La revanche de Jai Hindley, le successeur australien de Cadel Evans
Cette fois, contrairement à il y a deux ans, le natif de Perth pourra garder la précieuse tunique rose avec laquelle il a franchi la ligne d’arrivée du Tour d’Italie. Retour sur la résurrection d’un coureur disparu de la circulation la saison dernière et qui a réssuscité tel le Fénix entre le Blockhaus et la Marmolada.
Cette fois, la marge était plus grande. En s’élançant avec 1’25 sur Richard Carapaz, il fallait un miracle pour voir tomber Jai Hindley de son trône de leader du Tour d’Italie. Le scénario était quasiment identique à celui d’il y a un et demi, mais les conditions étaient bien différentes au départ de cette dernière étape. Et elles auront permis au grimpeur de Perth de réaliser le meilleur contre-la-montre de sa carrière.
Au milieu du mois d’octobre 2020, entre Alba et Sestrière, Jai Hindley n’avait pas été capable de mettre en difficulté Tao Geoghegan Hart dans la montée finale. L’Australien avait éprouvé plus de difficultés à enfiler une veste pour se réchauffer face aux températures glaciales qui sévissaient sur les hauteurs du terrible Stelvio. Des images loufoques qui ont révélé le natif de Perth au grand public, alors que jusque là, il avait joué les lieutenants efficaces de Wilco Kelderman, maillot rose ce jour-là.
Le Néerlandais avait pris le pouvoir sur le Giro lors de l’étape finissant au sommet de Laghi di Cancano, alors qu’Hindley s’était emparé du bouquet du vainqueur. Déjà ce jour-là, on sentait que la hiérarchie de l’équipe Sunweb (ancienne Team DSM) risquait de voler en éclat lors de la prochaine étape. Et le lendemain, Hindley n’attendait pas Kelderman, en difficulté sur les pentes du Stelvio, et tentait de gérer un Geoghegan Hart porté par une locomotive, elle aussi issue du Down Under, Rohan Dennis.
Classé dans le même temps à l’aube de l’épilogue de ce Giro 2020, l’Australien et le Britannique, que personne n’avait pointé parmi les favoris de cette édition post-confinement, devaient en découdre dans les rues de Vérone avec un effort en solitaire. Sur les deux précédents de l’édition 2020 de la course au maillot rose, c’est Geoghegan Hart qui s’en était le mieux sorti, alors qu’Hindley avait montré de fameuses limites dans l’exercice. Les 16 petits kilomètres de ce chrono dans les rues milanaises seront d’ailleurs sans appel pour le natif de Perth qui concèdera près de 40 secondes à son rival du Team Ineos.
Une année et demi plus tard, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts. Les deux surprises de ce Giro étaient rentrées dans le rang en 2021 et cette saison Tao Geoghegan Hart se fait encore broyer sur les routes norvégiennes par la jeune génération incarnée par Remco Evenepoel ou Tobias Halland Johanessen. Même son coéquipier australien Lukas Plapp (décidément encore un aussie) lui est passé devant dans la hiérarchie au terme de cette fenêtre dans les Fjords.
Au départ de Budapest, l’on s’attendait un peu au même scénario pour un Jai Hindley que nous n’avions pas cité parmi les favoris et outsiders de l’épreuve. Si aucun coureur Bora aligné en Italie ne semblait ressortir du lot en ce début d’année 2022, Wilco Kelderman, qui a retrouvé son ancien équipier australien transféré cet hiver du Team DSM, semblait le mieux armé pour porter haut les couleurs de l’équipe allemande. Fort de sa cinquième place sur le dernier Tour de France, le Néerlandais semblait promis au leadership. Et si d’aventure, il n’avait pas dû répondre aux attentes, c’est sans doute Emmanuel Buchmann, ancien quatrième de la Grande Boucle en 2019, qu’on aurait bien vu reprendre le flambeau.
