Remco Evenepoel, les secrets d’une année folle: «Il peut gagner le Tour un jour, ça l’a rassuré»
Remco Evenepoel est un éternel fonceur, ambitieux et perfectionniste. Son soigneur, son mécanicien et son père dressent le bilan de sa dernière saison, couronnée de nombreux succès.
Vendredi 5 avril, 5 heures du matin. Dans un hôtel du Pays basque, le soigneur David Geeroms envoie un message à Remco Evenepoel: «Tu es réveillé?» Lors de la quatrième étape du Tour local, le coureur a chuté et s’est fracturé la clavicule et l’omoplate droites. Il y avait peu de chance qu’il dorme cette nuit-là. «Oui, je suis réveillé, prêt à partir.» Quelques minutes plus tard, sans avoir pris de petit-déjeuner, les deux hommes montent en voiture, direction l’hôpital d’Herentals, à 1.300 kilomètres de là.
Sur la route, ils s’arrêtent dans un fast-food. Un hamburger bien gras devrait les rassasier et soulager la douleur morale? La déception n’est cependant pas au rendez-vous. «Pas même la veille lorsque Remco est arrivé à l’hôtel le bras en écharpe, raconte Geeroms. Malgré le diagnostic, il souriait. Dans la voiture vers la Belgique, il multipliait déjà les projets. En ligne avec le chirurgien Steven Claes, il lui a demandé quand il pourrait remonter sur les rouleaux après l’opération, qui devait avoir lieu le lendemain matin. Le médecin lui a répondu que ça devrait être possible au bout de cinq ou six jours. « Hé, alors je peux encore participer à Liège-Bastogne-Liège (NDLR: le 21 avril) », a enchaîné Remco. J’ai essayé de l’en dissuader, en vain, même après l’opération. Ce n’est que lorsqu’il a souffert plus que prévu les jours suivants qu’il a compris que ce serait impossible.»
Les doutes et le silence
L’objectif devenait donc le Tour de France, qui débutait le 29 juin. Après quelques courtes séances sur les rouleaux et des exercices de rééducation en compagnie du physiothérapeute Thijs Hertsens, Remco pédale pour la première fois en extérieur le 25 avril. Dix jours plus tard, il part pour un camp d’entraînement en altitude dans la Sierra Nevada espagnole. Là, le doute s’installe. Il ne peut pas encore s’entraîner au contre-la-montre –trop éprouvant pour son épaule– et les lourdes séances d’intervalles sont également difficiles. «Au bout de trois jours, il soupirait de ne pas progresser, raconte Geeroms. J’ai tenté de lui remonter le moral en lui disant que ça aurait pu être pire. Pour le même prix, il aurait pu être sur son canapé.»
Les doutes envolés, il n’y a pas eu de panique lorsque, début juin, il échoue dans la montagne au Critérium du Dauphiné, après avoir remporté le contre-la-montre. Remco savait quel était le problème. «Il pesait encore un bon kilo de trop, révèle David Geeroms. Il l’a perdu lors d’un nouveau stage en altitude en faisant encore plus attention à son alimentation. Chaque jour, il s’améliorait et s’affinait. Ça lui a apporté une certaine tranquillité d’esprit.»
A la suite de ce nouvel entraînement en altitude, Evenepoel est rentré en Belgique en voiture avec David Geeroms et Nicolas Coosemans, son mécanicien. En chemin, ils s’arrêtent à Troyes pour repérer le contre-la-montre et l’étape de gravel du Tour de France. «Nous l’avions déjà fait en fin d’année. Mais Remco ne voulait rien laisser au hasard, raconte Nicolas Coosemans. Déjà après la première reconnaissance, il nous avait dit que sur ce parcours, avec une montée, ses adversaires auraient du mal à le battre. Il l’a répété après la deuxième reconnaissance. Ce qui est formidable, c’est que neuf fois sur dix, ses prédictions se réalisent. Et ce fut encore le cas.»
Un dîner douloureux
La semaine avant le Tour, Remco Evenepoel insiste pour effectuer un dernier test: rouler durant cinq heures derrière la mobylette de son père, Patrick. «Si Remco demande ça, c’est qu’il est bien, commente son paternel. Cela s’est tout de suite vu. Nous avons nos parcours habituels, où je peux accélérer le rythme. Remco a pu suivre partout sans problème. Après le test, on n’a même pas eu besoin de parler de sa forme. Il rayonnait et était très calme.»
