement, avec des séances de quatre à cinq heures.
LAMBERTS: Initialement, nous voulions consacrer cinq semaines à la reconstruction de sa forme, mais Camps, son sponsor, lui a demandé de reprendre la compétition à Courtrai. Il ne pouvait pas retrouver les 5% de forme perdus en quatre semaines. Il n’était même pas à 97%. En plus, il avait pris quatre kilos. Il était passé de 77 à 81, voire 82 kilos. Il est resté au-dessus des 80 kilos tout l’hiver. Son taux de graisse avait augmenté de 25%, même si ça ne faisait encore que 8 à 9%, et sa musculature de 75%. Wout est mésomorphe et prend vite du muscle, surtout dans le haut du corps, qu’il utilise plus en cyclo-cross.
J’ai été surpris qu’il commette aussi peu de fautes techniques à Courtrai car il n’avait eu que six séances de cross, encore moins que les autres années. D’autant plus que c’était un aspect délicat lors de la saison 2019-2020, après sa revalidation. Malgré son manque de condition, Wout est donc monté immédiatement sur le podium. Sauf à Boom, après une semaine d’entraînement très dure.
À partir du 3 décembre, il a dormi dans sa chambre d’altitude, de même qu’en Espagne. Là, c’était une tente. Il a ainsi dormi trois semaines en altitude, de 2.200 à 3.000 mètres, en mesurant son taux de saturation d’oxygène, pour ne pas nuire à la qualité de son sommeil. Cette tente constitue une alternative à un vrai stage en altitude, même si son effet est moindre, puisqu’on n’y passe que huit à neuf heures au lieu de 24 heures par jour.
Wout avait vraiment besoin de longues séances à Gérone – 23h30 en sept jours – pour améliorer sa VO2max. Il y a intégré des séquences d’intervalles d’intensité élevée.
3. LA FIN D’ANNÉE
Wout van Aert aborde une période chargée, du 20 décembre au 3 janvier. Il participe aux cross de Namur (2e), Herentals (1er), Heusden-Zolder (2e), Dendermonde (1er), Baal (2e) et Hulst (2e). Il alterne compétition, préparation et récupération. Il s’astreint à quatre entraînements d’une à deux heures derrière un vélomoteur, à trois séances de cross et à deux longues sorties sur route, de quatre et cinq heures, les 29 et 30 décembre.
LAMBERTS: Ces deux entraînements étaient nécessaires pour renforcer son niveau de base, car en ne roulant qu’en cross, on détériore sa condition, avec un pouls moyen de 200 combiné à des entraînements courts. Wout pédale derrière une moto depuis des années, pas parce que Roger De Vlaeminck en a parlé une fois. ( Il rit) Il exerce sa vitesse et sa souplesse. C’est utile en cross aussi, dans les tronçons droits et même dans la boue car il faut continuer à pédaler en souplesse, sans utiliser un trop gros braquet. C’est grâce à ça, ainsi qu’à ses qualités de coureur à pied, qu’il a émergé à Dendermonde sur un parcours boueux taillé à sa mesure, un tracé que Van der Poel déteste. Il n’était pas question de démarrer après un virage, ce qui est précisément l’atout de Mathieu et la raison pour laquelle il a gagné le sprint au Tour des Flandres.
4. LA NAISSANCE DE GEORGES ET LE CHAMPIONNAT NATIONAL
Georges, son fils, voit le jour le lendemain du cross d’Hulst, comme prévu. La semaine suivante, toujours selon ses plans, Van Aert se limite à deux séances sur route de deux heures et demie et d’une heure et demie, à un entraînement de cross et à deux brèves séances de Zwift sur les rouleaux. Il s’adjuge le maillot tricolore à Meulebeke le 10 janvier, avec seulement vingt secondes d’avance.