Le successeur de Cadel Evans
Pourtant ce dimanche, c’est bien Jai Hindley qui a enfilé la dernière tunique rose attribuée au terme de trois semaines. Comme il y a presque deux ans, il a eu maille à partir avec un autre coureur Ineos, Richard Carapaz, qui était sous sauf un néophyte. L’Equatorien, fort de son titre olympique de Tokyo, de sa victoire sur le Giro 2019 et de ses podiums sur la Vuelta et le dernier Tour, semblait imprenable avec une équipe solide à ses côtés. Et avec une dernière arrivée sur le Passo di Fedaia, culminant à plus de 2000 mètres d’altitude, cela semblait a priori du cousu main pour un coureur habitué à ces altitudes, comme son coéquipier et tenant du titre en Italie, Egan Bernal.
Mais l’impensable s’est pourtant produit ce samedi, puisque le natif de Perth s’est envolé à trois kilomètres de l’arrivée pendant que Richie fléchissait totalement au point de se retrouver à 1’25 de son rival ce dimanche alors qu’il possédait trois secondes d’avance au départ de Belluno, ville situé au pied des Dolomites. Avec une telle avance et un adversaire qui n’est pas non plus le plus grand spécialiste de l’effort en solitaire, Hindley ne pouvait pas vivre une seconde fois le scénario 2020. Auteur du meilleur chrono de sa carrière, il devenait ainsi le premier Australien à remporter le Giro, le deuxième de l’histoire à s’imposer sur un grand tour, onze ans après Cadel Evans, véritable pionnier sur le Tour de France.
Les deux hommes n’ont en commun que le fait d’avoir porté le maillot rose et d’avoir remporté au moins une étape sur la course italienne de trois semaines. Le grimpeur de Perth est capable d’accélérations et de démarrages secs dont n’a jamais été capable celui qui fut aussi champion du monde en 2009, spécialiste des montées au train. Jai Hindley n’excelle pas autant que Evans dans l’effort en solitaire. Mais à leur manière, ils ont écrit deux belles pages de l’histoire d’un cyclisme dont le premier héros fut Phil Anderson, vainqueur, au coeur des eighties, de l’Amstel Gold Race ou de prestigieuses courses d’une semaine comme le Tour de Suisse, le Critérium du Dauphiné Libéré ou le Tour de Romandie.
Une carrière déjà marquée par l’Italie
L’amour de Jai Hindley pour l’Italie n’est finalement pas étonnant. Il a débarqué en Europe au sein de la modeste équipe Aran Cucine dont le siège est situé au coeur des Abruzzes. La saison suivante, en 2016, c’est sous les couleurs d’une formation taïwanaise qu’il remporte sa première course pro, le Gran Premio Capodarco, encore en Italie. En 2017, il rejoint la formation australienne Jayco mais s’illustre encore dans la Botte en remportant la « Toscane-Terre de cyclisme », une course réservée aux moins de 23 ans avant de lever les bras sur une course par étapes chinoise, le Tour de Fuzhou et de prendre la 2e place de l’Herald Sun Tour, dans son Australie natale.
Ces prestations lui offrent un contrat professionnel au sein de l’équipe Michelton-Scott et un premier résultat majeur avec une deuxième place sur le Tour de Pologne derrière Pavel Sivakov, lieutenant de luxe de Carapaz sur ce Giro. C’est aussi l’année où il découvre le Giro avec un classement correct pour un débutant (35e). En 2020, il commence la saison en force en dominant l’Herald Sun Tour. Quatorzième du Tour de Pologne dominé par Evenepoel et treizième de Tirreno-Adriatico, il n’apparait pas forcément comme le leader de la Sunweb au départ du Giro 2020 en Sicile.
Mais dans une année spéciale en raison de la crise sanitaire, les valeurs connues sont déréglées et les habituels grands noms comme Vincenzo Nibali et autres sont mis à l’amende par les étonnants « gamins » Geoghegan Hart et Hindley. Sixième à Camigliatello Silano, l’Australien se trouve alors aux portes du top 10 après cinq étapes et occupe la 7e place après la 10e étape, qu’il termine à la cinquième place. Pendant la troisième semaine, il ne cesse de monter en puissance jusqu’à cet épilogue à suspense, mais perdant contre Tao Geoghegan Hart.