C’est dans cette capacité à être calme que le coureur a le plus évolué, selon son père. «Par le passé, il lui arrivait de se mettre en colère contre sa mère ou moi. Nous étions un peu les « victimes » de la pression et du stress qu’il s’imposait. Depuis l’hiver dernier, tout cela a disparu, notamment grâce à sa femme et à son directeur d’équipe, Klaas Lodewyck, qui savent le calmer au bon moment. La fusion entre son équipe Soudal Quick-Step et Jumbo-Visma a peut-être aussi joué un rôle. Beaucoup pensaient alors que Remco laisserait tomber tout le monde et voudrait forcer un transfert vers Jumbo-Visma. C’était faux, tout était décidé bien au-dessus de lui. Alors qu’il avait organisé un dîner pour 35 personnes dans un restaurant après le Tour de Lombardie, en guise de fin de saison, à peine six sont venues, dont seulement deux coureurs. Ça l’a profondément marqué. Remco s’est rendu compte qu’il ne pouvait compter que sur peu de gens. Ça l’a rendu plus fort mentalement, et plus mature. Plus rien ne peut le perturber.»
Son soigneur abonde: «Avant, on pouvait comparer l’état d’esprit de Remco à des montagnes russes. Mais sur le Tour, où il y a pourtant beaucoup de pression, il est resté calme jusqu’au bout et en toutes circonstances. Il a apprécié de pouvoir participer à la course de ses rêves. Il a toujours choisi son rythme et ne s’est jamais forcé à suivre Tadej Pogacar. Il a accepté qu’il pouvait y avoir plus fort que lui. Il n’aurait pas réussi à le faire auparavant. Aujourd’hui, il est plutôt satisfait de sa troisième place. Ça l’a rassuré: gagner le Tour un jour est possible. Même si Remco est conscient qu’il doit encore s’améliorer pour battre Pogacar.»
«Les montagnes russes, c’est fini. Désormais, il est capable de rester calme en toutes circonstances.»
Le calme d’Evenepoel pendant le Tour de France est aussi frappant que la mentalité qu’il a adoptée avant le contre-la-montre olympique. «Après l’arrivée du Tour à Nice, il est venu à la fête mais en est reparti un peu après minuit pour dormir suffisamment, raconte Nicolas Coosemans. Il savait que la semaine suivante, une course importante l’attendait.» Le contre-la-montre olympique l’a en effet préoccupé toute l’année, mais il avait l’air confiant: «Je pense que personne ne peut me battre», avait-il glissé à son mécano. «Ni la pluie ni la zone d’échauffement chaotique avant le départ ne l’ont rendu nerveux, assure Coosemans. Il s’en est même remis à moi pour le choix de son matériel, le type de pneus, leur pression. Il m’a dit qu’il me faisait confiance.»
Après son premier titre olympique, l’athlète n’est pas non plus resté à Paris, il est rentré chez lui pendant deux jours et demi. «Par le passé, il n’aurait pas fait cela, note son père. Là, il voulait passer du temps avec sa famille.»
Un détour par le hockey
Seule entorse qu’il s’est accordée durant les JO: assister à un match de l’équipe belge de hockey masculin. «Mais l’après-midi, la reconnaissance officielle de la course sur route était prévue, explique David Geeroms. Il a insisté pour assister au match, il avait besoin de se distraire. Nous étions de retour à temps pour la reconnaissance. Pendant le massage après celle-ci, il m’a dit que ses jambes étaient encore meilleures que lors du contre-la-montre. Le lendemain, la veille de la course en ligne, il a ajouté: « Demain, je vais encore m’amuser. Je ne vais pas attaquer sur la pente de Montmartre, mais dans un endroit auquel personne ne s’y attend. Et quand j’arriverai seul sur la ligne, je ferai quelque chose avec mon vélo… » Je n’ai pas osé lui demander quoi, mais j’ai répondu en riant qu’il le fasse après avoir franchi la ligne d’arrivée. Ce fut fantastique, ensuite, de voir comment il a exécuté son plan à la perfection. Comment il est descendu de son vélo, l’a porté devant lui et a écarté les bras, avec la Tour Eiffel en arrière-plan. Il avait déjà passé la ligne. Il avait bien écouté (rires).»
