Les championnats marquants de Wout van Aert, partie 1 : « Moeke avait raison, je suis champion du monde »
À l’approche des championnats du monde de cyclocross, nous reviendrons en cinq épisodes avec Roger De Bie, beau-père de Wout van Aert et l’un de ses mécaniciens attitrés, sur quelques championnats mémorables de la carrière du Campinois. Ce mardi, on revient sur le championnat de Belgique U23 à Waregem, en 2014, et le championnat du monde qui a suivi à Hoogerheide, là où se dérouleront aussi les Mondiaux cette année.
Roger De Bie : « Wout avait gagné quatre fois en fin d’année et était le grand favori de ce championnat national de la catégorie espoirs, qui se dipsutait à Waregem. Mais, consternation au départ : Wout a effectué un faux départ et a été disqualifié par le jury. Les autres coureurs ne voulaient pas non plus qu’il puisse partir de derrière lors du deuxième départ. »
« Je n’ai pas vu toute cette scène de mes yeux, parce que je me trouvais dans le poste matériel avec son père Henk. Et avec le soleil qui brillait sur les écrans de télévision, nous n’avons pas pu bien voir ce qui s’était passé. Nous avions entendu parler du faux départ de Wout, mais nous ne savions pas s’il était encore dans la course. Alors on a attendu le premier passage pour vérifier. Et là, Wout est quand même passé en quinzième ou vingtième position. Il avait apparemment enfourché son vélo malgré tout. »
« Nous l’avons encouragé mais Jurgen Mettepenningen (le manager des Sunweb-Napoléon Games de l’époque, ndlr) a dit qu’il valait mieux l »exclure de la course’arrêter. Il risquait une suspension et aurait pu manquer les Mondiaux. Alors nous avons crié « Stop ! Stop ! » à Wout, qui était alors remonté en quatrième ou cinquième position. Malgré nos injonctions, il a continué, inarrêtable. Jusqu’à ce que le jury lui ordonne de poser pied à terre au premier passage sur la ligne d’arrivée qui était située sur l’hippodrome de Waregem. Il était définitivement mis hors-course. »
« J’ai couru directement vers notre mobil home, parce que je savais que Wout allait le démolir. À son arrivée, il a jeté son vélo de colère. On s’est même rendu compte plus tard qu’il était cassé. Il s’est ensuite engouffré dans lemobil home, sans dire un mot. Renaat Schotte a demandé à parler à Wout, pour le calmer et lui donner des conseils sur la façon de s’adresser aux médias dans ces circonstances. Une discussion qui lui a permis de tourner le bouton rapidement. »
« Il a cependant voulu, par pure esprit de revanche, prendre le départ du cross d’Otegem le lendemain. Il ne devait initialement pas prendre le départ car il n’avait pas reçu de prime de départ, mais il s’en moquait. « Messieurs, préparez-vous, je vais à Otegem demain », a-t-il dit. Déjà à l’époque, on pouvait voir le leader qui sommeillait en Wout. Il regardait droit devant lui, ne s’attardait plus trop sur les déceptions et ne ruminait plus ses éventuelles erreurs. Il a aussi pris ses responsabilités par rapport à son entourage : « Les gars, c’était ma faute. A demain. » »
Nous savions donc qu’à Otegem, Wout sortirait un grand numéro. Il s’est détaché du peloton dès le départ et les autres ne l’ont ensuite plus jamais revu avant l’arrivée. Il a terminé avec quarante secondes d’avance. C’était sa toute première victoire chez les professionnels. Henk, son père, était aux anges : « Justice est faite !, avait-il dit » «
« Wout est resté assez calme après cette victoire, il s’était déjà concentré les Mondiaux d’Hoogerheide, qui se déroulaient au début du mois de février. Ma mère, notre Moeke, était en très mauvaise santé à ce moment. Lorsque Wout et Sarah (sa petite amie devenue depuis lors son épouse et la mère de Georges) lui ont rendu visite le dimanche soir après les championnats de Belgique, elle a dit, dans son style caractéristique et avec beaucoup de conviction : « Oublie ce championnat de Belgique, Wout. Tu seras champion du monde ! » »
« La semaine précédant ce championnat du monde, l’état de santé de ma mère s’est dégradé de plus en plus. Ma soeur et moi dormions avec elle toutes les nuits et nous faisions tout pour soulager sa douleur. Le jeudi précédant une grande course, Wout et moi faisions normalement une dernière séance d’entraînement de vitesse. Moi sur la mobylette, lui derrière, sur son vélo. Ma mère n’avait pas aimé que je parte. J’ai alors téléphoné à Wout en lui disant: « A propos de cet entraînement derrière cyclomoteur… » Il m’a alors immédiatement répondu : « Roger, dis-moi ce qui se passe : tu préfères rester avec ta maman pour les prochains jours ? Pas de problème ! Ta place est à la maison, avec elle. Je vais faire mon plan d’entraînement. Wout n’avait que 19 ans à l’époque. »
Les montagnes russes
Le vendredi, l’état de santé de Moeke a encore empiré. Elle a alors tiré sur ma manche. « Roger, j’ai assez souffert. » J’ai dû appeler Jan, notre médecin généraliste… Mais on n’organise pas une telle chose en un jour… Nous nous sommes donc assis avec toute la famille devant la télévision le dimanche, y compris notre mère. J’avais placé son lit près de l’écran pour qu’elle entende tout. Même si elle s’éteignait lentement. »
« Les montagnes russes d’émotions qui ont suivi… (silence). C’était à peine descriptible. Wout enfilait le maillot arc-en-ciel à Hoogerheide, sur les terres du grand favori Mathieu van der Poel. « Moeke, Wout est champion du monde!’, lui ai-je dit. Elle a alors mordillé ma main, les yeux fermés… »
« Ma sœur et moi sommes ensuite sortis pour prendre l’air dans le jardin, mais nous avons rapidement été rappelées. Notre mère venait de décéder. J’ai alors téléphoné à Henk van Aert, qui venait de voir son fils devenir champion du monde à Hoogerheide. Il était naturellement fou de joie. « J’ai des mauvaises nouvelles ici, Henk… » « C’est pas vrai, Roger… »
« J’ai ensuite appelé Paul Herijgers qui, dans la frénésie, a dû trouver Sarah. On ne pouvait pas la joindre. Il devait donc lui annoncer la mauvaise nouvelle le plus rapidement possible. Ce fut un coup de massue pour Sarah qui était très proche de sa grand-mère. »
Après toutes les formalités protocolaires, Sarah et Wout sont finalement arrivés tard dans la soirée à la maison. Nous nous étions déjà endormis et n’avons vu Sarah, vêtue d’un maillot arc-en-ciel, que le lendemain matin. J’étais décomposé quand je l’ai vue. Et surtout quand Wout nous a dit : « Roger, Moeke avait raison. Je suis devenu champion du monde ». Un moment que je n’oublierai jamais. »
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