Débarrassé de Wilco Kelderman parti chez Bora en 2021, Jai Hindley n’en profite pas pour confirmer cette belle prestation italienne. De quoi se voir attribuer le statut de comète ou d’étoile filante de la Petite Reine ? Dix-huitième de Paris-Nice, contraint à l’abandon sur le Tour de Catalogne et sur le Tour des Alpes, le grimpeur de Perth ne prend pas le départ de la quatorzième étape du Giro. Il se relance quelque peu en août sur le Tour de Pologne avec une septième place finale, mais cette saison est globalement ratée et loin des attentes placées en lui alors. En froid avec son exigeant employeur néerlandais, il sait de toute façon qu’il va signer pour la formation Bora en 2022, où il va retrouver son « ami » Kelderman.
Sa cinquième place sur Tirreno-Adriatico n’avait pas frappé les esprits
Quatorzième de l’UAE Tour, il s’était montré un peu plus à son affaire sur Tirreno-Adriatico en terminant cinquième d’une course gagnée par Tadej Pogacar. Il avait notamment terminé sixième de la difficile étape de Carpegna où un Evenepoel avait connu une journée de vélo très difficile. Sur le Tour du Pays Basque, il n’avait pas vraiment confirmé ce regain de forme, avec une treizième place finale et seulement une 28e sur l’étape reine. Après un abandon sur Liège-Bastogne-Liège quelques jours après une anonyme 26e place sur la Flèche, Hindley n’avait pas le costume de l’homme qui allait s’apprêter à dominer le Tour d’Italie.
Les détracteurs du grimpeurs de Perth sont plutôt confortés par ses derniers résultats et ne le voient pas briller sur ce Giro partant de Budapest. Sur les pentes du Blockhaus, malgré un sprint final à six, il semblait en retrait, pendant la grande partie de la montée, derrière le trio Richard Carapaz, Romain Bardet et Mikel Landa. Même l’accrocheur Joao Almeida qui l’avait tiré dans son sillage avec le vétéran Domenico Pozzovivo, semblait plus en mesure de remporter le rose que l’Australien, pourtant vainqueur au sprint sur le géant des Apennins.
Une résurrection pour un homme dont la dernière victoire professionnelle datait de cette veille de prise de pouvoir sur le Tour d’Italie 2020. On pensait cet exploit, cette résurrection même, sans lendemain. Le storytelling d’une lutte à trois entre les Carapaz, Hindley et Landa semblait plus beau pour les passionnés de vélo, mais Jai Hindley allait décider d’écrire le scénario à sa manière.
Comme il y a un an et demi, il n’a cessé de monter en puissance sur ce Giro où son équipe Bora Hansgrohe et ses lieutenants de fortune Kelderman, Buchmann et Lennard Kämna se sont mis à plat ventre pour le porter sur la plus haute marche du podium. On se souvient de la bataille de Turin qui avait mis le peloton en lambeau, ainsi que de l’iniative lors de la 19e étape, même si elle ne fut pas couronnée du même succès.
Le reste du travail a été accompli par le natif de Perth sur les trois derniers kilomètres du Passo di Fedaia. Il a mis à terre Carapaz pour confirmer qu’il n’était pas « venu enfiler des chaussettes à un mille pattes » comme il l’avait déclaré après une semaine de course.
Le sosie non officiel de Timmy Simons a donc montré ses talents de scénariste en raturant ceux rédigés avant la course par les journalistes et analystes. Pendant trois semaines, il a bien semblé avoir mille pattes pour mettre au tapis tous ses adversaires. Cette fois, il a pris une revanche éclatante pour enfin voir la vie en rose. Il faudra désormais apprendre à prononcer Jai correctement. « Like hi with a J », comme il l’a écrit avec humour sur son profil Twitter.
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