LAMBERTS: Nous avions prévu une semaine tranquille avant le championnat de Belgique, mais Wout n’a pas beaucoup vu son lit. Il a dû s’entraîner entre deux visites à l’hôpital, où il a aussi dormi quelques nuits, avec sa femme Sarah, qui avait été hospitalisée le jour du cross d’Hulst, à cause de complications. Wout était seul à la maison et il ne pouvait pas se reposer. On l’a remarqué à Meulebeke. Au bout d’une demi-heure, il était sur les rotules. Il est rarement allé autant dans le rouge. En temps normal, il aurait achevé la course en roue libre, mais il ne pouvait pas dédaigner le championnat de Belgique, surtout après la naissance de son premier enfant. Il s’est donc battu jusqu’au bout.
Normalement, il devait ensuite partir seul en stage, mais l’état de santé de Sarah ne l’a pas permis. Puisque Wout devait rester à la maison, il a couru le cross de Mol, le samedi 16 janvier, pour préparer le Mondial d’Ostende. Son volume d’entraînement a été très limité: une séance sur route, deux de cross et de course et trois entraînements Zwift d’une à deux heures, souvent tard le soir.
5. LE STAGE JUMBO-VISMA ET L’ARGENT AU MONDIAL
Après le cross de Mol, Van Aert se rend à Alicante pour le stage de son équipe, Jumbo-Visma, mais les deux premiers jours sont consacrés à la présentation de l’équipe, aux séances photos, à des vidéos pour les sponsors et à d’autres aspects pratiques. Il peut tout au plus passer une heure sur le vélo de contre-la-montre et deux heures et demie sur le vélo de route. Le mercredi et le jeudi, le Campinois s’astreint à deux longues séances de cinq heures à cinq heures et demie avant de reprendre l’avion pour la Belgique: le week-end, il participe aux cross de Hamme et d’Overijse, dont il termine respectivement deuxième et premier. Ensuite, il lui reste une semaine tranquille avant le Mondial d’Ostende, où Mathieu van der Poel s’avère trop fort pour lui.
LAMBERTS: En janvier, Wout n’a pu s’entraîner vraiment que deux jours et demi au lieu de onze ou douze. Il a délibérément restreint son volume la semaine précédant le Mondial: trois séances de cyclo-cross, dont une reconnaissance du parcours du Mondial, deux séances de Zwift et une derrière la moto. Wout était donc frais au départ du championnat, mais sa condition physique ne lui permettait pas de rivaliser avec Van der Poel. Celui-ci avait pu s’entraîner énormément pendant deux semaines pendant un stage avec son équipe, notamment suite à l’annulation des championnats des Pays-Bas.
Van der Poel aurait de toute façon gagné à Ostende, mais la lutte aurait été plus passionnante sans la crevaison de Wout. Cette panne a été un véritable uppercut mental. Ça ne lui ressemble pas, mais c’est compréhensible, après des semaines très agitées, durant lesquelles il avait été un papa parfait plutôt qu’un coureur, à juste titre.
Je suis d’ailleurs surpris qu’il ait terminé aussi aisément à la deuxième place, loin devant Toon Aerts et consorts. Ça signifie que ses concurrents n’étaient pas en excellente condition, mais de toute façon, Mathieu et Wout ont nettement émergé en cross. Je suis convaincu qu’un Wout plus affûté, qu’il s’agisse de sa condition ou de son poids, pourrait mener la vie dure à Mathieu jusqu’à la ligne d’arrivée dans quasiment tous les cross. Au début de sa carrière, c’était différent: il était au sommet de sa forme en hiver et était moins bon en été. Maintenant, c’est l’inverse.
6. REPOS ET STAGE EN ALTITUDE
À l’issue des championnats du monde, le 31 janvier, Van Aert s’octroie sa première pause depuis fin octobre: trois jours de repos complet, hormis une promenade avec Sarah, puis deux entraînements de deux heures et trois heures et demie sur route, une course à pied de quatorze kilomètres et une séance Zwift. Du 9 au 28 février, il séjourne à Tenerife, à 2.200 mètres, sur les flancs du volcan Teide, avec l’équipeJumbo-Visma. Le Campinois y effectue son premier bloc d’entraînement très dur depuis le stage de Tignes, en juillet. Au menu, des étapes de quatre, cinq ou six heures, voire sept, une fois, avec un dénivelé allant de 3.000 à 5.000 mètres.