Après de courtes vacances en Grèce, le champion avait un autre rendez-vous important: son R.EV Ride, une randonnée cyclotouriste avec ses fans à travers la région du Pajottenland. «Même pour un événement comme celui-ci, il s’attend à ce que l’organisation soit minutieuse et chronométrée, relate son papa. A telle heure la balade, à telle heure la séance d’autographes. C’est pourquoi il a été très contrarié qu’un inspecteur de la lutte contre le dopage frappe à sa porte le matin même, ce qui a retardé le programme. Malgré tout, ce fut un grand succès, avec près de 3.000 cyclistes présents. Il a apprécié. Remco a commis des « erreurs » de communication dans le passé, mais qui n’en commet pas? Il fait ça mieux aujourd’hui. Avec calme et maturité.»
«Il ne doit gagner le Tour qu’une seule fois, hein. Pas cinq.»
Cela s’est également vérifié à la fin du mois de septembre lors de la course pour le titre mondial du contre-la-montre, qu’il a remporté pour la deuxième fois consécutive. A Zurich, il avait pourtant subi un incident sur la plate-forme de départ. «Remco avait pédalé en arrière et sa chaîne s’était détachée, raconte Nicolas Coosemans. Heureusement, Bas, mon collègue mécanicien, l’a remise sur le pignon juste avant le départ. L’aimant générant l’énergie de son wattmètre est alors tombé de son cadre. Remco n’a donc eu accès à aucune donnée pendant toute la durée du contre-la-montre, à l’exception de sa vitesse. C’était ennuyeux, mais il n’a pas paniqué, il a roulé à son rythme et a finalement gagné avec six secondes d’avance. Une vraie démonstration. Après l’arrivée, il n’était pourtant pas totalement satisfait: il avait espéré une plus grande avance. Toujours ce perfectionnisme… Remco a toutefois admis que l’incident de la chaîne était de sa faute. Je me suis ainsi senti moins coupable. Il a clairement de l’empathie pour les gens qui l’entourent.»
Lors des Mondiaux sur route, puis deux semaines plus tard au Tour de Lombardie, le natif de Schepdael a échoué face à un Tadej Pogacar hors de portée. «Sa batterie s’est lentement vidée après le contre-la-montre, soutient son soigneur. Après son abandon au Tour d’Emilie, Klaas Lodewyck et moi-même avons même pensé qu’il serait préférable que Remco mette un terme à sa saison. Il a malgré tout terminé deuxième, pas mal après une si longue saison. Ça l’a tellement épuisé physiquement et mentalement qu’à son retour, il a eu de la fièvre. Il a même dû déclarer forfait pour le gala du vélo de cristal.»
Remco le rappeur
Dans les semaines qui ont suivi, Evenepoel a pu enfin se détendre et se concentrer sur sa R.EV Cycling Academy, qui mêle projets social (pour sensibiliser les jeunes défavorisés au cyclisme) et sportif (préparation d’enfants de 10 à 16 ans à la compétition). «Une équipe féminine sera créée en 2026», annonce Patrick Evenepoel.
Si le père gère tout, le fils détermine l’approche et la vision d’ensemble. «Remco est très engagé avec les jeunes de l’équipe. Chaque semaine, il prend de leurs nouvelles ou appelle certains d’entre eux. Il repère aussi certaines courses avec eux. Et chante même du rap en français pour mettre l’ambiance. Avec tous les gestes de la main. Cette détente est idéale pendant l’intersaison.»
C’est donc la tête vidée du stress de l’année écoulée que le champion a repris l’entraînement. Son objectif pour 2025, malgré l’accident du 3 décembre dernier avec une camionnette postale: réduire au maximum l’écart avec Tadej Pogacar. «Au Tour, l’écart était de neuf minutes, après une préparation perturbée. Si Remco le réduit de moitié la saison prochaine, cela offrira une meilleure perspective pour les années suivantes, déclare le père du coureur. Remco n’aura que 25 ans fin janvier. Il a encore du temps devant lui. Et il ne doit gagner le Tour qu’une seule fois, hein. Pas cinq.»
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