Les grandes rivalités du cyclisme espagnol: Federico Bahamontes contre Jesus Lorono et
Enric Mas, Juan Ayuso et Carlos Rodriguez sont les trois Espagnols désormais à la poursuite de Remco Evenepoel. Dans la péninsule, les rivalités ont toujours été légion au cours de l’histoire, surtout dans un pays marqué par les divisions aussi bien régionales qu’entre équipes. Retour sur deux d’entre-elles : celle des années 50 entre Federico Bahamontes et Jesús Loroño et celle de la fin des années 90 entre Abraham Olano et José Maria Jimenez.
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Loroño vs Bahamontes
La guerre civile et la Seconde Guerre mondiale ne favorisent pas la progression du Tour d’Espagne, qui enchaîne les hauts et les bas. De plus, le retrait de sponsors fait en sorte qu’il faut attendre le milieu des années cinquante pour que la Vuelta devienne une organisation pérenne. On le doit au soutien financier du journal El Correo Español – El Pueblo Vasco. Et la participation des meilleurs coureurs du monde contribue aussi à cette ascension. Des stations balnéaires du sud de l’Espagne commencent à offrir d’importantes primes de départ, ce qui incite les vedettes du peloton à se déplacer en terres ibériques et à viser la victoire finale. Il ne faut pas attendre longtemps pour que des cracks comme Jean Stablinski, RudiAltig et Jacques Anquetil inscrivent leur nom au palmarès de l’épreuve.
Et puis, les années cinquante coïncident avec la percée hors-Espagne de plusieurs coureurs ibériques: Federico Bahamontes, Jesús Loroño, Miguel Poblet, Bernardo Ruiz et quelques autres. La rivalité entre le Basque Loroño et le Castillan Bahamontes divise le monde cycliste espagnol en deux camps. Une rivalité aussi forte que celle qui touche le cyclisme italien, avec Fausto Coppi d’un côté et Gino Bartali de l’autre.
Jesús Loroño est un vrai spécialiste des courses par étapes. Pendant toute sa carrière, il se met au service de Bahamontes. Un Basque qui s’écrase pour un Castillan, il faut pouvoir le faire… Mais parfois, il arrive à jouer sa carte personnelle, ce qui ne plaît pas à son leader. Il décroche sa plus belle victoire dans le Tour de France 1953, au bout d’une étape dans les Pyrénées. Un succès extrêmement spectaculaire. Il maîtrise l’art de la descente comme personne et, au sommet de l’Aubisque, il se lance comme un kamikaze vers la vallée. Aucun autre coureur ne parvient à prendre sa roue. Le Suisse Hugo Koblet tente de garder le contact mais il doit finalement renoncer. Cette année-là, l’Espagnol finit le Tour avec le maillot de meilleur grimpeur. Avant cela, il ne s’est mis en évidence que dans des courses sur le sol espagnol. Il ne fera pas mieux après sa victoire au Tour.
La rivalité entre le Basque Jesús Loroño et le Castillan Federico Bahamontes divise le monde cycliste espagnol en deux camps.
Federico Bahamontes, lui, est un grimpeur pur-sang. Une anecdote va le rendre immortel. Lors de son tout premier Tour de France, en 1954, il passe en tête au sommet du Col de la Romeyère. Et là, au lieu de se lancer logiquement dans la descente, il s’arrête, descend de son vélo et déguste une crème glacée en attendant ses premiers poursuivants. Cette scène caractérise parfaitement ce Castillan. Pour lui, la montagne est d’abord un terrain de jeu. Attaquer, passer le sommet en tête et attendre ensuite les autres, ça suffit à son bonheur. Ce comportement s’explique aussi par ses craintes au moment d’aborder une descente. Au contraire de Loroño, il n’est pas du tout à l’aise dans cet exercice et il préfère dévaler en groupe que seul. Il remportera six fois le classement du meilleur grimpeur au Tour de France. Ça lui suffit. Jacques Goddet, le directeur du Tour, lui a trouvé un surnom: l’Aiglede Tolède. Mais pendant beaucoup trop longtemps, Bahamontes a semblé se satisfaire d’exploits dans la montagne, d’autant que ça lui valait des contrats rémunérateurs pour les critériums.
Le tournant se produit un jour de 1959 quand Fausto Coppi, son directeur sportif, le persuade de viser la victoire finale au Tour. Bahamontes croit à son discours, et cette année-là, il devient le premier Espagnol à inscrire son nom au palmarès. À son retour au pays, les rues sont noires de monde. D’un coup, il entre à jamais dans le coeur de ses compatriotes. Ce sera sa seule victoire dans un grand tour. Étonnement, il n’a jamais remporté la Vuelta.
Qu’il s’agisse de leurs racines, de leur style sur le vélo ou de leur palmarès, Loroño et Bahamontes sont deux pôles opposés et ils semblent condamnés à entrer un jour en conflit. On a le Pays Basque avec ses visées séparatistes face à la Castille nationale, le coureur de tours complet face au grimpeur, un palmarès national face à un CV international. Ils ne s’entendent pas dans la vie, leurs caractères ne s’accordent pas. Mais ils sont obligés de rouler pour la même équipe nationale et leurs différends sautent encore plus aux yeux. Loroño, surnommé le Lion de Larrabetzu, est un gars fier. L’Aiglede Tolède est complètement différent sur ce plan-là aussi.
Pendant le Tour d’Espagne 1957, leur rivalité atteint des sommets. Le coach de l’équipe espagnole, Luis Puig, a pourtant bien balisé l’affaire lors du départ à Bilbao. Celui qui sera devant l’autre au classement général aura le statut de leader. Mais ça dérape dès la troisième étape, dans les Asturies. Bahamontes se glisse dans une échappée dès le début de la journée, le groupe va au bout, Bahamontes l’emporte et prend le maillot de leader. Loroño, qui était troisième le matin, est furieux. Il estime qu’il a été trahi.
Le Basque se retrouve à plus d’un quart d’heure au général. Mais dans une étape a priori sans grand attrait, le long de la Méditerranée, entre Valence et Tortosa, il décide de porter à son tour les coups au Castillan. Le vétéran Bernardo Ruiz, vainqueur du Tour d’Espagne en 1948, provoque une échappée de treize hommes. Loroño s’y glisse. Pas Bahamontes, distrait. Quand il décide de partir en poursuite, les dégâts sont déjà importants. Le coach de l’équipe nationale se met en tête de le bloquer avec sa voiture et les équipiers de Bahamontes font tout, eux aussi, pour l’empêcher de s’échapper. À l’arrivée à Tortosa, l’Aigle se retrouve à six minutes du Lion. La course semble jouée en faveur de Loroño. D’autant que la fédération espagnole menace de suspendre les deux coureurs s’ils n’arrêtent pas de se tirer dans les pattes. Bahamontes n’a pas été aidé par ses coéquipiers et il le paie au prix fort. De plus, son côté imprévisible et son manque de professionnalisme permettent à Loroño d’avoir les faveurs de Puig. Bahamontes était peut-être le meilleur coureur de ce Tour d’Espagne mais il le termine à la deuxième place, derrière son rival.
Olano vs Jiménez
Après la période Delgado – Indurain, deux autres coureurs espagnols alimentent une nouvelle rivalité chez Banesto, à la fin des années nonante: Abraham Olano et José Maria Jiménez. Formé sur la piste, Olano a conquis le titre mondial en 1995 en Colombie, au nez et à la barbe de Miguel Indurain. En contre-la-montre, il fait partie du top mondial. C’est dans cette spécialité qu’il a conquis ses plus beaux succès, dont le titre mondial en 1998. Au départ, on le considère comme le successeur d’Indurain. Il termine quatrième du Tour de France 1997 et sixième deux ans plus tard, mais il n’est pas assez costaud dans la haute montagne pour jouer la victoire finale. Il remporte toutefois le Tour d’Espagne en 1998, devant Fernando Escartin.
José Maria Jiménez, lui, est considéré comme l’un des meilleurs grimpeurs des nineties avec Marco Pantani. Il en met plein la vue avec ses accélérations fulgurantes et imprévisibles. Son goût permanent de l’offensive est fort apprécié, il gagne neuf étapes de la Vuelta et remporte quatre fois le classement du meilleur grimpeur. Comme Pantini, il va finir de manière tragique. Chava va tomber dans une grave dépression et se retrouver dans un établissement psychiatrique. Une vraie descente aux enfers. Plus personne ne parviendra à lui parler et il sera licencié par Banesto. Plus tard, il cherchera à revenir dans le peloton mais aucune équipe ne lui donnera une nouvelle chance. Il verra ça comme une humiliation. José Maria Jiménez décédera d’un arrêt cardiaque à 32 ans.
Au Tour d’Espagne 1998, il porte le maillot de leader pendant quelques jours et termine troisième. Tout en se sentant freiné par le leader de son équipe, le calculateur Abraham Olano. Dans la haute montagne, il est en permanence contraint de se contenir afin de ne pas mettre Olano en difficulté. C’est la seule fois que le héros du peuple a eu la victoire finale à portée de main. Sa carrière et son après-carrière auraient dû être complètement différentes. Mais ce Castillan était trop limité en contre-la-montre pour viser la victoire finale dans les grands tours. Une spécialité parfaitement maîtrisée par le Basque Olano.
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