LAMBERTS: Malgré son manque d’entraînement en janvier, il n’était pas question de lui supprimer sa semaine de tranquillité après le Mondial. Wout avait besoin d’un break mental avant le stage de Tenerife. Là-bas, il a respecté son programme d’entraînement, avec beaucoup de séances d’endurance et de dénivelés. Quand votre hôtel est situé à une altitude de 2.200 mètres, vous êtes bien obligé de conclure chaque entraînement par une ascension de près de deux heures. Gravir des cols aussi longs n’est pas néfaste pour un spécialiste des classiques, car les pentes de Tenerife ne dépassent pas les 6%. Wout les monte quasiment en sifflant, à un pouls de 125, une fréquence de cent coups de pédale par minute et un wattage moyen de 240. Ça ne sollicite pas exagérément les muscles. C’est même moins dur que de pédaler sept heures dans les Ardennes, en franchissant des côtes à plus de 15%.
Ces longues séances poursuivent un objectif: les cross imposent des efforts brefs et sollicitent l’explosivité. Il s’agit ensuite de retransformer Wout en coureur sur route, notamment en faisant baisser sa VLamax. C’est la valeur qui indique à quelle vitesse le corps produit de l’acide lactique et son rapport avec la VO2max, la valeur qui indique l’endurance d’un sportif, sa capacité aérobique maximale. Plus un coureur est explosif, plus sa VLamax est élevée et plus vite il va dans le rouge. Ce n’est donc pas positif pour un coureur qui veut se distinguer dans des classiques de plus de six heures.
Il s’agit de trouver un bon équilibre: suffisamment d’entraînements en endurance et assez d’accélérations. C’est justement un des points forts de Wout, comme de Mathieu van der Poel: leur VO2max élevée leur permet de conserver une VLamax un rien plus importante, puisqu’ils éliminent rapidement l’acide lactique. Donc, après 250 kilomètres, ils conservent une grande partie de leur explosivité.
En plus de ces longues séances dans les cols, Wout doit également s’astreindre à des blocs plus intenses, entrecoupés de courtes pauses. Il s’acquitte souvent de ces intervalles sur son nouveau vélo de contre-la-montre, avec lequel il s’entraîne deux à trois heures par semaine pour s’habituer à la position.
Il a achevé son stage samedi dernier par un entraînement spécifique à la compétition: quatre heures et demie à l’allure d’une course, avec de plus longs blocs à fond, histoire de puiser dans ses réserves en prévision des Strade Bianche. Entre cette séance et la course, nous n’avons programmé que des entraînements tranquilles d’une heure à deux heures et demie, avec une reconnaissance du parcours jeudi.
De toute manière, Wout n’aura pas encore atteint le niveau de l’été dernier en Toscane, qu’il s’agisse de sa meilleure condition ou de son poids d’alors, 77 kilos. Pendant tout le stage, il s’est alimenté d’après notre Food App, en ingérant un rien moins de calories que nécessaire et en limitant les protéines pour perdre les muscles du torse et des bras.
Il n’atteindra son pic de forme qu’après Tirreno-Adriatico et Milan-Sanremo. Il doit considérer ces classiques italiennes comme des entraînements – façon de parler – afin d’être au sommet de sa forme dans les classiques flamandes, à partir de l’E3 Harelbeke. C’est notre plan. Attention: Wout est capable de participer à la finale des Strade Bianche, mais de là à les remporter avec panache, comme l’année passée, il y a une marge. Tout dépend aussi de la météo et de l’état des tronçons en terre battue. Ce n’est pas un must, puisque Wout a déjà gagné cette course, comme Milan-Sanremo. Je préfère qu’il s’adjuge pour la première fois le Tour des Flandres et Paris-Roubaix.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici